Hier Holly, aujourd’hui toi. Chacun avait sa façon de gérer le deuil. Moi, j’en avais pas. Je préférais oublier l’histoire de quelques heures, repousser la peine au lendemain, et encore au lendemain, et encore au lendemain… Sans arrêt. Parce que j’voulais pas faire mon deuil d’elle. J’étais pas prêt. J’voulais pas faire mon deuil, j’voulais juste oublier. Et pour ça, l’alcool était mon allié. Sauf que ce soir, je n’allais pas boire. Non, parce qu’il fallait que j’ai les idées claires, la tête froide pour t’affronter. Je ne savais même pas pourquoi je venais chez toi en fait. A quoi bon? Je ne savais pas si ça serait une visite de cinq minutes, de quatre heures, ou si j’allais même rester la nuit. Pourquoi tu m’avais réclamé, Dina? Les fois précédentes ne t’avaient pas suffit? J’entre pourtant chez toi quand tu te décales pour me laisser passer. Ton appart est plongé dans le noir et ça me mettrait presque mal à l’aise. Une ambiance de ténèbres, de secrets avoués dans l’ombre. Alors j’avance un peu dans la tanière du loup, mais toi, tu restes collée à ta porte d’entrée. C’est bon, je vais pas te manger hein, t’as pas besoin de rester aussi loin comme une enfant apeurée. J’hésite à retirer ma veste. Encore une fois, je sais pas combien de temps tu espères que je reste ici. Et tes mots, ils me font tilter, je tourne la tête vers toi. « Te dire quoi, Dina? » Je croise les bras sur mon torse, droit comme un ‘i’. C’est une fausse question. Je sais ce que tu veux que je te dise. « A quoi bon te répéter ce que tu sais déjà? J’avais peut-être bu mais j’en n’étais pas moins honnête. » Ne me fais pas répéter mes faiblesses, Dina.

Pourquoi tu veux parler, Dina? J’sais pas ce que je veux de toi, j’sais pas ce que j’attends. Parce que quand tu me touches, je préfèrerais que tu gardes tes mains dans le fond de tes poches et que tu blablates à la place, mais quand tu parles, j’préfèrerais que tu te taises. Parce que tu me pousses hors de mes retranchements. Ouais, je suis quelqu’un d’honnête. Seulement, quand l’honnêteté n’est pas la meilleure solution, faut savoir la laisser de côté. Et on ne parle pas de mensonges là, juste de ne rien dire, pour ne pas tout faire foirer. Pour ne pas faire tout basculer, pour ne pas tout envoyer valser. C’est plus facile d’accepter ses démons avec l’alcool, derrière un écran. En face, c’est dur. Parce que j’ai à affronter ta présence, ton regard, la tension que tu dégages. Et ça m’ébranle. Mais peut-être que si je le dis, que si je l’avoue juste une fois, tu me laisseras tranquille. Peut-être. « Oui, je te désire. À chaque fois que t’es près de moi, c’est dur de résister à l’envie de te toucher. » L’envie de me perdre et d’oublier dans tes bras. J’vais pas te dire que j’suis amoureux ni même attaché parce que j’le suis pas. Pas de cette façon. On ne se connait pas tellement, en fin de compte. Tu ne sais pas grand chose de moi et je ne sais pas grand chose de toi. On a tous les deux les bras croisés sur notre poitrine, deux opposants qui se font face, qui sont prêts à s’affronter dans un combat sans relâche. Mais j’en ai marre de t’affronter moi, Dina. « Pourquoi tu continues? T’as retrouvé la mémoire, maintenant. Tu te souviens de Basile. » Tu te souviens m’avoir dit être dingue de lui ce soir là, le soir où tout a basculé. Alors pourquoi tu t’obstines avec moi?

Oui tu m’attires Dina, irrévocablement, j’ai envie de te désaper et de poser mes mains sur toi dès que je te vois. Et c’est bien pour ça que je te fuis, que j’évite de te croiser. Parce que j’peux pas. Et tu devrais le savoir vu que t’as retrouvé la mémoire, maintenant. Ouais, les nouvelles vont vite à Harvard. J’lui limite vexé que tu me l’aies pas dit de toi-même. Et je roule des yeux à ta remarque. « Et alors ? Moi aussi j’ai baisé Iris et tu dis rien ! » C’est comme Serah, c’est comme Megara – on a tous baisé avec la moitié du campus. Une de plus, une de moins. « J’suis sûr que tu t’es fait quelques-uns de ses potes à lui aussi. » Moi, par exemple, déjà. Alors ne le blâme pas pour des erreurs que tu commets également. Je soupire à tes mots, secoue légèrement la tête. « Dis pas ça. Pour être quelqu’un qui a souffert d’une amnésie totale, je t’assure que t’es mieux avec tes souvenirs que sans. Même les mauvais. » Même ceux qui font mal. Parce que c’est des leçons de vie. Tu tournes les talons et vas te poser dans le canapé, à ton aise. Bon, normal, c’est chez toi. Alors j’obéis – pourquoi j’obéis, d’ailleurs ? – et je retire ma veste en cuir, la posant sur une chaise non loin de là. « Pourquoi t’as voulu que je vienne, Dina ? » Je m’avance, pose mes fesses sur le bras du canapé opposé à celui sur lequel tu es. Je reste distant, peut-être un peu froid. Mais j’y peux rien, j’ai peur. Peur de ce qui pourrait se passer si j’étais trop près.

Je balance que moi aussi, tout comme Basile, j’ai couché avec Iris, et pourtant t’en fais pas tout un plat. Ah. Mais si t’en fais pas tout un plat en fait, c’est parce que tu ne le savais pas. Bien. J’croyais que tu le savais moi, c’était pas un secret. Et ton regard noir, il me transperce comme des lames un peu trop aiguisées. A quoi bon répondre à ton accusation? Oui, moi, je voulais dire. Et d’autres sûrement. J’en sais rien moi, j’étais pas une exception. Mais ça, t’avais l’air d’avoir du mal à le comprendre. Je m’assois sur le dossier du canapé sur lequel t’es à demi-allongée et tu me toises comme un étranger. Du moins, c’est ce que je ressens. « Si, j’en avais envie. Sinon j’serais pas là. » Crois-moi, je ne me serais pas cassé le cul à bouger de chez moi à contre-coeur. Mais non, ça te suffit pas, t’as besoin de parler apparemment. D’extérioriser ta… colère? Hm. Mon prénom déchire le silence de la pièce plongée dans l’obscurité et moi, je reste là, immobile, à écouter ce que tu as à me dire. Et bon dieu c’que tu parles beaucoup pour une fois, Dina. Et tu te diriges vers la cuisine dans une sortie presque dramatique. Dis donc, t’as pas pensé à être actrice dans ton enfance? Alors après quelques secondes de silence pesant, voir si t’allais ajouter quelque chose ou pas, je me dirige vers la cuisine où tu te trouves. « J’compte pas partir. » J’t’ai dit que j’allais passer la soirée avec toi, c’est pas pour dégager au bout de trois minutes. « J’ai pas peur que tu ne tiennes pas ta promesse Dina. J’ai peur de pas contrôler mes gestes si je m’approche trop. » Parce que y’a l’attirance, la tentation, l’obscurité qui me laisse penser que tout ce qui se passe ici restera dans l’ombre, caché de tous. Et y’a la peine de la perte de Cléo aussi que j’essaye d’oublier en faisant tout et n’importe quoi. En gardant mon esprit occupé. Et faut dire que quand t’es là, autour de moi, il l’est. J’arrive pas à penser à autre chose.

Je pars pas. Je ne pars mais je confesse, en revanche. J’avoue que même si toi tu comptes tenir ta promesse, moi, j’ai peur de ce que je pourrais faire si t’es trop près. Et je lâche un petit rire à tes mots. « Ouais, en apparence peut-être. » Mais à l’intérieur Dina, c’est l’anarchie quand t’es à côté de moi. J’ai les entrailles en feu, l’esprit paralysé, partagé entre cet envie irrépressible de te posséder et l’autre de te protéger. Un combo assez malsain, si tu veux mon avis. Et même quand t’es pas là, c’est pas pour rien que je rêve de toi. Deux verres et une bouteille à la main, tu retournes à ta place initiale. On va boire? Sérieusement? « On a déjà du mal à se contrôler sobres… » En fait, sobres ou pas, on ne s’était jamais contrôlés toi et moi. La première fois on avait même pas essayé de lutter. La deuxième fois, tu m’avais quand même touché. La troisième fois, un baiser volé. Et aujourd’hui, ça serait quoi hein? Mais je soupire légèrement et je m’approche, à pas de loup, jusqu’à m’asseoir à tes côtés sur le canapé. « Vas-y. » De toute façon, qu’est-ce que j’avais à perdre? Rien. J’avais déjà tout perdu.