Elle ne se souvient plus vraiment des premières notes qu'elle a entendu. Des premiers sons ayant pénétré ses oreilles d'enfant. Ronnie n'a pas eu de moment révélateurs ou de déclics comme on en voit dans les fictions. Elle a toujours su, là où la mène son plus ancien souvenir, qu'elle était faite pour la musique. Ou comme elle préfère l'énoncer, que la musique était faite pour elle. C'était l'un des deux seuls univers dans lequel elle savait s'émerger, s'engouffrer, s'y noyer avec une compréhension absolue. Née dans le sud de la France, dans une ville comme il en existe beaucoup, ni trop peuplée, ni pas assez, la jeune fille a grandi sans heurts. Malgré que ses parents n'étaient pas les plus présents de part leurs métiers respectifs, les St-Clair était une famille unie. Se laissant vivre au rythmes des saisons puis des années, elle a connu tout ce qu'une jeune fille épanouie a besoin de connaître. Des amis dont on se souvient toute sa vie, des rires, des cris, des pleurs, des rires à nouveau. Grand huit d'émotions qui érige un enfant. Elle avait presque tout vu. Tout sauf une chose. La passion. La passion et ses dévers, ses néants, ses pièges à vous arracher le cœur. La française n'allait pas tarder à apprendre à ses dépens, qu'elle peut nous mener vers de dangereux chemins.





Tout ça arriva quelques années plus tard, après le déménagement de la famille dans la capitale suite à une mutation de Nicolas St-Clair, le père de Ronnie. Cela faisait trois ans maintenant, et elle avait attaqué sa dernière année de lycée depuis quelques mois. C'est aujourd'hui qu'elle se dit avec amertume qu'elle ne se souvient plus de rien concernant cette journée, quand tout a basculé. Ni du temps qu'il faisait, ni des vêtements qu'elle portait. Tout ce dont elle se rappelle, ce sont les regards qui se posaient sur elle alors qu'elle marchait dans les couloirs du lycée. Les chuchotements indiscrets, les œillades tantôt méprisantes, tantôt pleine d'une pitié qu'elle ne s'expliquait pas. Mais le seul regard qui avait de l'importance n’était pas parmi eux. Ronnie ne tarda pourtant pas à le croiser quelques minutes plus tard. L'image en danse encore derrière ses paupières aujourd'hui, la hantant nuits et jours. Elle pensait connaître ses expressions par cœur, cette fossette au creux de sa joue lorsqu'Il souriait, la ride qui se formait entre ses sourcils lorsqu'Il était soucieux, la douceur qu'elle pouvait lire dans ses yeux lorsqu'il les posait sur elle. Mais celle qu'elle vit ce matin alors qu'elle le croisait au détour d'un couloir, aussi froide fut-elle, était le dernier souvenir qu'elle allait avoir de Lui. Je vous veux tous les deux dans mon bureau. Immédiatement. La voix du principal qui venait de s'élever près d'eux était sans appel. Ronnie jeta un regard plein d'incompréhensions et de panique à celui pour lequel son cœur battait ces derniers jours plus que de raison, mais n'obtint que la fuite alors qu'il emboîtait le pas à leur interlocuteur. Alors qu'ils s'asseyaient derrière le bureau, le principal posa avec une colère non dissimulé un journal devant la lycéenne. C'était celui de l'établissement, et ce qu'elle vit sur la page de garde lui coupa le souffle. Livide, il dut lui retirer l'hebdomadaire des mains alors qu'elle peinait à assimiler ce qu'elle venait d'y voir, et ce que cela signifiait. Alexis, tu me déçois beaucoup. Le concerné ne répondit rien, comprenant les conséquences que tout cela allait avoir. Car les protagonistes sur les photos trônant en première page du journal n'étaient autre qu'eux d'eux, dans des situations trop proches pour permettre le moindre doute sur leur relation. Tout ça aurait pu être tellement simple. Il aurait pu n'être qu'un lycéen comme les autres et rien ne serait alors arrivé. Mais ce n'était pas le cas. Alex était professeur. Et Ronnie encore mineur. Le genre de situation dont les gens se délectent dans les livres, à la télé, au cœur de leur fantasmes les plus inavoués. Rien qui n'égale la réalité des choses. Ils n'avaient rien demandé, rien voulu, rien contrôlé. C'était juste arrivé, comme ça, sans crier gare. Et les retombées étaient plus douloureuses que ce que la brune n'avaient jamais ressenti. Son corps entier cru se briser après ce jour-là. Tout se passa à une vitesse affligeante et pour être honnête, elle ne se souvient pas bien de tout, vivant le moment comme étrangère, une bobine qui s'étire devant ses yeux, une histoire qui n'est pas la sienne. Ce jour-là, Alexis s'était fait renvoyé et surement radié de la profession, elle n'a jamais réellement su les détails et ne l'a jamais revu. Suite au scandale, elle n'est plus jamais retourné à son lycée et a fini son année par correspondance, presque entièrement cloîtrée entre les murs de sa chambre. La plupart de ses amis ne l'étaient plus, ne comprenaient pas, la plaçant au mieux en victime d'un manipulateur. C'était plus simple pour eux, mais Ronnie, elle ne voulait plus les voir, fatiguée de leurs spéculations, de leurs réconforts ne servant qu'à apaiser leur culpabilité de l'avoir jugée, comme tout le monde. Alors elle a fuit, loin de Paris, loin de la France. Sa relation avec ses parents était brisée et ils accueillirent presque avec soulagement sa demande pour aller étudier à Harvard. C'était mieux pour tout le monde. Pour eux, comme pour elle. C'était ainsi qu'elle finit par être acceptée dans la célèbre université de Cambridge, là où personne ne connaîtrait son nom, son histoire. Là où elle pourrait tout recommencer.