Elles marchaient en rang serré. Presque comme une formation militaire. Comme si elles se connaissaient toutes. Contrairement à de nombreuses autres manifestantes, Lavender n'avait ni bannière ni pancarte. Elle comptait s'époumoner une bonne partie de l'après-midi pour la meilleure cause possible. Lavender avait beau suivre de loin les sondages, elle était persuadée que la confrontation entre Trump et Clinton ne se terminerait pas bien. La foule grondait déjà depuis quelques années. L'Amérique raciste et misogyne. Celle qui déposerait sans hésiter un bulletin pour élire un businessman à la tête du pays. Cet homme ne vivait que pour s'endormir sur un matelas de billets verts. Comment pouvait-on être président lorsqu'on vendait des steacks à son nom ? L'idée que Trump entre un jour à la maison blanche l’écœurait. No You Can't, No You Can't... Le poing en l'air, elle scandait le même slogan que la marée humaine qui se déversait actuellement dans les rues principales de la ville. Elles étaient des centaines, peut-être des milliers. Impossible pour elle d'imaginer Trump remplacer un jour le premier président noir des Etats-Unis. Trump et Obama, c'était le jour et la nuit. La fraternité contre la ségrégation. L'égalité contre l'anarchie. Lavender était née dans une Amérique libre et c'était pour elle qu'elle descendait dans la rue.

Une manifestation avait lieu sur la grande place de la ville, c'était en faveur des droits pour les femmes. Trump avait encore fait parler de lui avec des lois incompréhensibles. Et même si je n'étais pas une grande passionnée de droit, j'aimais participer à ce genre d'évènement d'une part pour montrer mon soutien auprès de toutes les femmes américaines. Mais aussi d'autre part, je savais que mon paternel allait m'appeler pour me demander d'arrêter de protester afin de préserver sa réputation. Sauf que j'étais dans mes droits de faire entendre ma manière de penser qui allait à l'opposé de mon paternel alors je m'en moquais. Et puis je ne supportais pas le machisme des hommes, que les femmes soient soumises aux hommes, tout cela me donnait de l'urticaire. Étonnant pour une femme qui se plait dans une relation exclusive avec un seul homme, non ? Pas tellement car je me sentais bien avec Aaron et que même si notre relation pouvait en déplaire à certains, je m'en moquais comme de l'an 400. Après tout, nous sommes les seuls maîtres de faire ce dont on voulait. Du coup, j'avais choisi de descendre dans la rue pour défendre cette Amérique libre que je voulais voir revenir. Je me trouvais donc dans la foule quand je vis une jeune femme qui semblait vouloir ne plus avoir de voix à la fin de la journée. Alors je décidais de me rapprocher d'elle en la saluant.   « Vous aussi vous êtes là pour soutenir les femmes sans pancarte ? », lui disais je, entre deux hurlements de slogans. Il est vrai que les pancartes ne servaient pas à grand chose car cela n'avait pas autant d'impact que notre propre voix. Je décidais d'attendre qu'elle me réponde avant de me présenter et je ne voulais pas perdre le fil de la manifestation non plus.

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Leur marché était calibrée, volontaire. Lavender n'était qu'un visage parmi une foule de femmes victimes des idées plus qu'arrêtées de Trump. Celui qui s'amusait à descendre les femmes plus bas que terre n'était pas digne de se présenter pour la présidence des Etats-Unis. Lavender avait grandi dans une famille soudée. A la disparition de son père, sa mère avait cumulé deux emplois pour subvenir aux besoins de la famille. Elle était un modèle pour sa fille qui ne supporterait pas l'idée qu'un opportuniste comme Trump puisse remettre en cause le courage déployé chaque jour par des millions de femmes. La marée humaine avançait, se déversant dans les grandes artères de la ville. Étudiantes, femmes seules ou accompagnées de leurs maris... Certains bambins avaient même rejoint le cortège pour se tenir aux côtés de leurs mères. Lavender ressentit une bouffée de fierté à défiler aujourd'hui. Son ADN de Quincy était intact. Pour dire non au machisme. Les femmes n'étaient ni des jouets ni des pions dont on pouvait disposer. Une voix s'éleva à côté d'elle. Lavender tendait l'oreille pour déchiffrer chaque mot dans le brouhaha ambiant. Les pancartes étaient bonnes pour la télévision, les médias en feraient probablement leur quatre heures. "Je plaide coupable," répondit Lavender pendant un temps mort. Il y avait ce qu'il fallait comme pancartes, allant de simples morceaux de carton avec des annotations manuscrites à des slogans imprimés. Elles semblaient flotter au-dessus de la foule. Pro America, Anti Trump... La voix de Lavender se mêlait à celles des milliers de femmes qui battaient le pavé. "On est nombreuses. C'est... fou." La masse semblait s'étendre à des kilomètres à la ronde, la forte mobilisation était bon signe.

Toute ma vie, j'avais vu ma mère tout faire pour que je ne manque de rien. Certes elle avait réussi à obtenir de mon père une bonne pension alimentaire et il lui avait même laissé la maison où j'avais grandi. Preuve qu'il pouvait être un vrai requin en affaires mais savoir être un bon père au final. Ou plutôt il ne voulait sans doute pas que son divorce avec ma mère ne lui fasse une mauvaise publicité. Après tout, il était un avocat réputé, sa réputation était en jeu et pouvait lui coûter sa carrière si le divorce s'avérait houleux. C'était ce côté macho que je détestais le plus chez mon père alors lorsque j'avais entendu parler d'une manifestation anti Trump, j'avais décidée d'aller y faire un tour. Ma mère aurait voulu y venir aussi mais elle avait été retenue à son travail. Il y avait des femmes de tous les âges, célibataires ou mariées, avec ou sans enfants. C'était génial de voir autant de monde se rassembler pour défendre une cause qui nous touchait toutes et tous. Car il y avait aussi quelques hommes venus soutenir leurs femmes sans doute. Parmi la foule, je vis une jeune femme et décidais de venir faire sa connaissance, elle semblait être une véritable militante, du moins une pro des manifestations. Alors je vins lui répondre, tout en scandant le slogan au son de ma voix qui se mêlait à celles des autres femmes.   « Oui et tant mieux si on est nombreuses, ca fera peut être comprendre à Trump qu'on ne veut pas de lui ni de ses lois machistes », venais je de lui dire, tout en continuant de crier le slogan malgré que ma voix était cachée par les milliers de voix autour de nous. Je décidais aussi de venir me présenter à la jeune femme.   « Au fait, moi c'est Enora et toi ? », lui demandais je, la tutoyant car on devait avoir pratiquement le même âge.

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C'était la première fois qu'elle descendait dans la rue. La première fois qu'elle osait clamer haut et fort ses convictions. Elle savait que ces élections étaient en train de déchirer le pays. Les sondages annonçaient qu'Hilary Cliton disposait d'une mince avance face à Trump. Lavender se méfiait de ces résultats. Les intentions de vote changeaient comme la météo. Entre les programmes des deux candidats, il y avait tout un monde. L'un était tourné vers l'Europe, le second affichait une volonté claire de vivre en autarcie. Fermer les frontières, construire des murs... Comment pouvait-on encore penser se faire élire avec des idées venues du siècle dernier ? Ajoutez à cette politique arriérée une bonne dose de misogynie pour obtenir l'un des candidats à la Maison Blanche. "Lavender" répondit t-elle en attendant une accalmie. Alors qu'elle avait pris son courage à deux mains pour rejoindre le cortège, Lavender se sentait soudain... forte. Elle pouvait sentir l'énergie dégagée par chacune des femmes qui se tenaient à ses côtés. Un mouvement de foule sur la gauche. Un journaliste s'était visiblement frayé un chemin jusqu'au coeur de la manifestation, sa caméra braquée vers elles. Je crois qu'on est filmées... Pro America, Anti Trump... Un peu plus fort encore. Lavender en profita pour pousser sur sa voix. C'était le moment où jamais. Ces images étaient probablement diffusées en direct.