Depuis l'accident de Meadow, cette dernière s'était rendue compte que continuer son cursus en Droit ne pouvait que lui demander des efforts bien supérieurs à la normale. Déjà, poursuivre son apprentissage du braille, encore un brin hésitant, devenait une nécessité absolue, là où tous ses bouquins de cours ne pouvaient qu'être inscrits avec cette méthode... difficile de se ramener en cours avec un ordinateur programmé pour elle, à dicter ce qu'il lui fallait apprendre, tandis que l'engin répétait bêtement, à voix haute, tout ce qu'elle venait d'énoncer. Une façon un peu particulière d'étudier pour laquelle la jolie espagnole prenait ses marques, peu à peu, quitte à demander l'aide bienveillante de ses professeurs. Mais à l'approche des partiels, point d'aide qui tienne, la blonde se retrouvait seule devant ses énormes livres en braille, à la bibliothèque, à retenir - plutôt aisément, fort heureusement - des centaines de données juridiques, prête à les ressortir au moment des examens écrits et oraux. Au début, le regard de sa voisine de table ne s'était pas fait sentir. Curieusement, ce n'est qu'au bout d'un moment que Meadow releva la tête de son bouquin, se sentant comme observée. Pourquoi, comment, impossible à dire. Elle le sentait, c'est tout. Un problème peut-être ? demanda-t-elle d'une voix douce, sans animosité aucune, son fort accent espagnol se faisant sentir plus que jamais.

L'idée que cette fille s'imagine des images et apprenne des choses par la simple application de ses doigts sur ces pages, ça me fascinait. Je me doutais bien que pour elle ce n'était pas particulièrement une partie de plaisir, et je ne dis pas que je voudrais être à sa place, mais il faut tout de même admettre que de voir une personne avec la capacité de s'imaginer le monde de manière parfaitement aléatoire et selon ses envies avait sa part de magie. Visiblement elle avait compris que je la fixais de manière insistante sans vraiment que je le veuille. Elle me le fit comprendre avec ces quelques mots accompagnés d'un accent très latino et avec une douceur presque attendrissante.  Oh pardon ! Je sais que c'est très malpoli de ma part de te fixer comme ça mais... Tu vas certainement trouver ça bizarre mais tu me fascines. Le seul fait qu'elle ait été capable de sentir mon regard braqué sur elle était une intrigue en soit, ça ne faisait que renforcer cet aspect magique que j'ai tendance à associer à ces personnes atteintes de cécité.

Meadow n'aurait pu décrire la raison l'ayant poussée à sentir ce regard insistant sur sa personne. Mais elle le sentait, point final. Depuis son accident, la jolie espagnole avait appris à faire confiance à ses autres sens, nettement plus développés que la moyenne. Chaque son pouvait être une mélodie ou, au contraire, une malédiction de chaque instant, tandis qu'elle se repérait à sa mémoire, au toucher ou même à l'odeur de certains parfums, pour reconnaître ses proches notamment. Une façon comme une autre d'être autonome, envers et contre tout. La réponse de cette demoiselle, puisqu'il s'agissait bien d'une demoiselle, fut quasi immédiate et particulièrement surprise. Celle-ci ne s'attendait sûrement pas à ce que l'étudiante en droit ne sente son regard sur elle, ou ne lui fasse remarquer, à tout le moins... Je te fascine ? répéta-t-elle, au comble de l'étonnement. C'était bien une première ! Personne n'avait jamais avoué être fasciné par elle avant aujourd'hui, tant et si bien que Meadow, dont le doigt se trouvait toujours sur son libre, redressa complètement la tête pour tenter de regarder son interlocutrice, alors qu'elle ne pourrait jamais qu'imaginer son visage. Pas de soucis pour la politesse mais... en quoi suis-je fascinante ?

J'étais une personne très... Originale. L'espèce humaine pouvait être une source infinie de curiosité pour moi. Chaque chose qui rend une personne si différente me fascine. J'avais mille questions à poser à cette jeune femme que je venais de rencontrer au beau milieu de la bibliothèque universitaire. Oui, tu me fascines. Tu dois sûrement considérer ta cécité comme un handicape et c'est à juste titre, mais je suis tellement curieuse de savoir comment tu perçois le monde, ton monde. Elle n'avait aucune limite, si ce n'est son imagination. Qu'est-ce qui l'empêchait d'imaginer qu'elle était présentement sur Mars, ou même dans une autre galaxie ? Rien ne pourrait prouver le contraire. Elle avait beau être comme prisonnière du noir complet, c'était aussi l'être le plus libre. Libre de voir sa propre utopie prendre vie autour d'elle, libre d'idéaliser le monde de façon idyllique. Ça risque de te sembler bizarre mais j'aimerai vraiment en savoir plus sur toi, tu crois que nous pourrions nous retrouver autour d'un café ? Je ne savais même pas si elle se sentait offensée, ni même si elle me détestait déjà, mais je prenais le risque. C'était une personne bien plus incroyable qu'elle ne pouvais se l'imaginer, il fallait qu je prenne cette chance de la découvrir.