Meadow aurait très bien pu passer à côté de la salle de musique sans prêter attention. Mais le son qui en émanait était si beau, si pur qu'elle ne put décemment s'empêcher d'en pousser la porte, en toute discrétion, pour écouter quelques secondes supplémentaires cette mélodie apaisant chaque parcelle de son être. Pourquoi, comment, impossible de le dire. Mais les faits étaient là : alors que sa journée promettait au départ d'être longue et douloureuse, voilà qu'elle se plaisait à sourire, et à sentir son corps bouger au fil des notes. Bientôt, ce fut presque une nécessité pour elle que d'occuper un brin d'espace à l'aide de ses mouvements gracieux, allant de pair avec la musique que son ouïe captait à la perfection. Pour un peu, on aurait pu croire que les deux jeunes gens étaient un duo de toujours, et se connaissaient si bien que chaque note se répercutait en miroir dans la danse de la jolie blonde. Mais il n'en n'était rien en vérité. Ce fut presque d'ailleurs à contre cœur que la demoiselle se stoppa, en même temps que la mélodie. Elle demeura là, droite comme un i, un bon moment, sans comprendre ce qui l'amenait à rester, avant de s'approcher de l'endroit d'où était jouée la musique si pure l'ayant poussée à danser. Sans y réfléchir, après s'être assise, elle prit la main de celui qu'elle pensait être un homme - au juger de ses mains justement - se fendant d'un large sourire. Quiconque capable de jouer une si belle musique, si pure... ne peut qu'être une belle personne...

En prenant Musique en Majeur à Harvard, j'ai un accès presque illimité à la salle de musique, et ne pouvant pas avoir de piano dans ma chambre, beaucoup trop petite, je viens souvent ici pour pratiquer, me détendre et me changer les idées. Ma chienne Elizabeth est toujours avec moi, et elle a une façon adorable de secouer la queue en rythme avec la musique lorsque je joue. Cet après-midi, j'ai choisi de m'entraîner à jouer Try de Colbbie Caillat car la partition est assez facile et très agréable à l'oreille. Je pense même qu'en accélérant de 1.25 la vitesse de jeu, on pourrait obtenir quelque chose de sympathique. Je m'installe donc dans ce lieu qui est ma seconde chambre à l'université, et joue. Je place mon portable sur le pupitre avec la partition dessus, et commence à jouer en suivant les notes. Mes doigts semblent connaître par coeur les mouvements à faire, car ils me viennent avec une facilité déconcertante pour un morceau que je n'ai que trés peu joué au part avant. Je ne sais pas combien de temps après avoir commencé, mais une jeune femme blonde entre. Je ne la connais pas et ne l'ai jamais vu. Elle a au début l'air d'être là simplement pour écouter la musique, mais se met à danser au bout d'un moment, comme portée par les notes. Elle est si pleine de grâce que j'ai du mal à la regarder tout en continuant à jouer alors que je ne connais pas la chanson par coeur. Son corps semble avoir toujours fait ça, et l'accord de ces deux arts me laisserait sans voix si ce n'était pas déja le cas. Lorsque viennent les dernières notes, elle reste quelques secondes dans le vide à attendre quelque chose, mais je ne sais pas quoi, puis elle vient vers moi. Elle semble un peu perdue, car elle cherche à tâtons où se trouve le piano, puis s'assois sur le bout du banc restant, et prends mes mains comme si elle avait fait ça toute sa vie. Elle me dit sans que je ne m'y attende : Quiconque capable de jouer une si belle musique, si pure... Ne peut qu'être une belle personne... J'ai envie de lui dire merci, mais je ne peux rien faire avec les mains prises, alors je me détache d'elle attrape mon portable. Je tape "Merci" et la voix synthétique se fait entendre.

Meadow n'attendait rien de précis, hormis la possibilité de pouvoir remercier le jeune homme de lui avoir offert un tel moment de quiétude. Certes, sûrement n'avait-il rien demandé et ne souhaitait-il rien, mais c'était important pour la demoiselle que de complimenter sa musique, sa dextérité, le doigté dont il venait de faire preuve. La jolie espagnole n'avait pas entendue une telle merveille depuis bien longtemps, son ouïe se développant au fil des jours, alors que sa vue restait morte, inerte. Finalement, elle craignait qu'il ne pointe sa cécité du doigt, et c'était avec cette crainte au ventre qu'elle s'assit, énonçant quelques mots emplis de douceur. Lorsqu'il retira ses mains des siennes, la blondinette fut en apnée, avant que la surprise ne s'empare des traits de son visage. Bigre. Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour comprendre qu'elle se trouvait en face d'un jeune muet, sûrement aussi brisé qu'elle, quelque part... Mais non, pas de besoin de me remercier, je dis juste la vérité répliqua-t-elle avec un sourire d'autant plus attendri et franc. Sans doute était-ce un brin maladroit que de poursuivre sur cette lignée, mais elle ne put décemment s'en empêchée, ôtant au passage ses lunettes de soleil fines pour découvrir ses yeux d'un bleu azur contre lequel un voile recouvrait ses pupilles. Je ne voulais pas te gêner à me répondre... mais comme tu peux le voir, si jamais tu peux le voir, je ne suis personne pour juger, bien au contraire...