Elle surplombait une mer. Une mer noire, une mer blanche, une mer métissée comme il en avait toujours rêvé. Jane retenait ses larmes la tête haute. Ils avaient perdu une figure, elle venait de perdre la personne la plus chère à ses yeux, son grand père, Nelson Mandela. Mandela est mort. Elle ne cesse de se le répéter, dans sa tête comme à la télévision, tout tourne en boucle. Il y a des caméras autour d'elle qui bourdonnent comme des insectes. L'événement est grandiose, le silence assourdissant. Jane baisse les yeux sur la foule immense et flottante, comme un océan en pleine tempête, colère et recueillement envers celui qui a fait grandir l'Afrique du Sud... C'est lui qui l'a vu grandir. Sa mère avait eu tellement de difficulté à tomber enceinte. Jane c'était un don du ciel, un sourire sur des visages trop souvent tailladés. Elle était la prunelle des yeux de toute une nation.


« Tu la surprotèges Karoline. » Son visage ridé et fatigué sourit encore. « Grand père a raison maman, c'est pas comme si j'allais risquer ma vie. Je vais à une soirée du lycée. Pas d'alcool, pas de drogue, pas de...bref, t'as compris l'idée. J'ai quinze ans, presque seize. Laisse moi vivre. » Les yeux si bleus de Jane, héritage de sa mère, néerlandaise, croisèrent ceux, si noirs de son grand père. « Jane, tu ne peux pas comprendre, j'ai eu ton âge, je sais de quoi vous êtes capables. Si il t'arrivais quelque chose je ne le tolérerai pas. » Jane se leva, énervée, marchant à grands pas rapides au milieu du luxueux salon de marbre. « Ah ouais, t'as été jeune ? Bah laisse moi y aller alors, si t'as été jeune. J'vais pas mourir, on va pas m'enlever et de toute façon, j'aurai les gorilles avec moi. » Le vieil homme et ancien président haussa les sourcils.  « ma chérie, je préfèrais que tu parles de tes gardes du corps, autrement qu'en les comparant à des primates. Ils ne font que leur travail. » Levant les yeux au ciel, l'adolescente répondit d'une voix chargée de reproche.  « J'arrête de les appeler comme ça et je vais à la fête. Deal. » Elle avait encore à apprendre des négociations Jane...  « D'accord. Et tu rentres à minuit. » Bataille de regard, l'un scandalisé, l'autre intransigeant.  « T'es beaucoup trop vieux jeu. J'vais me changer. »


Les lumières l'aveuglaient, la musique la rendait sourde, Jane se sentait vivre. « Attendez moi à l'entrée du lycée messieurs. Une fête de lycéens ça va être barbant et je ne dirais à personne que vous ne me surveilliez pas comme du lait sur le feu. » Elle était douée pour imposer sa volonté Jane, et c'est avez un petit sourire de satisfaction qu'elle vit s'éloigner les deux hommes en costumes. Pire que James Bond.  « JAAAAAANE TU ES VENUE ! » Toute la haute société se retrouve dans le meilleur lycée de Johannesburg. Martha, la meilleure amie de Jane n'y fait pas exeption...  « Tient, bois ça, c'est super bon ! » Un verre au liquide rouge bonbon se tient devant elle, en équilibre précaire dans la main de Martha.  « c'est quoi ? » Son immense blonde de meilleure amie éclate de rire.  « Un mélange vodka grenadine. C'est Bastian qui l'a fait... » Jane boit le gobelet d'un coup. Ça a un affreux goût doux amer, et même temps, ça brûle la gorge comme avec un trop plein de sucre. Mais c'est Bastian qui l'a fait, ça compense...  « Immonde. » murmure t-elle dans un sourire.

La soirée est belle, bat son plein. Pas le genre de sage fête lycéenne à laquelle on s'attend.  L'alcool coule à flot, le gymnase est brouillé par une fumée âcre, mélange de cigarette et mauvaise drogue.  « Eh Jane, bois ça ! » La métisse est bourrée, rit sans s'arrêter, danse comme une folle. Rougit. Bastian est devant elle, le plus beau garçon de son lycée,  en dernière année, et il lui parle. Sans même regarder, Jane avale le contenu du verre.  « Tu vas te sentir suuuuuper bien, c'est mon frère qui m'a passé l'exta, personne le sait, j'compte sur ta discrétion babe... » Il l'a appelé babe. La vie est trop belle et sa tête tourne. L'exta. L'extase. L'Extasy ?

Il fait noir.
Elle se sent tomber à terre.
Black out.


Deux semaines après le désastre de la soirée. « Une simple fête lycéenne hein. » Jane pose ses couverts dans un grand bruit. Le sacro-saint repas du dimanche est fichu. Merci papa. « Je ne savais pas ok. J'ai fais des bêtises, j'y toucherais plus. J'ai compris. » Le silence est pesant. « Ne me parle pas sur ce ton Jane. » Mais comment osent - ils ?  « Tout ça, c'est votre faute, c'est... » La voix de sa mère explose comme le tonnerre gronde  « Jane ! » Jane. Jane. Jane. Toujours Jane. Lancinante mélodie comme une horloge détraquée.  « Laisse moi parler ! Vous m'empêcher de respirer, vous voulez me préserver mais vous ne faites que retarder les choses. Je ne suis pas libre papa, et tu sais à quel point je pèse mes mots. Je veux être libre. De sortir, de m'amuser, de faire la fête, et là. Là, j'aurai le droit de me faire engueuler parce que je n'aurai peut être pas respecté ce qui était convenu. Je suis pas une princesse, je suis une fille normale, je veux être normale. Foutez moi la paix. » La jeune fille croisa le regard de son grand père tandis que son petit cousins frappa dans ses mains alors qu'elle quittait la table. Elle les avait déçus, tous. Elle le savait mais dans sa tête se jouait une symphonie sans partition, et ses émotions la sublergeaient sans cesse, elle qui était entrée dans ce monde si impitoyablement violent de l'adolescence survoltée.

Ainsi s'éteint la virulence. Sous les applaudissements.  

   

Il est mort sept mois plus tard, une nuit, un souffle c'était fini. Elle avait perdu son repère Jane, sans ses pupilles noires pour s'accrocher quand tout tournait autour d'elle. Ses gants blancs lui collent à la peau. L'enterrement s'éternise. Les discours s'enchaînent comme des perles sur un collier, tandis que Jane, elle se rappelle sa dernière promesse.


Rares sont les fêtes ou elle apparaît, plus d'alcool plus de conneries. Jane vise Harvard comme un rêveur vise les étoiles. Comme si elle avait déjà marché sur la Lune...