L’hiver avait recouvert la ville de son doux manteau blanc, les guirlandes habillaient déjà les sapins alors que les chants de noël égayaient  la ville d’une façon mélancolie qui ne manquait pas de me rappeler comme j’étais heureux de passer chaque année les fêtes en compagnie de ma jumelle.

Cette année encore on se retrouverait pour chanter en cœur ces chants qui finiraient par rendre fou n’importe qui à la longue. Je souriais en tapotant sur la tête d’une petite fille au costume d’elfe pour la gratifier d’un sourire mérité pour son déguisement et sa bonne humeur.

Je me trouvais en plein cœur du centre commerciale et je m’étais missionné pour la journée de trouver LE cadeau magique que j’offrirais à Charlie. Il fallait que ça soit encore mieux que les années précédentes, mais j’avouais que même si je la connaissais par cœur, chaque année restait un marathon pour trouver l’idée qui ferait fondre le cœur de ma sœur.

Mon regard se portait sur l’enseigne de chacune des boutiques en essayant de trouver la plus propice, je tournais la tête comme une girouette sans faire aussi attention que je le devrais à l’animation grandissante au cœur du centre commerciale. C’est seulement quand je tournais la tête que je me rendais compte que j’allais percuter une passante innocente.

- Oups ! Désolé !

J’engageais une tentative à gauche, puis à droite en l’observant m’imiter chacun essayant malgré lui de se faufiler sans arrivé à désengorger la situation qui ne durait pourtant que quelques secondes, mais qui au ralenti semblait se prolonger pendant bien plus longtemps que ça.

Vous avez déjà été confronté à cette situation gênante ? Savoir qui devrait laisser l’autre passer, parce que toutes les manœuvres d’évitement en commun se soldaient par un soupir embarrassé. Je décidais de reculer pour laisser passer la demoiselle quand je me retrouvais empêtré dans le ruban étendu entre les deux portiques d’une boutique encore en construction.

Tout se passait si vite, d’un côté je voulais laisser passer ma voisine, et d’un autre je perdais l’équilibre. J’essayais dans une tentative désespéré de me rattraper en saisissant la main de ma camarade, mais tout ce que je réussissais à faire c’était de l’emporter dans ma chute, laissant le ruban du portique s’enrouler autour de nos corps qui s’entremêlait dans un pèle mêle qui paraitrait incongru si on voulait le raconter.

Les fesses par terre, j’avais réussi à maintenir l’inconnue au-dessus moi, et j’étais au moins soulagé à l’idée que j’avais pu amortir sa chute. Le ruban autour de nos corps nous empêchait de les éloigner de façon significative, mais je souriais en essayant de reculer mon visage du sien assez avoir une vue d’ensemble de son visage.

- Eh bien, on a déjà le ruban, il ne manque plus que le papier cadeau !

Meadow passait simplement dans le centre commercial en quatrième vitesse histoire de voir le prix d'une poupée réclamée depuis un moment par sa petite sœur de cinq ans, Brianna. Du moins pensait-elle n'en n'avoir que pour quelques minutes à tout casser lorsqu'un jeune homme, complètement inconnu au bataillon - son sens du toucher ou de l'odorat s'en souviendrait dans le cas contraire - ne la bouscule. Au départ, l'étudiante en droit se contenta d'un petit sourire pour lui faire comprendre que ce n'était pas la fin du monde et pouvait arriver à tout le monde... mais à aucun moment la demoiselle n'imaginait que leur mal à partir chacun dans son sens premier allait être la cause de tourments plus importants. Bien entendu, il n'y avait pas mort d'homme, même lorsque ledit jeune homme l'entraîna dans sa chute bien malgré lui, les saucissonnant au passage avec le ruban d'un espèce de portique se trouvant là... probablement pour prévenir de travaux quelconques, ou d'un petit morceau accidenté du carrelage du centre commercial... en somme, son sourire se transforma en rire, car il valait mieux avoir ce réflexe plutôt que de s'énerver inutilement, surtout à l'approche de Noël. Moi je trouve qu'on fera un putain de beau cadeau ! reprit-elle, amusée, alors qu'ils ne pouvaient pas s'éloigner l'un de l'autre. Meadow regardait ce presque parfait inconnu avec la même intensité, du moins l'essayait-elle malgré sa cécité, trouvant que la situation ne pouvait pas être plus cocasse... après tout, plus ils bougeaient, plus ils s'emmêlaient. Quitte à rester comme ça... bah je m'appelle Meadow, et toi ? Nature, peinture. Du pur Meadow devant l'éternel, alors qu'elle passait outre son incapacité à pouvoir voir le jeune homme.

J’étais juste venu acheter un cadeau pour ma sœur, ça aurait dû se faire rapidement, mais je n’avais pas prévu tomber nez à nez avec une inconnue. On pourrait même parler de corps à corps, ça serait plus juste empêtré comme on l’était tous les deux. Plus on essayait de bouger et pire c’était, je pouvais voir les gens passez à côté de nous, rire, sans que personne ne s’arrête pour donner un coup de main.

D’une certaine façon j’aurais pu tomber plus mal, la compagnie de cette inconnue n’était pas des plus désagréable. Je lui souriais d’un air sincère lorsqu’elle venait s’étendre sur mon allusion au papier cadeau qui nous faisait pour l’heure cruellement défaut.

- C’est vrai ? Pour quelqu’un qui aurait été vraiment sage alors, je n’ai pas l’habitude de m’offrir sans concession.

Allusion à la fois subtile et incisive, je tentais de voir si je pourrais discuter avec la belle ou si c’était le genre de fille avec qui il valait mieux ne partager qu’un ruban le temps d’un maigre accident. Avec une main j’essayais de trouver de quoi nous détacher quand l’inconnue tentait de ne plus en être une.

- Meadow? C’est un prénom bien surprenant pour une fille qui se laisse enrubanné par le premier venu.

On aurait pu imaginer une fille plus leste, son prénom faisait penser au miaulement d'un chat qui aurait su se glisser d’une façon agile entre les mailles du filet, mais je pouvais constater que mademoiselle ne faisait aucun effort pour essayer de dénouer notre entrave. Après tout peut être qu’il fallait en profiter comme elle avait l’air de le penser pour prendre le temps de faire connaissance.

- Moi c’est Cael !

Il en fallait bien plus pour choquer la demoiselle, qui mine de rien essayait de les dégager mais uniquement à l'aide de ses mains. Elle trouvait inutile de faire de grands gestes qui n'auraient pour résultat que de les emmêler plus encore... aussi, pendant cet ouvrage délicat, pourquoi ne pas faire connaissance ? Meadow n'était pas réputée pour sa timidité maladive, et paraissait même parfois un peu trop brusque dans ses propos. Tel pouvait faire son charme ou bien choquer, suivant le degré de sensibilité de ses interlocuteurs. Pour l'heure, le jeune homme, qui se nommait Cael, n'en prenait aucunement ombrage et plus encore la testait d'une certaine façon. Pensait-il la choquer ? Probablement. Mais le sourire de l'étudiante en droit n'avait pas perdu le moindre millimètre, preuve que le choc n'avait pas été rude, bien au contraire. Qui parle de s'offrir ? On bavasse tranquille, on s'offre pas le taquina-t-elle à son tour, essayant toujours d'utiliser habilement ses mains pour démêler ne serait-ce que le ruban entourant ses chevilles, l'empêchant actuellement de se relever. Mais ce dernier se retrouvant également autour de celles du jeune homme, rien n'était moins évident. Faut croire que j'suis pleine de surprises... mais hey, z'êtes aussi enrubanné que moi, à moins que j'ai une hallucination ! papillonna-t-elle des yeux, essayant de jouer la carte du culot pour cacher le plus longtemps possible sa cécité, laissant un petit rire dépasser ses lèvres une nouvelle fois. Enchantée Cael... en tout cas une chose est sûre : on est doués pour s'emmêler ! C'est limite artistique !

C’était la situation la plus excentrique qu’il m’eu été donné de vivre ces dernières années, autant dire que ça fait un moment qu’il n’y a pas vraiment eu de piment dans ma vie. C’était à la fois amusant, et intriguant de faire connaissance avec cette belle inconnue que l’entrave du ruban n’avait pas l’air de perturber plus que moi.

J’apprenais son prénom, ainsi que le fait qu’elle ait autant de répartie que de mal à se délester de nos liens. J’avais arrêté d’essayer de nous sortir de là, après tout je me disais qu’on aurait pu trouver plus camarde de ruban, je lui souriais d’une façon complice en la regardant s’attaquer à nos chevilles pour enlever le ruban.

- Mais le grand Houdini doit se retourner dans sa tombe en nous voyant si peu doué pour se libérer.

Bon en même temps Houdini n’avait jamais fait de duo avec des rubans de centre commercial, mais j’imagine qu’il aurait trouvé une combine de magicien pour se sortir de là. Avec une main j’essayais de dégager mon poignet, il restait pris entre le ruban et le corps de ma partenaire pour ce numéro d’illusionniste très spéciale.

- Ne bouge pas, je vais … essayer .. de

En ondulant mon corps tel un serpent, j’essayais de me faufiler comme je pouvais à travers les liens qui semblaient presque se resserrer sur nous. Avec mon poignet qui avait gagné sur quelques centimètres de latitude, je détendais le ruban au niveau des hanches de la jeune femme. Je pouvais presque passer la jambe, je forçais un peu, en essayant de ne pas lui faire mal.

- Ça va aller ? J’y suis presque !

Mon genou au niveau des fesses de la blonde, je me cambrais contre elle en essayant tant bien que mal de faire passer toute la jambe. Après un effort de contorsionniste mal aisé je finissais par dégager une jambe. Je n’étais pas peu fier de l’improvisation avant de me rendre compte qu’on avait juste changer de position, j’avais maintenant une jambe dans son dos, l’autre devant la jeune femme qui se trouvait maintenant perpendiculaire à moi avec son bras gauche et mon poignet droit lié d’une façon encore plus étroite qu’avant.

- Bon ok, je crois que c’est pire qu’avant ..

A l'évocation du grand Houdini, Meadow lâcha un rire. Effectivement, la référence valait son pesant de cacahuète en plomb. Jolie référence ! Sauf qu'il était tout seul ce brave Houdini je crois, non ? En même temps, personne n'avait sûrement expérimenté le fait d'être littéralement saucissonné à quelqu'un d'autre à l'aide d'un ruban de centre commercial. Ruban se trouvant probablement là à cause d'un sol mouillé dangereux ou d'une zone à ne pas traverser. Si la jolie espagnole n'en n'avait pas la moindre idée - sa cécité n'aidant pas en la matière - elle essayait tout de même d’œuvrer sur leurs chevilles, solidement attachées. Mais cet essai eut pour résultat un échec plus que cuisant, la faisant délicatement soupirer. Comment diable allaient-ils se sortir de ce pétrin ? Je t'en prie, je ne bouge pas d'un pouce ! s'exclama-t-elle en le laissant oeuvrer, tentant de ne pas bouger malgré le fait que cette proximité la mette légèrement mal à l'aise. Tout ce qui pouvait lui rappeler son viol la mettait dans une bien mauvaise condition à dire vrai, même si Meadow faisait absolument tout son possible pour le cacher. De son côté, Cael tentait elle ne savait quoi, incapable d'observer la scène, espérant que son côté voyant l'aiderait davantage... mais ce fut pire, car la pression sur ses poignets s'en fit aussitôt ressentir, alors que la jambe du jeune homme se trouvait désormais dans son dos... provoquant un nouveau rire chez la demoiselle. Je crois qu'on est mal barrés ! En plus, tu crois que quelqu'un viendrait nous aider ? Même pas ! M'enfin, tant qu'on ne nous filme pas...

Malgré nos efforts pour essayer de sortir de cette situation rocambolesque, tout ce qu’on arrivait à faire c’était pire que mieux. Les liens se resserraient en même temps que notre proximité et notre malaise. La seule chose qui relevait la situation c’était la charmante compagnie qui m’était tombé dessus sans prévenir.

- Je pense que s’il avait une assistance aussi charmante, ce brave Houdini aurait perdu toute envie de rompre ses liens.

C’est même là-dessus que Meadow finirait par conclure que je fais exprès de ne pas y mettre plus du mien, pourtant j’essayais. Lui demandant de ne pas bouger pour qu’on puisse tenter chacun notre tour une technique d’évasion en vue de se relever d’une façon plus ou moins digne.

Je me retrouvais à cheval avec la belle entre mes jambes, dans une position encore plus inconfortable qu’avant. Autant dire que rien n’y faisait et que nous n’arriverons pas à mieux à nous débattre tous les deux. Mes yeux se portaient un peu plus loin sur des touristes japonais qui semblaient ravis de nous observer.

- Putain tu as des yeux derrière le dos ? … il y a deux Japonais derrière avec un appareil photo !

Le petit homme aux yeux bridés me souriait en penchant la tête d’une façon courtoise comme pour signifier qu’il était compatissant. Les sourcils froncé je lui envoyais un regard noir avec des gestes d’une main et d’un pied pour montrer au couple de touriste qu’ils seraient bien venus de nous aider un peu.

- Tu crois qu’ils parlent notre langue ? MONSIEUR, S’IL VOUS PLAIT, AIDEZ NOUS !!!

En articulant ma demande j’attendais qu’un des deux bouges. C’était la femme qui hochait trois fois la tête en articulant de son côté quelque chose d’incompréhensible qui s’approchait de la blonde, en s’agenouillant pour venir prêter main forte. J’imagine qu’à trois nous devrions nous en sortir, même si niveau communication ça n’était pas gagné.

Meadow ne manqua pas de rougir légèrement au joli compliment que venait de lui servir Cael sur un plateau. C'était tellement rare qu'on la complimente, elle, la jeune aveugle que l'on évitait, que contrôler le rouge lui montant aux joues fut impossible. Je suis flattée... mais hélas je crains de n'être pas d'une grande aide en tant qu'assistante de qui que ce soit ! plaisanta-t-elle en laissant un fond de vérité planer autour d'eux, alors que le jeune homme se démenait pour tenter une nouvelle percée dans leur emmêlement. Autant dire que ce ne fut pas mieux, même pire, et si la jolie espagnole tenta un nouveau trait d'humour, elle ne s'attendait en aucune manière à ce que la vérité ne la rattrape aussi vite. Apparemment, deux japonais se trouvaient non loin d'eux, avec leurs appareils photos, en train de les photographier ou de les filmer... l'horreur. Meadow se mit à grimacer. Des yeux derrière le dos ? Si jamais des yeux tout court ce serait déjà tellement pratique ! soupira-t-elle à voix basse, ne sachant pas si Cael l'entendrait ou pas, puisqu'il s'évertuait à tenter de les appeler à l'aide. S'ils étaient japonais et ne parlaient que cette langue, la demoiselle ne serait d'aucun secours. En revanche, s'ils étaient chinois... Ils répondent ou pas ?! Tu es sûr qu'ils sont japonais ? Attends, je vais essayer de leur parler chinois ! s'exclama-t-elle en tentant la même phrase que le beau blond, mais dans la langue précédemment citée. Sauf que pour le moment, aucune réponse...

Empêtrer avec ma nouvelle assistante, j’avais encore des choses à apprendre en matière d’évasion. On avait beau plaisanter sur le prestidigitateur tristement célèbre, il fallait lui reconnaitre un talent dont nous ne disposions ni l’un ni l’autre. Chacune de mes tentatives étaient vaines et c’était dans une situation toujours plus folle que je me retrouvais contre la blonde.


- T’en fait pas, je veille au grain, tes arrières sont bien couvert.

Elle ne pouvait pas se retourner, et si elle n’avait pas un regard omniscient, à nous deux on devait avoir une vision d’au moins 300 degrés. Après avoir repéré le couple asiatique pas loin, j’en avertissais Meadow qui devait se moquer même sans le vouloir de ma façon exécrable d’essayer de communiquer.

- Tu as déjà vu des chinois avec un appareil photo ? S’ils avaient un chapeau traditionnel je dis pas, mais là … tout ce que je peux te dire c’est qu’ils ont les yeux bridés et qu’ils ne comprennent rien à ce que je dis.

S’ils pouvaient au moins alerter quelqu’un qui comprenne notre langue, ça n’était pas comme s’ils ne nous avait pas vu. Je gardais les yeux en direction du couple pendan.t que ma voisine faisait une tentative dans une langue qui m’était inconnue. Les sonorités étaient orientale, mais elle aurait pu raconter n’importe quoi que je ne saurait pas traduire.

En essayant d’analyser les réactions de nos voisins, je soupirais en ne voyant rien transparaitre. Certainement que la jolie blonde aurait plus de succès que moi, et que regarder ses yeux dont je ne pouvais qu’imaginer la couleur les attendrirait davantage.

- Je crois que ça marcherait mieux si tu les voyais, tu arriveras plus facilement à leur faire des yeux doux. Je vais tenter un truc, attends je …

En gesticulant, j’informais la jeune femme coincée contre moi que nous allions bouger. En prenant appuis sur ma jambe dégagée, j’essayais de tourner, et de pousser assez fort pour que mon poids ne tombe pas, ou que peu de temps sur elle. En quelques seconde nous venions à vriller de 180° en échangeant nos point de vue dans un effort spontané.

- C’est bon tu les vois ? Ils sont chinois d’après toi ?

Rien qu'à l'idée que Cael puisse couvrir ses arrières amusa beaucoup Meadow, malgré la situation. Elle ne manqua pas d'éclater singulièrement de rire, ne pouvant hélas qu'imaginer la position dans laquelle ils se trouvaient. Pour sûr, si on leur coupait tout lien, ils ne manqueraient pas de s'écraser à même le sol comme deux bouses. Rien de bien réjouissant en soi, au même titre que l'incompréhension totale des deux asiatiques qui, au lieu de les aider, se contentaient de prendre bêtement des photos. La jolie blonde espérait, naïvement sans doute, qu'il puisse s'agir de deux chinois, auquel cas elle aurait pu s'exprimer dans leur langue, mais d'après le jeune homme, ce n'était pas aussi évident que ça. On ne sait jamais, ça fait cliché de dire que seuls les japonais ont des appareils photo quand même ! grimaça-t-elle doucement, ne s'attendant pas à ce que son partenaire de fortune ne la fasse légèrement tourner afin qu'elle soit en mesure de les "voir" en tout en cas d'être dans leur direction. Sauf que la jeune espagnole ne pouvait rien voir... ni les deux touristes, ni leur position, ni rien... Sauf que je serais bien incapable de te le dire, en toute honnêteté... soupira-t-elle, n'aimant pas avouer sa cécité ainsi, en y étant contrainte.