La veille lorsque j’avais reçu ce message concernant votre accident avec Cléolya, j’y avais à peine cru. C’est dingue comment parfois la vie s’acharne en fait. Mon premier réflexe avait été de me dire que j’irais de suite te rendre visite. Puis, j’avais réalisé que je ne serais certainement pas la seule à penser ainsi et donc que je devrais sûrement affronter le jugement de bien des gens qui seraient là pour toi à se dire "elle l’a largué alors qu’est-ce qu’elle fou ici". Du coup, comme je n’étais pas du tout prête à subir les jugements et les regards de travers, j’avais opté pour un message vocale en plus de m’assurer qu’Adria et Aaric te rendrait visite. C’était plus sûr.. Quand aujourd’hui j’avais finalement eu réponse, j’avais ressenti un soulagement sans nom et, malgré le ton froid avec lequel tu m’avais répondu, j’écoutais mon cœur et taisais ma conscience pour me rendre à l’hôpital. Heureusement pour moi, personne n’était à ton chevet lorsque j’entrai finalement. Je cognai doucement sur la porte avant de m’approcher de ton lit. « Hey… »

La première nuit à l'hôpital. La pire. Je n'ai pas été seul, Sacha m'a accompagné et j'ai bien été content de la voir près de moi. Pour autant, je n'ai pas cessé de penser que je ne pourrai plus remarcher, que Lily m'a plaqué. Alors, ce matin, j'ai écoute ma messagerie pour entendre les deux messages vocaux laissés par cette dernière et de finalement trouver le courage de lui répondre que j'étais simplement réveillé. Rien de plus, rien de moins. Elle m'a demandé de venir, je lui ai dit qu'elle fait ce qu'elle veut. Je ne veux pas la forcer, je ne sais pas si j'ai réellement envie de la voir alors que j'essaye tant bien que mal de juste l'oublier. D'oublier les sentiments que j'ai pour elle. La télé allumée dans ma chambre d'hôpital, je regarde un match de football et je suis mal à l'idée de ne plus pouvoir courir. Plus pouvoir pratiquer un de mes sports favoris, celui qui m'a permis de rentrer à Harvard. Lily entre, s'approche de mon lit. Lily... Que je dis simplement en la voyant, mon cœur battant à un rythme élevé. Je ne pensais pas que tu viendrais. A vrai dire, j'ai été froid et distant par message alors...

« Lily… » Je fronce les sourcils en te regardant allongé là. Je déteste te savoir dans un lit d’hôpital, mais je déteste encore plus de ne pas savoir ce que tu es exactement. « Je ne pensais pas que tu viendrais. » J’avale de travers, encaissant l’accusation probablement mérité, mais qui me fait tout de même de la peine. « Même si tu m’avais dit de ne pas venir, je serais venu Kale… j’voulais simplement attendre qu’on puisse être seule. J’suis désolé de ne pas avoir été là à ton réveil.. » Tous ces mots sont sortis rapidement de ma bouche, comme soudainement propulsé à l’extérieur tandis que j’ai encore le courage de les dire. Je me penche pour t’embrasser sur le front, mais me ravise au dernier moment, prenant simplement place sur la chaise à côté de ton lit. « Comment tu vas..? »

Elle est là, j'aurai dû me douter qu'elle viendrai et pourtant, je ne sais pas du tout si j'ai envie qu'elle me voit, surtout dans l'état dans lequel je me trouve. Je suis égratigné d'un peu de partout et je ne peux pas du tout bouger mes jambes. Mon regard se pose sur elle, un regard qui autrefois était bienveillant et aujourd'hui est juste vide. Elle s'assoit tout juste à côté du lit avant de me demander comment je vais, je ris. Je ris parce que tout le monde me pose cette putain de question. Comme un putain d'handicapé. Je ne sais pas du tout si elle est au courant des conséquences de l'accident, je m'en fiche, elle s'en fiche aussi sûrement, elle doit venir par pitié. Qu'est-ce-que tu fais ici ? Tu viens parce que j'te fais pitié ? Tu m'as pas assez fait de mal comme ça, Lily ? Que je balance, énervé, épuisé et en colère contre tout.

Je sais, j’en suis consciente, tout le monde te pose la même question et tu dois en avoir marre. Mais j’ai besoin de savoir Kale. Un rire sans humour quitte ta gorge et je fronce les sourcils. Ce n’est pas drôle, rien de tout ça ne l’est. Et pourtant tu ris. « Comme un putain d'handicapé. » Quoi? Pourquoi? « Qu'est-ce-que tu fais ici ? Tu viens parce que j'te fais pitié ? Tu m'as pas assez fait de mal comme ça, Lily ? » J’encaisse à nouveau, tes paroles pire qu’un couteau planté en pleine poitrine. Je le mérite je suppose. « Je suis là parce que je tiens à toi Kale. Ça toujours été le cas et ce sera toujours le cas. J’suis pas là pour te faire du mal, bien au contraire. » Je baisse la tête un moment. « Pourquoi tu dis te sentir comme un handicapé..? »

Je n'arrive pas à savoir si je suis content ou non de voir Lily, parce que je suis encore amoureux d'elle et je ne peux pas le nier. Pourtant, depuis que je la connais, je n'arrive pas à me souvenir des moments heureux, je ne me souviens que de ce qu'elle me fait. Du mal que je ressens quand elle est là, quand j'entends parler d'elle. Elle me dit qu'elle tient à moi, qu'elle n'est pas là pour me faire du mal et au contraire avant de demander, intriguée, pourquoi je parle d'handicapé. T'es pas au courant ? Que je demande, en fuyant le regard. J'aurai pensé que Aaric, ou même Adria, lui en avait parlé et pourtant... non. Je suis paraplégique. Comme ça, c'est annoncé, c'est dit. Je tends ma main pour prendre la bouteille d'eau posée juste à côté d'où est assise Lily, mais je n'arrive pas et j'ai bien du mal à bouger. Puis... je suis bien trop fier pour demander de l'aide.

« T'es pas au courant ? » Tu sembles à la fois surpris et frustré. Qui aurait dû me le dire? Aaric? Adria? Eh bien non, je n’ai parlé à ni un ni l’autre depuis hier et j’ai préféré venir voir par moi-même. « Je suis paraplégique. » Je te fixe comme si je ne comprenais pas. Pourtant, l’information est un ne peut plus claire. Paraplégique… « Tu.. c’est.. » Je n’arrive pas à trouver mes mots. Ta main se tend vers moi et je mets un moment à comprendre que c’est pour prendre la bouteille d’eau à côté. Je lève les yeux vers toi et, te sachant fier, je me contente de la pousser pour que tu puisses l’atteindre sans pour autant te la donner directement. Comme ça, on pourra tous les deux prétendre que tu l’atteignais dès le départ. « C’est temporaire, pas vrai? Tu pourras aller en rééducation..? »

L'annonce de la conséquence de mon accident est faite, Lily est surprise. Elle ne trouve même pas les mots, de toute façon qu'est-ce-qu'il y a à dire ? Pas grand chose... Je tends ma main vers la bouteille d'eau que je n'arrive pas à attraper, Lily l'amène un peu plus vers moi sans pour autant me le donner, je parviens donc à l'attraper et je bois quelques gorgées. Je ne regarde pas la brune, regardant le mur en face de mon lit. Le silence est rompu quand elle me demande si c'est temporaire, si je pourrai faire de la rééducation. Les médecins ont dit que ça peut l'être, mais que rien n'est sûr. Alors, peut-être que oui, peut-être que non, je ne sais pas. Peut-être qu'il faut de la volonté, de l'espoir, mais à l'heure actuelle, je n'ai plus rien. Je peux dire adieux à tout mes rêves et projets. Ouais... il va falloir que je change entièrement de voie...

Tu ne regardes même pas dans ma direction et, comme tout le reste, ça me blesse à un point tel que j’en souffre physiquement. Malgré tout, je continus de parler, de te poser des questions comme s’il n’y avait pas ce gouffre immense entre nous. « Les médecins ont dit que ça peut l'être, mais que rien n'est sûr. Alors, peut-être que oui, peut-être que non, je ne sais pas. » J’hoche la tête et me fais pratiquement violence pour ne pas poser ma main sur la tienne. Malgré tout, lorsque tu dis simplement : « Je peux dire adieux à tous mes rêves et projets. » Je ne peux plus rester là sans rien faire. Les larmes me montent aux yeux et je prends dans main dans les deux miennes. « Kale… regarde-moi. » Je ne veux pas que tu baisses les bras, que tu perdes goût à la vie et que tu abandonnes sans t’être battu. Tu as toujours été plus résiliant que cela, pourquoi changer aujourd’hui? « Tu es plus fort que ça Kale… et tu le sais. »

C'est dur de se dire qu'on ne peut plus marcher, qu'on n'ait qu'un légume dans ce bas-monde. C'est bien là l'impression que j'ai de moi, ne plus marcher pour moi, c'est de ne plus avoir de vie. Je ne veux pas regarder Lily, je ne peux pas également mais elle me force à le faire. Tournant ma tête vers elle quand elle me le demande, ma main dans les deux siennes. Je vois ses yeux mouillés, elle pleure presque. Je n'en ai pas l'envie, pas la force. Non. Un ton froid et sec, elle ne se rend pas compte que de la voir me fait encore plus de mal. J'ai qu'une hâte : d'oublier les sentiments que j'éprouve pour elle. Tu n'aurais pas dû venir. Que je lâche aussitôt, tout en fuyant le regard et le contact physique que nous avons. Tu ne te rends pas compte du mal que tu me fais encore... et encore, et encore...