« Valentina, veux-tu bien sortir de là où tu te trouves, s'il te plait ? Ton professeur attend de pouvoir commencer ta leçon. » Cachée en dessous du piano familial, la cadette des Östensson refusait catégoriquement de s'en extirper. Sa voix fluette retentit dans le séjour : « Je veux pas jouer du piano, je déteste le piano. Et Mr Colston est trop moche. Et il pue. » La maman blêmit, adressant aussitôt un regard plein d'excuses en direction du professeur de piano, qui venait d'être "insulté" par la gamine de cinq ans. Ce dernier prit congé étant donné la situation, et Valentina profita que sa mère le raccompagna à la porte, pour s'enfuir dans sa chambre, et verrouiller la porte. Les Östensson étaient loin de se douter que la vie ne risquait pas d'être aussi facile que lorsque Katherine était encore leur seule fille unique.

Valentina, elle a toujours été celle qui a bousculé les règles, à la maison comme à l'extérieur, et ce, dès son plus jeune âge. Celle qui n'arrive pas à " rentrer dans le moule ", qui a toujours besoin de liberté, de s'évader. Même en école primaire, il lui était impossible de s'asseoir sur une chaise pendant des heures, et écouter la maîtresse leur assimiler de nouvelles connaissances. Elle ne pouvait s'empêcher de bavarder avec ses voisins, de focaliser son esprit sur une activité diverse, comme par exemple colorier les exercices à faire, ce qui lui valait des sermons, évidemment. Mais ce n'était pas un frein pour recommencer, de plus belle. Papa et maman Östensson veillaient au grain, cependant. Mais difficile de contrôler la petite fille, qui ne semblait pas comprendre le sens du mot 'autorité'. Et pourtant, avec son visage angélique, ses jolies robes roses et son noeud de papillon dans ses cheveux blonds, il paraissait surprenant que Valentina détienne ce genre de comportement, elle qui passait pour un petit ange auprès des personnes qui ne la connaissaient ni d'Ève ni d'Adam. Ne pas se fier aux apparences est une sage expression.
« Elles sont où mes poupées ? » Katherine, du haut de ses huit ans, entra comme une furie dans la chambre de sa petite soeur, qui était en train de casser la portière de la voiture en jouet qu'elle avait dérobé chez son cousin hier soir. « Hé mais c'est à Nathan cette voiture. » Valentina se tourna vers son aînée, et tout en haussant les épaules, lui répondit impassiblement : « Oui mais il a été méchant avec moi, il a pas voulu que je joue avec lui aux voitures. » « Elles sont où mes poupées ? » Valentina marqua un temps d'arrêt, avant de se lever, et de courir à la fenêtre. Un grand sourire aux lèvres, elle s'exclama : « Je les ai jeté par le balcon, elles voulaient aller se promener. » Apercevant les larmes monter aux yeux de sa grande soeur, le sourire de la cadette disparut, et elle lança un : « Attends... » et courut de nouveau pour cette fois sortir dehors, et ramasser tout le dégât qu'elle avait causé, avant de ramener les poupées intactes à Katherine.

La relation qui unissait les deux filles se résumait presque à cela : Valentina commettait les erreurs, puis tentait de se racheter ensuite. Elles se chamaillaient souvent, sur tout et n'importe quoi, ayant des caractères opposés, ce qui avait le don d'énerver les parents. Si Katherine représentait le modèle de la fille idéale, qui réussissait quasiment tout ce qu'elle accomplissait, notamment au niveau des études, point très important pour Mr et Mme Östensson, Siloé comme elle souhaitait qu'on l'appelle à son adolescence, elle, était le contraire. Pas spécialement dévergondée, mais s'y rapprochant. Celle qui préférait sécher les cours de mathématiques pour aller fumer une cigarette avec les copines ; se rendre aux meilleures soirées de la Nouvelle-Orléans et vomir tout l'alcool digéré ; dépenser au shopping des sommes astronomiques sans se soucier du montant de son compte bancaire avant de se faire remonter les bretelles par papa. Certes, elles ne se ressemblaient pas, mais Siloé vouait une grande admiration secrète pour sa sœur, et n'hésiterait pas à s'en prendre à quiconque la blesserait. Ce fut d'ailleurs la raison pour laquelle elle dut aller en garde à vue lors de ses quinze ans. Un mec de son lycée, eut le malheur d'insulter Katherine. Avant même de pouvoir se contrôler, Siloé lui fonça dessus, et son poing atterrit violemment sur sa joue. Bien évidemment, ses parents lui en firent voir de toutes les couleurs, mais Valentina ne s'en soucia absolument pas, et elle ferait la même chose chaque fois que cela s’avérerait nécessaire. Et bien qu'elle-même ne soit pas particulièrement tendre avec son aînée, elle estimait que c'était son droit, à elle seule.

« On est où, bordel ? » Siloé ouvrit difficilement un oeil, se retrouvant dans une chambre totalement inconnue, en tee-shirt et culotte pour seuls vêtements. Une silhouette familière se dessina au bord du lit dans lequel elle se trouvait. « Tu ne te rappelles pas, on a couché ensemble hier soir. » Siloé roula des yeux avant de lui faire un doigt : « Ta gueule Jay, tu es gay. » « Oui, c'est bon, je plaisantais. On est dans la chambre de Vivian. Tu l'aurais vu, il était tellement content de te prêter sa piaule, ce pauvre con. » Jay partit d'un éclat de rire. La soirée d'hier avait été aussi terrible que délurée. L'alcool avait coulé à flôt, et Siloé n'aurait pu rêver d'une meilleure université que Yale. C'était la fête quasiment tous les soirs, que demander de mieux ? Et comme le lui répétait sans cesse son professeur d'histoire américaine, elle avait de la chance d'avoir une facilité au niveau des études, obtenant de brillants résultats aux examens. Certes, les notes étaient très bonnes, les appréciations beaucoup moins. Mais cela l'importait peu Siloé, elle avait juste soif de vie, de découvertes... C'est donc avec une grande contrariété qu'elle accueillit la nouvelle situation financière de sa famille. En effet, la 'fortune' des Östensson ayant diminué, ses parents lui apprirent qu'ils étaient, à présent, dans l'incapacité à payer son appartement new-yorkais. Avec un profond dégoût, elle dut dire au revoir à sa vie de princesse à Yale, ainsi qu'à tous ses amis, pour atterrir à Boston, où elle obtint une bourse afin d'intégrer Harvard. Le seul point positif qu'elle n'admettait pas tellement était qu'elle se retrouvait dans la même université que Katherine. Au moins, elle pourrait la surveiller, l'embêter comme toujours, et défendre ses arrières si besoin. Boston n'était pas aussi cosmopolite que New York, mais la blonde tentait de s'y habituer, n'ayant pas d'autres choix.

« Tu devras te trouver un job, Valentina. » « Euh, pardon papa ? » « Un job, un boulot, en parallèle de tes études. Tu comptes le payer comment ton appartement à Boston ? » « Bah avec ta carte bancaire ? » « Non, Valentina, cherche toi un travail. Tu m'as bien entendu ? » « Non, je t'entends mal, y a pas de réseau, allez bisous. » Un boulot, la blague. Pourtant, elle allait bien devoir s'y résigner, car ses parents ne pouvaient réellement pas payer son loyer. Et c'est sans mal qu'elle trouva un job de barmaid dans la boîte de nuit la plus réputée de Boston, Royale, qui lui permettait de travailler le jeudi soir et le week-end. Ce n'est pas franchement le boulot idéal la concernant, car bien évidemment Siloé aurait nettement préféré se retrouver sur la piste plutôt que de servir les boissons. Mais elle tentait tant bien que mal de s'y faire. Son année ici s'annonçait du tonnerre.