Cette rencontre incongrue en plein cœur de Cambridge était rafraichissante. Je n’aurais pas cru tomber sur une inconnue qui m’ouvrait son intimité sans grande hésitation. Il en allait de la survie de ma robe, l’attention me touchait particulièrement même si j’avais du mal à comprendre ses motivations.
Si ça m’était arrivé à moi, je ne pense pas que j’aurais invité une inconnue chez moi, et le geste m’affectait d’autant plus qu’il me paraissait invraisemblable. Je plissais le regard en même temps qu’un sourire effritait mes lèvres pour gratifier la brune d’une marque affective distante mais sincère.
- Je risque de vous être redevable longtemps, il faudra me dire comment je pourrais vous rendre la pareille.

C’était sans m’attarder plus longtemps à côté de ce banc qui me rappellerait ce souvenir de ma robe tachée que je suivais ma bienfaitrice. Elle disait ne pas habiter loin et j’avais hâte de découvrir ce lieu qui servait de logis à cette femme généreuse. Lavender devait être à peine plus âgée que moi, j’avais du mal à cerner sa personnalité, s’en était déconcertant.
- Je suis arrivée cette année, je loge à la maison des cabots, une fraternité d’étudiante sur le campus, c’est un peu nouveau tout ça pour moi.

Quitté la maison familiale, le personnelle qui avait l’habitude de répondre à mes caprices, même mon petit frère qui supportait habituellement mes sauts d’humeur, ici j’étais seule confronté à un monde auquel je ne m’étais surement pas préparée suffisamment.
La brune avait l’air plus débrouillarde que moi, je ne savais pas encore si c’était une bonne chose ou non, est ce que sa vie avait été plus compliquée que la mienne ? Je n’étais pas spécialement du genre à m’intéresser aux autres, mais je ne voulais pas qu’elle pense non plus que j’étais indifférente à sa condition.
- Vous vivez seule ici ? Je veux dire, j’imagine que vous avez plus de famille que moi à proximité.

Ça ne me dérangeait pas de me déshabiller chez une inconnue, mais c’est vrai que j’aurai aimé savoir à quoi m’en tenir avant de faire les essayages de robe d’une autre. Je suivais ma nouvelle complice jusqu’à chez elle en observant les environs comme pour retenir le chemin si un jour j’avais à revenir.
- C’est plutôt joli comme endroit.

Lavender avait un chez elle depuis peu de temps. Et dire qu'il y a quelques mois encore, elle logeait à la QH. La biologiste s'était retrouvée seule du jour au lendemain ; mais l'indépendance avait du bon. Avoir un appartement en plein coeur de ville était une chance. En quelques pas seulement, elle se retrouvait baignée par la lumière du jour et le bruit des voitures. Elle avait besoin des horaires à rallonge qu'elle effectuait chaque semaine à l'hôpital. Son oxygène à elle, elle le trouvait dans un endroit que les personnes saines d'esprit essayaient généralement d'éviter. Il ne s'agit que de détachant, je devrais pouvoir m'en sortir... plaisanta Lavender en chemin. Elles avançaient toutes deux sur les pavés. Lavender évoluant dans un cadre qui lui était plus que familier. Chaque coin de rue, chaque feu ou chaque café. C'était son quartier à présent. Cabots ? répéta t-elle pour en être certaine. Vous êtes à Harvard ? Lavender se revoyait sur le canapé de la salle principale de la Quincy House, entourée de ses camarades. Plus qu'un attroupement d'étudiants, la QH avait été sa famille pendant plusieurs années. Et Dieu seul savait que les quatre murs de la confrérie en avaient vu ou entendu des choses. Oui, confirma la biologiste. Oui, elle vivait seule et se contentait d'un appartement de moins de quarante mètres carrés. Elle n'avait pas besoin de plus. Ma mère habite à Forks. Elle est à 5 heures de vol donc on essaye de se voir pour les fêtes. Mais j'ai une cousine qui est encore à Harvard. Et Lavender ne lui disait probablement pas assez souvent mais elle était heureuse de la savoir à proximité. Elles avaient avalé la distance qui les séparaient de l'appartement de Lavender en quelques minutes. Au pied de la porte de l'immeuble, Lavender scruta la façade blanche. C’est plutôt joli comme endroit. Elle ne pouvait pas dire le contraire. C'est vrai. Lavender et Minna traversèrent le hall et pénétrèrent dans l’ascenseur. Le numéro de l'étage clignota lorsqu'elle arrivèrent au palier du troisième étage.

En suivant cette belle inconnue qui me proposait d’allez détacher ma robe chez elle, j’essayais de lui montrer combien sa proposition tombait à pic. De mon côté je n’avais pas l’habitude de faire ma propre lessive, alors détacher moi-même une robe ? En général c’est compris dans mon abonnement au pressing, mais il aurait fallu traverser la moitier de la ville et risquer qu’on me voie comme ça.

Sans m’étendre sur le fait que Lavender sauvait mon image on changeait de rue pendant que nous échangions sur mon arrivée en ville. Elle semblait surprise que je loge à la cabot, son interrogation me laissait à penser qu’elle connaissait bien les maison d’Harvard.

- Oui c’est ça, je pensais que vous aviez compris quand j’expliquais que j’étais Allemande. Il y a beaucoup d’étudiants étrangers en ville.

Je crois que je n’avais jamais vu autant de diversité culturelle avant d’arriver à Harvard. C’était même pour ça que je m’étonnais de croiser encore des américaines en ville, mais Lavender faisait honneur à son pays, elle semblait différente de mon préjugé sur les habitantes de ce pays. Je ne connaissais pas autant la géographie que je le voudrais, mais je souriais à l’évocation de cette ville qui me disais quelque chose.

- Forks ? Comme dans Twilight ? Faudra que tu me présente un des frères Cullen alors, j’ai toujours rêvé de rencontrer un vampire.

La vérité c’est que j’avais toujours cru que cette ville n’était qu’une invention de Stéphanie Meyer, mais qui sait, peut-être qu’elle existait vraiment ? ça titillait ma curiosité d’un seul coup je devenais un peu plus attentive.

Ça devait être son immeuble, parce qu’on s’arrêtait devant se grand bâtiment où je suivais la brune jusqu’à l’ascenseur. Je trépignais d’impatience à l’idée qu’on puisse s’occuper de ma robe, et ma curiosité reprenait le dessus quand les portes s’ouvraient, je ne pouvais m’empêcher de poser mon regard un peu partout.

- C’est ici ?

Il y avait plusieurs paillassons devant chacune des portes de l’étage et j’essayais de me rendre compte lequel pouvait être celui de ma voisine. Elle avait un style à avoir un paillasson un peu fantaisie, je la voyais bien habiter cette porte au paillasson dauphin, ou peut être celle avec un plus sobre écrit Welcome en gros dessus.

Il arrivait que la distance avec sa mère lui pèse. Dans ces moments, il lui suffisait de se rapprocher de la fenêtre de sa chambre pour entendre le ronronnement rassurant des voitures qui s'aventuraient dans sa rue. Il y avait quelque chose de rassurant à vivre dans une aussi grande ville, contrairement à Forks, elle n'avait jamais l'impression d'être seule. Lavender et l'étudiante battaient le pavé aussi vite que la robe de Minna le leur permettait. Je n'avais pas fait le rapprochement, mais c'était logique... Lavender avait le souvenir d'avoir croisé un certain nombre d'étudiants étrangers sur les bancs d'Harvard. Elle avait cette étrange impression que ça remontait à bien longtemps. ça se passait dans la ville de Forks ? Lavender tenta de rassembler ses souvenirs. Elle n'était encore qu'une adolescente lorsque le film était sorti au cinéma. J'avais complètement oublié. Cette remarque lui arracha un nouveau sourire. Comme quoi, il y a parfois du bon à vivre en campagne ! On attire les grands bruns aux yeux dorés... Forks, avec ses 3500 habitants, n'était pas vraiment ce qu'on pouvait appeler une mégalopole. Tout le monde ou presque se connaissait. A Cambridge, c'était différent. Depuis qu'elle avait emménagé dans son immeuble, elle n'avait dû croiser qu'une fois ou deux ses voisins de palier. Elle s'avança vers la porte et fit jouer les clés dans la serrure. C'est ici, confirma Lavender en passant le pas de la porte. Elle déposa son manteau sur le canapé. Entrez, lança t-elle en remarquant l'hésitation de Minna. Ce n'est pas le Four Seasons mais il a été plutôt bien pensé. Son appartement faisait moins de quarante mètres carrés mais peu lui importait. Elle avait enfin un cocon à elle. Un endroit qu'elle retrouvait avec soulagement lorsqu'elle avait terminé sa journée à l'hôpital. Lavender referma la porte derrière Minna avant de jeter un oeil sur sa robe. Du détachant, vite. Je vais chercher le détachant... Vous voulez choisir une robe en attendant ? Le placard est dans la chambre. Lavender accompagna Minna jusqu'à l'entrée de sa chambre et poursuivit, un peu plus loin. Jusqu'à la salle de bains. Elle ouvrit le placard comprenant lingettes nettoyantes, désinfectant... et détachant !

Ecoutant la demoiselle parlé de sa ville natale, j’étais carrément étonnée qu’elle fasse comme si de rien était en parlant de Twilight. C’était quand même un succès planétaire, même si d’accord l’autorité littéraire de l’auteur restait discutable, la notoriété de l’histoire n’en devenait pas moindre.

- Vous rigolez n’est-ce pas ? Ou vraiment la lecture ne vous intéresse pas ?

J’avais du mal à me faire à l’idée que tout le monde n’aimait pas autant les livres que moi. Depuis petite je m’étais bercée dans les histoires romanesques qui avaient fait naitre des étoiles dans mes rêves. Je ne l’avouerais pas, mais il m’était arrivé de m’imaginer comme une princesse de conte de féé.

Milow se moquerait de moi c’est sûr, j’ai toujours fait face pour lui en montrant toujours le visage d’une grande sœur modèle autoritaire. Mais mon vilain petit frère n’était pas là aujourd’hui, alors j’avais le droit de me lâcher un peu. Quand on arrivait devant cet immeuble, je suivais Lavender jusqu’à la porte de son appartement.

- C’est très bien, je veux dire, c’est joli.

De là à dire que je m’en moquais, et que je ne comptais pas venir habiter ici, je me rattrapais en expliquant que j’appréciais la décoration. C’était un peu petit, mais la belle brune n’avait certainement pas les moyens de prendre quelques choses de plus conséquent. C’était souvent les moins fortunés qui étaient prêts à partager le plus, mais certaines mauvaises langues iraient jusqu’à dire que la fortune ne viens pas en la lançant par les fenêtres.

- On vous a déjà dit que vous étiez gentille ? Trop peut-être même.

J’imaginais parfaitement l’hôtesse de maison se faire marcher dessus, le genre de fille à donner même plus que ce qu’elle possédait. Je la remerciais une fois de plus en arrivant devant la chambre où elle me laissait un libre accès. S’en était gênant, quand je m’avançais vers l’armoire j’avais devant moi l’intimité dévoilée de la brune au cœur d’or.

Il y avait sa garde-robe, pantalon, chemisier, même les sous vêtement dans un tiroir. Je refermais rapidement se dernier en ne m’imaginant pas porter une robe qui ne m’appartenait pas. Il y avait certaine tenue qui semblait jolie, mais je ne serai pas du tout à l’aise dans une de celle-ci qui ne serait pas à ma taille.

Finalement, je décidais d’une solution intermédiaire, retirant ma robe pour la poser sur le rebord du lit, j’attrapais un débardeur dans la penderie. Il y avait un petit dessin mignon sur le débardeur, j’imagine que c’était plus pour trainer ici que pour sortir avec. Il tombait au niveau de mes hanches sans venir couvrir ma culotte en dentelle.

Je préférais rester comme ça dans un débardeur qui ne me moulait pas trop que d’envisager une toute autre option. J’allais rejoindre la maitresse de maison dans la salle de bain avec ma robe à la main. Je lui tendais celle-ci avec une mine dubitative, une façon implicite de lui demander si elle sentait son coup avec le détachant.

- Ça va aller ?

Avant d'intégrer la faculté d'Harvard, Lavender était une fille de la campagne. En changeant de cadre, elle avait aussi troqué ses bottes en caoutchouc pour des chaussures de ville. Désormais, 5 heures d'avion la séparait de Forks, et par extension de sa mère. Je les ai tous lu, répondit Lavender. Jusqu'au dernier. Mais j'ai grandi depuis et j'avais complètement occulté le fait que l'action se déroule près de chez moi. Elle avait apprécié les livres lorsqu'elle était adolescente, mais elle était désormais une femme. Et l'histoire d'un vampire arpentant les rues avec sa famille de suceurs de sang, ça remontait à une autre époque. L'époque où elle rêvait au prince charmant, comme toutes les filles de son âge. C’est très bien, je veux dire, c’est joli. La gêne de Minna était à peine voilée, Lavender n'avait pas pensé une seule minute au fait d'inviter quelqu'un à venir chez elle. Elle recevait très peu, faute de temps. La biologiste vivait presque plus à l'hôpital que dans son appartement. Elle y était surtout plus utile. Le fait de rentrer dans un appartement vide lui pinçait parfois le coeur. J'étais Quincy. Je veux dire à Harvard, j'ai terminé mes études il y a quelques mois à peine, lança Lavender en se dirigeant vers la salle de bain. Il faut croire qu'on ne se refait pas. Accroupie devant le meuble de la salle de bain, Lavender étudiait l'étiquette de la bouteille de détachant au savon végétal. C'était le seul qu'elle avait trouvé au supermarché à son arrivée. Elle en avait acheté un "au cas où" et pouvait dire aujourd'hui qu'elle avait bien fait. Lavender entendit le claquement de sa porte d'armoire, Minna devait être en train de faire un choix dans les quelques rares robes qui ornaient sa penderie. A sa grande surprise, c'est dans un haut de pyjama qu'elle débarqua dans la salle de bain. Il y avait quelque chose d'étrange à voir quelqu'un d'autre le porter. Ça va aller ? lui demanda Minna avec une voix pleine d'espoir. On va essayer... La tâche avait déjà eu le temps de sécher et la matière de la robe était tout sauf du synthétique. Son armoire avait dû lui paraître bien fade à côté. Le tissu de la robe blanche lui glissait entre les doigts, elle dût le caler pour pouvoir appliquer le détachant. Le liquide imbiba le tissu maculé de boue en un instant. L'étiquette indiquait qu'elle devait le laisser agir quelques secondes avant de mettre le vêtement à la machine.

En essayant d’en savoir un peu plus sur mon interlocutrice, j’avais l’impression que plus elle me parlait d’elle et moins j’arrivais à me faire une idée de qui elle pouvait être. La quadrilogie sur les vampires n’était pas si ancienne que ça, mais c’était comme si Lavender les avait lus il y a des siècles.

Il y a parfois des évènements dans la vie d’une femme qui vous font vieillir d’un seul coup, comme si en une année on en prenait 4 ou 5 en même temps. Je soupirais et essayait d’imaginer ma voisine à mon âge dans une grande maison d’Harvard à effectué son bizutage. Je ne savais pas quel âge elle pouvait avoir, mais certainement un peu plus que moi.

J’aimais l’idée de découvrir quelqu’un de nouveau, surtout que la jeune femme avait quelque chose d’intéressant, quelque chose de différent de ces filles souvent trop extravertie ou naïve que j’ai pu rencontrer sur le campus. Alors je souriais en acceptant son aide sans hésiter plus longtemps à lui confier ma belle robe.

- Je sais que c’est quelque chose qui ne se demande pas à une femme. Mais de femme à femme, je peux vous demander votre âge ?

La question me trottait dans la tête depuis que la belle m’avait avoué avoir terminé son cycle à Harvard et quitté la maison des Quincy. Il y a des cursus plus ou moins long, et pourtant les traits de ma nouvelle camarade ne dessinaient pas ceux d’une femme si âgée qu’elle pourrait avoir envie de le faire croire.

J’avais eu le temps de faire un allez et retour dans son armoire pour m’habiller d’un débardeur léger, mais juste assez pour couvrir le haut de mon corps le temps que ma robe soit de nouveau prête. La maitresse des lieux avait l’air de se battre avec mon vêtement, je la regardais faire avec des grands yeux en me demandant ce qui lui avait bien pris de vouloir aidée une parfaite inconnue.

- Je vous rachèterai un flacon de détachant, d’accord ? Il faudra me faire la note de teinturerie, et de la location du vêtement de rechange.

Je n’avais pas une grande habitude des convenances, c’est vraiment la première fois qu’une fille était si gentille avec moi et je ne me sentais pas très à l’aise à l’idée de lui devoir quelque chose. Je soupirais avant de me reculer pour lui laisser de l’espace, j’allais m’assoir sur le rebord de la baignoire en continuant de regarder faire l’experte du détachage.

- Est-ce qu’on a le droit de se tutoyer ? J’imagine que c’est l’étape qui vient après qu’on ait échangée nos fringues ?

Quand on y pensait, son appartement était à son image. Simple. Logé au coeur de la ville, Lavender aimait la sensation de faire partie d'un tout. Entendre les voitures et les discussions des passants, ces petits riens qui lui donnaient le sourire dès le matin. Elle n'avait vraiment pas besoin d'un logement gigantesque, juste de quoi rejoindre son travail en quelques minutes. "25 ans," répondit Lavender sans se demander le pourquoi de la question. "Je fais plus ?" demanda t-elle avec un rire étouffé. Il fallait dire que son armoire ne devait pas refléter son âge. Sa mère ne cessait de lui dire qu'il fallait absolument qu'elle apprenne à se mettre en valeur. Si elle l'avait vu, il y a quelques années de ça, après sa rupture. A mille lieues de ressembler à la fille confiante qu'elle connaissait si bien. Et alors qu'elle avait crû ça insurmontable à l'époque, elle commençait à se rendre compte que de l'eau avait coulé sous les ponts. Qu'elle avait repris sa vie en main comme il fallait et elle aimait ce sentiment. "Ce n'est pour le prix que ça coûte. Il vous attendait pour être ouvert," plaisanta t-elle. Lavender n'en était pas à compter les dollars. Comme tout le monde, elle avait des factures et un loyer mais son salaire à l'hôpital lui suffisait largement pour le train de vie modeste qu'elle avait. La biologiste savait qu'elle faisait partie des privilégiés. Elle avait un toit au-dessus de la tête, un travail qu'elle aimait et un semblant de vie sociale. Bien plus que certains. Elle fronça les sourcils en entendant note de teinturerie et location du vêtement de rechange. "Minna, c'est un service. Il n'y a pas de note ou de location. D'ailleurs, la robe doit passer à la machine à laver..." Et elle pouvait supporter le fait de faire une lessive de plus dans la semaine. Elle régla la machine sur linge délicat et ajouta plusieurs lingettes permettant de récupérer les tâches et d'absorber les couleurs qui dégorgeraient. Minna s'assit sur le rebord de la baignoire, le regard fixé sur sa robe maculée de boue. Lavender croisait les doigts pour que la robe soit récupérable. "Je peux lancer ?" demanda Lavender en attendant l'approbation de Minna. Son doigt effleurait la touche de démarrage du lave-linge. Est-ce qu’on a le droit de se tutoyer ? J’imagine que c’est l’étape qui vient après qu’on ait échangée nos fringues ? Sa remarque arracha un sourire à la biologiste. Je pense aussi. Elles en avaient pour un moment avant que la machine ne se termine. 45 minutes au bas mot. Assise près de l'entrée de la salle de bains, Lavender entourait ses genoux avec ses deux bras. "Tu me parles de toi ?" Elles avaient ce qui manquait généralement à tout le monde. Du temps.

Lavender m’avait ouvert sa maison, sa salle de bain et sa garde-robe, c’était comme si on se connaissait depuis des années alors que l’heure qui précédait je n’avais pas connaissance encore de son existence. Si je n’étais pas toujours à l’écoute d’une parfaite inconnue, l’idée de passer du temps chez elle sans la connaitre me laissait dubitative.

- Plus ? Hu...um, je sais pas … Est-ce que j’ai le droit à un Joker ?

Quand la brune me donnait son âge, je prenais un air amusé en la jaugeant d’un regard accusateur comme si sa question me gênait. J’attendais qu’elle prenne un air frustrée, mais rapidement je pouffais de rire dans un éclat singulier qui ne durait que le temps de laisser libre court à ma plaisanterie.

- Je suis désolée, c’était pour rire. Je suis véritablement incapable de donner un âge aux gens.

Ce qui paraissait évident c’est qu’elle avait déjà la maturité nécessaire pour être mère de famille, en la regardant s’occuper de moi, de ma robe comme si nous avions été affiliés, je me rendais compte que même ma propre mère n’avait jamais pris le temps de faire ça avec moi. Elle m’aurait surement dit d’aller voir mon père lui réclamer de l’argent pour en acheter une autre.

La situation était déconcertante, mais pas déplaisante, j’essayais de prendre des notes dans ma tête en me disant que peut être qu’un jour je saurais faire ça toute seule. Lavender était si appliquée que je ne pouvais qu’être béate d’admiration en lui proposant de lui rembourser son temps et son produit.

- Un service dont il faudra que je trouve une façon de m’acquitter, peut être d’une autre manière.

Si elle ne voulait pas d’argent, je trouverais une solution pour lui rendre la pareille, même si de mon côté ça ne serait clairement pas en détachant ses vêtements. Quand elle s’apprêtait à lancer la machine, je prenais une seconde le temps de tempéré cette question à laquelle elle devait mieux savoir que moi répondre.

- Lancer ? Du coup oui, à moins que tu veuilles remplir la machine avec du linge à toi, mais je ne voudrais pas tacher aussi tes vêtements.

Moi j’étais plus une observatrice passive, comme une cliente au pressing qui attendait qu’on lui restitue son dû, mais si dans cette affaire il n’y avait pas de dû tant qu’elle n’accepterait pas que je la dédommage. Lavender faisait tourner la machine qui commençait à faire vibrer le sol de l’appartement quand mon hôte venait s’assoir à même ce sol.

Je lui offrais un sourire plus naturel quand la conversation commençait à se délier tout doucement. C’était la première fois que j’assistais à une conversation en petite culotte dans une salle de bain avec une inconnue qui semblait vouloir qu’on attende sur place la fin du cycle de lavage.

- Moi ? Il n’y a pas grand-chose d’intéressant à dire. Je né et j’ai grandi dans le plus beau pays du monde, l’Allemagne. J’ai deux frères dont je n’ai pas vraiment envie de parler, je suis venu en Amérique pour étudier, mais j’ai hâte de repartir chez moi, j’ai l’impression que jamais je n’arriverais à me sentir sereine dans ce pays où tout le monde semble vivre à 200 à l’heure.

J’avais découvert de nouvelles amies depuis mon arrivée, mais mes anciennes copines me manquaient quand même. Les magasins sont presque les même, mais ils n’avaient pas ce petit quelque chose qui ferait que tout serait toujours plus grisant en Allemagne. Pourtant elle était Américaine, et je ne voulais pas insulter son pays.

- Il y a des gens très gentil ici, d’ailleurs je suis contente de t’avoir rencontrée, même si j’aurai préféré garder ma robe propre pour l’occasion, mais je sais pas comment expliqué ce manque qui m’habite depuis que j’ai quitté mon pays.

La brune aurait certainement du mal à comprendre la situation, mais comme elle posait la question je prenais du temps pour lui répondre. Elle ne semblait pas si différente de moi dans les faits. La machine faisait de plus en plus de bruit, je tournais la tête en regardant le tambour tourner avant de me rapprocher de ma voisine pour lui parler de manière plus audible en venant m’adosser au lavabo, la regardant penchée en arrière, sans me rassoir.

-J’ai vu plusieurs jolies robes dans ta penderie. C’est juste pour les occasions spéciales ? Je veux dire, c’est dommage de les laisser prendre la poussière alors que tu as un corps pour les porter.

L’œil porté sur la tenue de Lavender, sans vouloir être blessante, j’essayais de trouver une façon avenante de lui faire comprendre qu’elle pourrait être tellement différente dans une de ses tenues qu’elle m’avait proposé dix minutes avant de porter.

A chaque fois qu'elle franchissait le seuil de son appartement, Lavender se rendait compte qu'elle n'avait toujours pas accroché de photos. Aucun visage familier placardé sur le mur. Le temps lui manquait et l'envie aussi. Elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe d'appréhension à l'idée de revoir certaines photos. Certains souvenirs d'enfance - des photos à la piscine avec sa cousine Keyla - étaient mélangés avec quelques rares photos prises en Afrique, lors de son dernier voyage humanitaire. Lavender avait gardé une photo de Casey, quelque part dans le carton. Dans le méli-mélo, elle avait surtout de nombreuses photos de ses parents. Main dans la main sous le porche de la maison familiale. En vacances. Au zoo. Aux anniversaires. Elle n'avait pas encore trouvé le courage de tout ressortir. "On est plus à ça près aujourd'hui. Va pour un joker" ironisa Lavender. Peu importait qu'on lui donne plus ou moins que son âge réel. Elle avait vécu, comme tout le monde. "Le principe d'un service, c'est justement qu'on le fait parce qu'on en a envie." Sans rien attendre en retour. Enfin, ça c'était sa définition. Celle d'une ancienne Quincy. Celle pour qui le mot générosité était presque un deuxième prénom. "Non, ce n'était pas l'idée. C'est une très belle robe, j'espère vraiment qu'elle supportera un passage en machine". Vu la qualité du tissu, elle devait davantage être habituée à passer entre les mains expertes d'un gérant de pressing. Lavender l'avait réglé sur linge délicat, il n'y avait pas de raison. "La vie est si différente en Allemagne ?" Lavender n'avait jamais mis les pieds à l'étranger, sauf lors de ses voyages humanitaires. "Le mal du pays, ça ne s'explique pas." ça se vivait. Lavender l'avait parfois, alors qu'elle n'était qu'à quelques heures d'avion de chez elle. Elle imaginait sans mal le sentiment que ressentait Minna. Celui d'avoir un groufre que rien ni personne ne pouvait combler. "Mais ça passe, la rassura Lavender. Avec le temps, les connaissances qu'on se fait sur place. " Sans s'y sentir chez elle, Lavender se sentait de plus en plus citadine au fil du temps qu'elle passait ici. Minna quitta le rebord de la baignoire pour se rapprocher d'elle alors les vibrations de la machine à laver se propageaient dans le sol. "C'est gentil mais en vérité, je n'aime pas trop que l'on distingue mes courbes. J'aime la simplicité, le fait d'être à l'aise. Ce sont principalement des robes d'été, pour les vacances ou les week-end en famille."