Des heures au fond d'une chambre, des médecins qui passent et repassent sous mon nez. Moi, attendant que les douleurs s'estompent, que l'angoisse redescende. Et mon état enfin stabilisé, c'est sans attendre que je signe la feuille tendue par l'infirmière m'autorisant à quitter les lieux. Je déteste les hôpitaux, ces murs blanchâtres qui virent au jaune, cette odeur de maladie et de mort qui plane et qui étouffe. Ça me rappelle que de mauvais souvenirs, ça me rappelle la fois où j'ai quitté cet endroit totalement détruite en devant laisser derrière moi ma moitié. Mon père. Je replace mon sac sur l'épaule, lâchant vulgairement le stylo sur le comptoir sans lâcher un mot avant de me retourner pour regagner la sortie. Un stop net, franc. Un buste, dur, étourdissant, et mes yeux qui se lèvent vers toi. J'ai du mal à réaliser, je sais pas si j'ai envie de t'embrasser dans la foulée, te cracher à la gueule les pires insultes, mais j'opte pour une dernière solution. L'indifférence. - Elliot. Je lâche avec ironie, ce sourire au coin des lèvres que tu détestes, que t'as aimé un jour. Ce sourire qui te donne envie de me gifler à cet instant, celui qui t'as fait frissonner autrefois. - Enfin je crois que c'est ton nom, je sais plus trop depuis le temps. Que je finis par dire, mimique indécise frôlant l'exagération. T'es beau, toujours autant, même plus. Et j'ai envie de t'abimer, de rayer ce visage qui m'a faite flancher un jour. Qui m'a eu bêtement. Je te dévisage, lisant dans tes traits durcis par le temps. Ce même temps qu'on a passé à s'ignorer, à ne plus se connaître comme deux inconnus qui n'ont rien vécus ensemble. Tout me revient, c'est comme si je venais de retrouver la mémoire. Les flashbacks d'un amour nocif qui me fracasse d'un seul coup.

Les séances de rééducation avec Lily étaient fastidieuses, mais j’avais l’impression qu’elles portaient peu à peu leurs fruits. Il fallait dire que j’étais aussi volontaire. Je me donnais à fond et je prenais la chose très au sérieux. Qui ne le ferait pas, quand il était question des souvenirs de toute une vie? Je m’étais rendu compte que parler à des gens oubliés me permettait de faire remonter quelques souvenirs. En réalité, ce n’était pas des souvenirs à proprement parler, mais plutôt des émotions, des sentiments. Mais c’était déjà ça, c’était un progrès. En chemin vers la sortie, perdu un peu dans mes pensées, je ne regardais pas vraiment où je marchais et ce qui devait arriver arriva : je percutais de plein fouet une jeune femme blonde, que j’agrippais par les bras pour éviter qu’elle ne bascule. Je lâchais ma prise une fois sûr qu’elle tenait sur ses pieds et ouvrais la bouche pour m’excuser, mais elle me devança. « Elliot. » Oh non. Y avait-il une seule personne que je ne connaissais pas à Boston? Ça devenait lassant, à force. Elle affichait un sourire mesquin au coin des lèvres, que je ne comprenais pas vraiment. « Enfin je crois que c'est ton nom, je sais plus trop depuis le temps. » Elle aussi, elle était amnésique? « Oui, c’est bien mon nom. Tu vas devoir me rappeler le tien, par contre. » Son regard se durcit et je sens que ça n’annonce rien de bon. Alors, je m’expliquais, brièvement, sans détails. « J’étais dans un crash d’avion le mois dernier et j’ai perdu la mémoire. » J’en avais marre de donner des explications à rallonge à chaque fois. Cette situation m’était bien arrivée une dizaine de fois depuis l’accident. Alors, maintenant, je me contentais du minimum. Et puis tant pis si ça ne lui convenait pas. Après tout, j’savais même pas qui elle était.

Rencontre avec un passé commun. Un ancien amour, une ancienne déchirure qui me laisse encore un goût amer dans la bouche. Parce que, ouais, je tenais à toi, j'avais confiance en toi et, finalement j'ai bien eu tort. T'es partit, sans me rattraper, sans te retourner. T'es juste partit. Alors c'est toi qui a créé ce que je suis devenue, tout a commencé par toi, t'as kidnappé ma sensibilité, mon humanité à l'intérieur de tes petits yeux. De tes mains délicates quand elles veulent, je me souviens de tout. De nous. Et je serre les dents, m'empêchant de te montrer à quel point notre fin me touche encore. Je lève la tête, balançant une mèche de cheveux en arrière alors que mes sourcils se froncent. Je grimace, me demandant si ta question n'est qu'une vulgaire blague ou est-ce que vraiment je n'ai jamais compté pour toi. Au point d'en oublier même mon nom, mon visage que t'as côtoyé pendant une année. Et ma mimique se relâche, comme dans un soulagement égoïste quand j'ai enfin l'explication. - Quoi ? Surprise, le fond de son de ma voix fait résonner un brin d'inquiétude. Et puis merde ! Je m'en tape en fait, je vais pas pleurer sur ton compte quand tu n'as jamais daigné prendre de mes nouvelles. Même quand mon père est mort, silence radio. - Non, en fait je m'en fou. Je veux pas savoir. Clignement des yeux répétitifs, un peu trop pour que je sois sincère. Pour que tu puisses croire à ce mensonge. - Hippolyte. Ta première relation il y a quatre ans, on est resté un an ensemble avant que tu balances une video de nous en plein action ! Pauvre con. Je soupire, passant ma langue contre l'email de mes dents de frustration. - Mais bon, amnésie ou pas tu m'as jamais donné de nouvelle, donc je suppose que ça fait un moment que tu m'as oublié. Et c'est comme si mon thorax venait compresser ma poitrine, que mon coeur était prêt à exploser face à cette idée. J'ai jamais pu t'oublier moi..

« Quoi ? » Voilà pourquoi cette situation avait tendance à m’agacer. ‘Quoi?’ disaient-ils tous avec un air choqué planté sur leurs visages. Ouais, un crash d’hélico et une perte de mémoire, ça sonne totalement fou, mais c’était la piètre réalité. Pas besoin d’en faire toute une histoire. « Non, en fait je m'en fou. Je veux pas savoir. » À mon tour d’arquer un sourcil. Waouh, c’était la première qui ne me posait pas quinze mille questions : quoi, comment, pourquoi, où, quand? Et j’en étais un peu soulagé. « Hippolyte. » Hippolyte? C’est quoi ce prénom à la con déjà? « Ta première relation il y a quatre ans, on est resté un an ensemble avant que tu balances une video de nous en pleine action ! » Le front plissé, je la toisais. Est-ce qu’elle disait vrai? Pourquoi elle mentirait? Mais en même temps j’avais appris à me méfier de ces gens qui débarquaient dans ma vie comme une fleur. J’allais devoir mener mon enquête, comme d’habitude. J’allais devoir demander à Nath si j’avais vraiment été un connard, si j’avais vraiment diffusé une sextape. Lui saurait. Si quelqu’un était au courant, c’était lui. Et au passage, il me raconterait mon histoire avec cette fameuse nana. Le pauvre, il était mon conteur d’histoires ambulant. « Mais bon, amnésie ou pas tu m'as jamais donné de nouvelle, donc je suppose que ça fait un moment que tu m'as oublié. » Est-ce que c’est de l’amertume que je décèle dans sa voix? Sans aucun doute. « Écoute, j’sais pas quoi te dire. Désolé, j’suppose? » Si je ne lui avais pas donné de nouvelles pendant tout ce temps, c’était que je devais avoir une raison. Alors est-ce qu’il était sage de m’éterniser là avec elle? Pas sûr.