Adrénaline que tu connais. Shoot brutal dans ton cœur, chamade contre ta cage thoracique. Amoureux, du vent, de l’air qui fouette ta peau, tes cheveux qui tentent de valser sous ton casque bien attaché. Mais c’est terminé, pied-à-terre, tu retrouves le monde normal, ouais, le monde nul, sans adrénaline. Tu l’as encore, ce cœur à cent à l’heure. Tes muscles contractés, ton corps est pimpé, dopé. Tu aimes trop ça, des conneries, que tu devrais arrêter, ta mère qui te le dit. Merde, tu veux continuer tes foutaises toute ta vie. Dans ta bulle, monde, fermé, coupé des autres, de rien, de tout. Quelques instants magiques, trop rapides. Souffles à travers tes lèvres, poumons qui expulsent dernier nuage de fumée qu’il a répétée en tempo rapide. Eminem dans tes bronches. T’aurais pu, être content, terminer ce moment plaisant par une note jouissive. Cette adrénaline aurait pu être douce, délicieuse, mais non, putain. Tu l’as regarde, Suzy, ouais Suzy. Cette Suzy, ta Suzy. Elle est devant toi, égarée. Vous êtes des brebis, paumées dans ce champ, rien autour, juste vous. Vous vous êtes perdus, dans les airs, mauvaise direction, tous les deux. Dégagés au grès des courants d’air. Il fallait que ce soit vous deux. Blague du destin, ironie du sort. Ton casque que tu retires, entre tes doigts tendus. Cheveux ébouriffés, poisseux. Un regard, néant, sur l’horizon écrasant. Tu devrais lui parler, sortir un mot, de ta bouche, crispée. Lèvres gercées, par ce vent diabolique. Les autres ont atterri beaucoup plus loin. C’est pas une question, c’est une affirmation, tu le sais, tu veux pas lui parler, tu le sais que t’es obligé, gênant, catastrophe. Tu redoutes, ce moment. En face de toi, ses yeux qui te rendent fou. Couper court à la conversation, c’est ça que tu veux, marcher, loin d’ici, loin d’elle, ses cheveux doux et son odeur de shampoing qui flotte dans l’air, comme si elle s’était vidé la bouteille sur sa tignasse, comme s’il y avait une piscine de son shampoing sous ton nez. T’aimais ça lui toucher les cheveux, un réflexe, tout le temps. Effluves de son shampoing qui se dégageait entre tes doigts, il est resté là, dans ton pif depuis ces années.

Ce défi, tu l'as presque gardé en dernier, tu en as peur. Et apparemment il ne te fait pas peur rien qu'à toi, puisque personne n'a voulu t'accompagner. Tu es dans l'avion, ton cœur défonce ta poitrine. Dans quelques minutes, tu feras le grand saut, sans aucun doute ton premier et peut-être ton dernier. Tu ne peux pas dire, pas avant de l'avoir essayé... et peut-être que t'en mourras aussi, qui sait ? Tu souffles, on t'annonce que vous êtes assez haut en altitude, que c'est le moment. Tu paniques, tu vois trouble et  tu te lèves avec difficulté. T'aimerais changer d'avis, mais t'as pas le choix, c'est ça contre une centaine de milliers de dollars Américain. T'es la dernière, enfin pas complètement puisqu'il y a un instructeur avec toi et ça y est, tu te jettes. Mais vous vous séparez au moment où il faut ouvrir votre parachute... tu flottes jusqu'à je-ne-sais-où, mais loin, très loin des autres. Mais pas loin d'un autre parachute, quelqu'un d'autre que ton instructeur, mais pas un inconnu. Les pieds parterre, tu te défais de ton parachute et t'écrase sur le sol. Que c'est bon de le retrouver, putain. Plus jamais tu ne le quitteras... T'es pas née pour être astronaute, laisse-moi te dire ! Bref, quelques secondes passent, tu te remets de l'atterrissage et tu te lèves pour faire face à un fantôme du passé... Les autres ont atterri beaucoup plus loin. Au cours de ta vie, tu t'es souvent dit que Dieu avait vraiment un putain de sens de l'humour. Là, c'est encore l'une de ces fois-là. Seule avec ton SEUL ex, assez loin de toute civilisation et perdu dans la nature, quelque part près de Boston. Tu mets du temps à réagir et, lorsqu'enfin tu décides de ne plus rester une statue, tu replaces l'une de tes mèches de cheveux. Plein de choses a changé depuis que vous n'êtes plus ensemble : tu n'es plus aussi coincée qu'avant, tu réussis à sortir ton nez des bouquins assez souvent maintenant, t'as une vie sociale, un homme qui n'a pas (plus) peur de te dire ce qu'il ressent. Il y a des choses aussi stupide qu'un changement de coupe de cheveux, aussi. Si tu avais les cheveux longs à l'époque où vous étiez ensemble, ce n'est plus le cas. Peut-être parce qu'il les caressaient tout le temps, peut-être parce qu'ils te rappelaient trop Tahar, te rappelaient à quel point il les aimaient.
Ouais, j'ai remarqué. En mode "merci de l'observation, Sherlock". T'es pas en colère contre lui, t'es même pas contente de le voir non-plus... En fait, c'est comme si tu t'en foutais. Comme si tu faisais face à un inconnu... C'est presque le cas après tout. Ça fait quoi maintenant, 4 ans que vous n'avez pas échangé le moindre mot ? Tu commences les premiers pas, dans une direction au hasard.

Il s’en passe des choses, dans ta vie. Comme tout le monde, ouais. Tu les prends juste différemment, t’es agissement, à l’envers. Quand quelqu’un s’approche de toi, amicalement, sentimentalement, tu te barres, tu n’as pas le choix, c’est comme un instinct de survie. Tu survis, lion dans ta cage, dans ta bulle, t’es perdu, dans ta savane, les hautes herbent qui te chatouillent les sentiments. Désagréable, tu fuis, un lion en fuite, ironique. Pas trouvé ton territoire, peut-être, t’as pas pissé là où il fallait, peut-être pas assez. À chaque fois la même rengaine, tu répètes, en boucle, même connerie. Tu voudrais être loin, là, maintenant, fuir cette terre hostile, que tu connais pas, jamais visité, et j’te parle pas du fait d’être paumé dans un champs sans voir un seul building à l’horizon. Y’a cette présence, à la fois familière à la fois, inconnue. Quelqu’un sur ton petit territoire autour de toi, ton espace vital, zone de sécurité dont peu de personnes détiennent la clé. Suzy l’a gardé, depuis ses années, elle le sait pas, qu’elle l’a toujours, ce pouvoir d’ouvrir ta carapace, elle s’en fou même, sûrement, t’as été qu’un gros con. Tu sais pas quoi lui dire, tu devrais même pas parler, oublier, sa présence. Ouais, j'ai remarqué. Tu la fermes bien ta gueule maintenant, tu sais pas où te mettre, t’es imposant, toi et ton malaise que traîne en la suivant, quelques pas derrière. Un silence qui plombe, silence qui danse. Juste le son du sol qui croustille sous vos chaussures, le son de vos souffles à peine audibles à travers le vent qui souffle toujours autant. Attends j'pense pas que ce soit par là. Tu t’arrêtes en regardant autour de toi, gamin de la ville et du bitume, ouais. J’imagine que les téléphones ne captent pas bien sûr. Un œil sur l’écran de ton portable, sans espoir. Tu souffles, fort, désespoir, colère, ça te gonfle, tu veux te barrer d’ici, tout comme elle. Vous évitez comme vous aviez si bien fait toutes ces années. Tu veux qu’on fasse comment maintenant ? Lassé, t’es lassé.