La sonnerie retentit, après deux longues heures de micro-neurochirurgie, et autant dire que ça m'avait fatiguée. La journée avait été rude et je n'avais qu'une seule envie : m'allonger dans mon lit et regarder une série sur Netflix. Habituellement, je travaille mes cours de la journée quand je rentre le soir, mais aujourd'hui, impossible. Mes jambes me portent à peine à la sortie de l'amphithéâtre. A moitié dans les nuages, je ne fais pas du tout attention où je mettais les pieds, me frayant un passage à travers les centaines d'étudiants que je ne connaissais pas encore. J'essayais de retenir des visages qui commencent à m'être familiers, jusqu'à que je tombe sur.. lui. Oh mon dieu. Je reste figée telle une statue, me faisant bousculer et injurier pour rester plantée au milieu du couloir. Alors que mes paupières étaient lourdes, je ne pouvais m'empêcher d'écarquiller les yeux et de les avoir grands ouverts pour le regarder. Il ne m'avait pas vu. Peut-être qu'il ne me reconnaîtrait même pas d'ailleurs. Ni une ni deux, pas prête à assumer une conversation maintenant, je rebroussais chemin pour trouver une autre sortie. Mon coeur battait la chamade, comme si le revoir après tant d'années n'avait rien changé. Inconcevable. Cela faisait presque dix ans que je n'avais pas adressé un mot à Kale, tout avait changé, c'est certain. Complètement désemparée, j'essayais tant bien que mal d'éviter cet homme, priant pour qu'il ne m'ait pas vu.

Après mon année sabbatique, je suis revenu pour étudier pleinement. La huitième année, l'avant-dernière avant d'entrer réellement dans la vie active. J'ai vingt-sept ans, il est temps pour moi de faire ce que je veux dans la vie. C'est vrai que je n'ai aucune idée du métier que je veux exercer plus tard, je suis un peu indécis quant à mon avenir professionnel. Dans mes pensées, je marche dans les couloirs du Grand Hall sans penser à la journée qui m'attends. Trop de cours aujourd'hui. Une chevelure blonde passe devant moi, est-ce que j'hallucine ? J'ai l'impression que c'est bien elle, elle m'a vu et s'enfuit. Instinctivement, je suis cette personne. Je connais Harvard comme ma poche maintenant, je ne mets pas longtemps à me retrouver en face de toi. Toi. Jamais, j'aurais pensé te revoir. Comment peux-tu être là ? Je ne sais pas quoi dire, je suis mal à l'aise. Kelsey... ? Je préfère te poser la questions, je veux être sûr. Dis moi que je rêve, s'il te plaît. Dix ans que je ne t'ai pas vu. Dix ans.

Je n'avais pas envie d'y croire. Je ne pouvais même pas y croire, tout simplement. C'était trop gros. L'homme dont j'étais tombée amoureuse il y a des années était là, devant moi, dans un couloir de l'université. Pourquoi était-il là ? Étudiait-il ici ? Peut-être même qu'il enseignait à Harvard ? Des dizaines de questions se bousculaient dans ma tête à presque m'en donner le tournis. Alors que je ruminais tout cela en marchant à contresens de Kale, ce dernier me rattrapa bien vite en se posant devant moi. Il était devenu véritablement imposant, me dépassant de presque deux têtes, et je ne pouvais pas m'échapper. Cependant, je gardais mon regard rivé sur le sol alors que mes joues rosissaient rien qu'à le sentir près de moi. Quand il prononce mon prénom, c'est tel un électrochoc qui traverse chaque extrémité de mon corps. Sa voix. Je m'en rappelle comme si c'était hier.. et pourtant. Fermant les yeux un court instant, je prenais enfin la peine de lever mon visage en direction du sien. Je n'avais plus cet adolescent en face de moi, mais bel et bien un homme, un vrai. Il n'avait rien perdu de son charme, et je crois même qu'il est encore plus beau qu'avant. Je.. Qu'est-ce que tu fais là ? répondis-je de manière assez froide, sans le vouloir vraiment. Je suis comme ça en situation de stress, je n'y peux rien. Instinctivement, mes yeux se rivèrent une nouvelle fois vers le sol tandis que mon rythme cardiaque faisait des siennes depuis cinq minutes.

Non, ce n'est pas un rêve, tu es réellement là. Devant moi. A mes yeux, tu n'as pas changé, tu es toujours cette Kelsey d'il y a dix ans. Tu as grandi, tu as mûri, tu es femme maintenant. Ta beauté s'est améliorée, tu es bien plus belle qu'auparavant, les années passant, tu es plus que plaisante à regarder. Je ne sais pas quoi faire, je me sens mal d'un coup. Mon cœur bat la chamade, peut-être que je devrais m'en aller ? Trop tard, je t'ai accosté, je dis ton prénom et oui, c'est bien toi là face à moi. Ta voix est froide, je n'y suis plus habituée. Ta voix transperce mon cœur, tu es stressée, je te connais par coeur malgré les années qui ont passé. Tu n'as pas changé d'être la Kelsey que je connais. Je l'espère. Je... J'étudie ici, ça fait huit ans maintenant, j'enchaîne ma neuvième année ici... enfin, j'suis qu'en huitième année, mais c'est compliqué. Peu importe, ce n'est pas intéressant. Et toi ? Tu n'es pas au Chili ? C'est vrai, tu es censée être au Chili avec ta véritable famille. Je n'arrive pas à comprendre ta présence ici, mais je suis plutôt content de te revoir. Tu m'avais véritablement manqué.

Même si j'évitais de regarder son visage un maximum, je ne pouvais pas nier qu'il était éblouissant. Sa carrure d'athlète devait en faire tomber plus d'une ici, sans aucun doute. Dix ans que nous ne nous étions pas croisés, parlés, regardés, ça commence à faire. Moi qui pensais que je ne le reverrai jamais, c'est complètement raté, et je m'en rends bien compte à présent. Je n'étais absolument pas prête pour me retrouver face à lui mais maintenant que je n'ai plus le choix, je m'habitue à la situation disons. Ma froideur légendaire a l'air de le gêner, ce n'est pas ce que je veux, cependant c'est incontrôlable. J'arrive à me concentrer sur ses paroles bien que mon esprit soit clairement ailleurs. Je n'aurais pas penser que ce serait aussi difficile pour moi. Quand Kale m'apprend qu'il est en huitième année, je ne suis pas surprise, il est plus vieux que moi de toute façon. J'essaie de me rappeler dans quoi il étudie mais rien n'y fait, je n'en ai pas la moindre idée. J'ai le cœur serré de me dire que je ne sais plus rien de lui à l'heure d'aujourd'hui. Je hoche lentement la tête à ses paroles, le sentant aussi mal à l'aise que moi. Au moins je ne suis pas seule à être dans un tel état. Je viens d'arriver. Ma voix tremblait, il fallait que je reprenne ma respiration avant de reprendre la discussion. Je voulais attaquer ma thèse ici, à Harvard, alors je me suis inscrite. Quelle discussion embarrassante. Je serrais mes bouquins contre ma poitrine, essayant de garder mon cœur à l'intérieur, sentant qu'il allait exploser à tout moment.

Te voir me trouble, ce n'est pas qu'un euphémisme, c'est pire que ça. Je ne suis pas bien, je bouillonne à l'intérieur. Te voir me rappelle de magnifique souvenirs, mais de terribles douleurs à la fois. J'ai eu du mal à me remettre à la suite de ton départ inattendu, sans nouvelles de toi. Dix ans, dix ans que tu ne fais plus parti de mon quotidien. Je t'explique j'étudie ici depuis huit ans avant de te retourner la questions, tu me réponds que tu étudies également ici, que tu as décidé de terminer ta thése à Harvard. J'hoche la tête avant qu'un silence ne s'installe entre nous. Je ne sais pas quoi te dire, alors que j'ai tant de choses à te dire, te demander. Je décide de prendre mon courage à deux mains. Kelsey... Pourquoi tu es partie ? Sans même me dire au revoir, ni même à mes parents... Son départ a été terrible. Je m'en rappelais, je m'étais rendu chez elle et ses parents adoptifs m'avaient annoncé la nouvelle. J'étais désemparé, mais j'avais besoin de savoir ce qu'elle avait à me dire pour sa défense.

Quelques mois après mon départ, j'avais longuement ruminé ma décision. Surtout par rapport à Kale. J'avais eu le cran d'en parler à mes parents mais pas à lui. Jamais. Je savais pertinemment que j'avais été lâche et il avait dû m'en vouloir pour cela. Moi-même, j'ai beaucoup regretté d'être partie sans un mot. Je savais au fond de moi que cette confrontation devait avoir lieu un jour ou l'autre. Dix ans après, certes, mais il fallait assumer aujourd'hui. J'étais si triste de voir l'expression qu'il arborait sur son visage. Je voyais bien que je lui avais fait mal, bien plus que je m'en étais fait en l'abandonnant. Quand il mentionna ses parents, je ressentis un pincement au cœur, comme si on me le transperçait avec une aiguille. Déglutissant difficilement, je transperçais son regard incompris, mes yeux bleus nageant vaguement dans les siens. J'ai pas assumé. Que pouvais-je dire d'autre ? J'avais fait une croix sur notre amour sans même lui demander son avis. Et s'il était venu avec moi ? Je n'y avais même pas pensé. Prendre mes jambes à mon cou me semblait être la meilleure option.. Il allait sûrement péter un plomb. Je n'ai jamais voulu le blesser, j'espère qu'il en est conscient.

Ta réponse ne me satisfait pas, au contraire elle m'énerve. Je n'arrive pas à te comprendre, j'ai l'impression que notre amour a été éphémère à tes yeux. Ai-je eu une quelconque importance pour toi ? Je commence à me le demander. Pendant dix ans, tu ne m'as pas donné de nouvelles, tu m'as abandonné, tu es partie sans dire mot. Sans même une nouvelle en ces dix années. Mon regard ne te lâche pas, je ne suis pas bien... Tu m'as fait du mal et te voir me fait du mal encore. Je... je ne comprends pas. Je te regarde, mon visage montre clairement que je ne vais pas très bien. Comment tu as pu partir comme ça après tout ce qu'on a vécu.. tu es parti comme si je n'étais qu'une amourette de vacances ! J'élève ma voix, quelques regards se tournent vers nous. Mon regard sur eux les fait fuir, il faut dire que je suis assez imposant.

J'ai toujours été très pudique avec mes sentiments. Je n'aime pas afficher ce que je ressens, même si la personne en face de moi m'y incite doucement. Kale ne peut pas douter de notre amour déchu, il ne peut pas. Le voyant hésiter sur ce que je ressentais pour lui, je ne peux m'empêcher de grimacer. Je l'ai blessé, j'en suis consciente, mais je ne suis pas des plus heureuses non plus. Le revoir me brise et j'ai le sentiment qu'il ne comprend pas cela. En l'entendant hausser le ton, je frissonne, incapable de faire le moindre mouvement. Pourtant, j'aimerais que l'on m'enterre six pieds sous terre maintenant tout de suite. Tu sais très bien que ce n'est pas le cas. J'aimerais crier pour lui faire comprendre que si, j'en étais folle amoureuse. Les mots ne sortent tout simplement pas. Le fait que nous soyons dans un couloir bondé n'aide en rien. J'ai pas envie que toute l'école soit au courant de ma vie privée par contre. Je n'améliore absolument rien avec ces paroles froides qui sortent de ma bouche. Le regardant un court instant, je me dirige vers la sortie, espérant secrètement qu'il me suive. Les explications que j'ai à lui donner devront être de rigueur. Je lui dois bien ça.

Sans le vouloir, ma voix monte d'un tour, les regards se posent sur nous sans que je ne le veuille. Cela doit être une simple dispute de couple pour eux, ils ne savent rien de nous. En tout cas, mon regard les fait continuer leur route alors que ta voix froide me fait redescendre sur terre. Je ne m'attendais pas à ça de ta part, je te suis a travers le couloir. C'est vrai qu'un peu d'intimité ne nous ferait pas de mal pour discuter. Sorti de ce fameux hall, je te dirige jusqu'à un banc discret. Ici, nous serons tranquilles. Alors, explique-moi... Je n'ai pas compris, j'avais l'impression de n'avoir jamais existé pour toi pour que tu partes comme ça. A mon tour, ma voix se veut froide. Te voir change mon caractère, moi qui suis d'habitude bon à vivre. Il ne faut pas me voir ainsi, je suis réellement blessé.