C’était agréable d’être enfin de retour à Harvard. Si j’avais pu revenir en arrière et savoir ce qui m’attendait, jamais je n’aurais renoncé à l’université de mes rêves pour une fille, peu importe laquelle. Mais voilà, on fait tous des erreurs, et celle-ci, je l’avais payée cher, c’était rien de le dire. A présent, je considérais cette douloureuse mésaventure comme de l’histoire ancienne. J’avais envie d’aller de l’avant, reprendre ma vie là où je l’avais laissée. Et j’avais commencé cela en réintégrant Harvard. Les cours ici étaient nettement plus avancés que dans mon ancienne université, mais je pouvais compter sur l’aide précieuse de nouveaux amis pour m’aider à me remettre à niveau. L’un d’entre eux m’avait même donné ses quatre dernières années de cours pour que je puisse rattraper mon retard et je lui en étais grandement reconnaissant. Ce matin, j’avais une heure de battement entre deux cours et j’en avais profité pour aller me chercher un café au distributeur automatique. Il me faudrait bien cela pour me réveiller : j’avais tendance à dormir peu ces derniers temps, trop occupés à rester le nez plongé dans les notes de cours de mon camarade. J’avais faussé compagnie à mon groupe d’amis pour aller me le chercher et je prévoyais d’aller les rejoindre, quand je senti mon pied heurter quelque chose, ce qui n’avait pas manqué de me déstabiliser. Je m’étais senti partir en avant, et mon café dans mon gobelet avait pris la même direction alors que j’enjambais l’objet victime de ma perte d’équilibre : un sac de cours, posé en plein milieu du couloir. Quelle idée de laisser traîner ses choses là, d’autant plus que les casiers, ça existe. Je n’avais pu m’empêcher de ruminer intérieurement quand une exclamation me vint aux oreilles : de toute évidence, mon café venait de se déverser directement sur un étudiant présent au mauvais endroit, au mauvais moment… Et cela aurait pu être risible si mon café n’avait pas été brûlant. Pauvre de lui. Je m’en voulais de ma maladresse, même si à vrai dire, ce n’était pas moi le coupable dans l’histoire, mais bon, autant être poli. « Désolé » Me contentais-je de dire avant de porter rapidement mon attention sur l’élève face à moi. Ce visage, je savais que je l'avais déjà vu quelque part, mais impossible de me rappeler où. Oui, je n'étais pas très physionomiste, chacun ses défauts. Mais voilà, je ne me voyais pas lui avouer cette constatation, au risque de me tromper de personne. J'avais déjà l'air fin de lui avoir renversé mon café dessus, je ne voulais pas aggraver mon cas. D'ailleurs, je pensais écourter au plus vite cette conversation, voilà pourquoi je n'avais pas manqué de tourner les talons en vue de reprendre mes occupation, comme si rien ne s'était passé, en reprenant une gorgée de mon café.

Les vacances d’Elyan avaient été loin d’être de tout repos pour sa part. Il en avait profité pour travailler, quitte à faire des heures supplémentaires et travailler en plus les week-ends histoire de se faire un peu plus d’argent et arrondir ses fins de mois. Et dans l’ensemble, il s’était pas mal débrouillé. Bien sûr, lorsqu’il entendait ses camarades parler du Summer Camp, cela le faisait rêver, mais à présent qu’il était bel et bien de retour sur Harvard, il pourrait voir pour économiser pour le prochain voyage. Après tout, il y en aurait d’autres. Le jeune homme n’était pas le genre de ceux à se morfondre, tout comme il n’était pas le genre à se prendre la tête avec tout et n’importe quoi. Pas comme le jeune homme auprès duquel il venait de s’excuser et qui tenait, de toutes évidences, à ne pas en rester là. Ce dernier l’avait obligé à se retourner et à lui faire face à nouveau, de toute évidence contrarié. Mais qu’est ce qu’Elyan aurait bien pu faire de plus ? Machinalement, Elyan jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule du jeune homme et à voir les regards des autres posés sur lui, il cru comprendre exactement ce qu’il se passait. De toute évidence, l’autre voulait se donner en spectacle. Mais s’il comptait sur Elyan pour se laisser faire sans rien dire, c’était mal parti. «  Ruiner ? T’exagères pas un peu là ? C’est bon déstresse, dans dix minutes on verra plus rien… Et si au pire ça te mets en rage, demande à l’un de tes potes de te passer une veste. En prime, ça améliorera un peu ton look, prends le comme un conseil. C’est bon, j’ai payé ma dette maintenant, je peux y aller ? »

Tout ce cirque pour une tâche ? Il y avait de quoi tomber de haut, vraiment. Elyan aurait pu comprendre que son interlocuteur s’énerve si jamais il ne s’était excusé, ou bien qu’il se soit amusé de la situation, mais là, il avait été poli. Un accident, ça peut arriver à tout le monde, non ? Bref, cette histoire le dépassait complètement, et d’ailleurs, il n’avait pu s’empêcher de soupirer, blasé par la situation. « Ecoute, je me suis excusé, je peux comprendre que tu sois énervé, mais c’est juste une tâche, j’aurais pu comprendre que tu te mette en colère si je t’avais brûlé, mais pas là… » Oui, car là, à ses yeux, la situation tournait vraiment au ridicule. Et de toute évidence, il n’était pas sorti de l’auberge. Oui, c’est vrai, peut-être qu’Elyan y avait été un peu fort dans ses propos, mais quand on le cherche, on le trouve, et c’est normal. Tout ceci prenait vraiment des proportions énormes et en se retrouvant plaqué au mur, l’étudiant en était venu à penser que le jeune homme face à lui devait très certainement avoir un problème. C’était clair à son sens, ce mec, il était pas net. « C’est bon, décrispe-toi, j’ai rien dit de mal… Il faut arrêter d’être susceptible. »

Elyan était loin d’être le genre à chercher les conflits en permanence. Il n’aimait pas non plus attirer l’attention sur lui, mais là, coincé entre les mains de Raul, il devait affronter les regards des camarades de son interlocuteur qui semblaient n’attendre qu’une seule chose : que cela devienne intéressant. D’autres étudiants s’étaient également arrêtés et Elyan, même s’il n’aimait pas cela, en venait à se dire qu’il valait mieux faire profil bas pour ne pas donner de raison à Raul de s’énerver davantage. Déjà qu’il était pas mal à cran. Cela n’aurait tenu qu’à lui, il lui aurait bien déversé le reste de café présent dans son gobelet pour le forcer à lâcher prise, mais il savait que ce serait une grave erreur. Pourtant, ce n’était pas l’envie qui lui manquait. L’un des étudiants présents et qui était justement dans le petit groupe de Raul s’était manifesté et Elyan le dévisagea un instant, cherchant où il aurait bien pu le voir, mais rien ne lui venait à l’esprit. « Ah oui ? C’est bizarre parce que la tienne ne me dit rien… T’as dû seulement me croiser dans un couloir, va pas chercher plus loin. » En revanche, savoir pourquoi il avait retenu son visage en particulier, Elyan ne voulait pas y songer. Si ça se trouve, il s’intéressait aux garçons… Ce qui ne serait pas étonnant, à voir leur petit groupe. Des garçons comme eux, ça devait surtout traîner avec des filles… Qu’est ce qu’ils pouvaient du coup bien foutre ensemble ? Si ça se trouve, Raul lui aussi était attiré par les garçons… Cela expliquerait certainement le petit speech qu’il lui avait fait pour la tâche sur sa chemise… Comme l’aurait fait une vraie gonzesse… Tout cela devenait plus clair selon lui. Mais bien évidemment, il préférait garder ses impressions pour lui-même s’il n’avait pas pu s’empêcher un petit rictus alors que son regard se reportait sur son interlocuteur. « Tu sais quoi ? Tu vas me lâcher et seulement là, je te le dirais. » Mais c’était sans compter sur l’un de ses amis qui vint à vendre la mèche en l’interpellant. « Elyan, qu’est ce que tu fous, ça fait un quart d’heure qu’on t’attends… » Evidemment, son groupe d’amis devait très certainement se demander ce qu’il fabriquait étant donné qu’il leur avait seulement dit qu’il allait chercher un café. Son identité dévoilée, et sans prêter attention à son ami qui l'interrogeait sur ce qui se passait, Elyan reporta son attention sur Raul. « Tu peux me lâcher maintenant, on a rien à voir toi et moi. »

Elyan ne comprenait pas ces personnes qui en venaient aux mains pour des broutilles. En général, il préférait les éviter, mais là, il ne savait pas quoi faire pour se sortir de ce mauvais pas. Et comme si ce n’était pas suffisant, il venait d’avoir droit à ce qui semblait être des menaces de la part de son interlocuteur. Le jeune homme ne comprenait pas pourquoi l’autre étudiant se comportait ainsi avec lui. Peut-être que ce serait différent si sa horde d’amis n’était pas près de lui en ce moment même. On se comporte souvent autrement lorsque l’on est seul plutôt qu’en groupe… Et dans son cas, c’était comme s’il avait quelque chose à prouver à ses amis, du moins aux yeux d’Elyan. Il se trompait peut-être mais c’était l’impression qu’il avait. Pour ne pas aggraver son cas, il avait préféré ne pas répondre à sa remarque, mais avait retrouvé la parole alors qu’une vive douleur s'était faite sentir dans son tibia. Sur le coup, il n’avait pas pu s’empêcher de s’exclamer. « T’es malade , sérieux, c’est quoi ton problème ? » Il n’avait pas tardé à l’apprendre. Vick… Ce prénom qu’il voulait effacer de sa mémoire, voilà qu’il refaisait surface. Et à présent qu’il lui parlait d’elle, l’identité du jeune homme face à lui lui était revenue, comme une évidence. Instinctivement, il avait jeté un coup d’œil à son camarade resté un peu plus loin et qui ne connaissait rien de l’histoire. Et d’ailleurs, il avait pu voir l’air interrogateur que ce dernier lui avait jeté. De Vick, il n’en avait jamais parlé à personne, trop honteux de s’être fait berner. « Quoi??? » L’accusation dont il venait de lui faire part était un peu dure à avaler pour Elyan… C’était un peu comme une douche froide qu’il venait de se prendre. Il s'était attendu à tout sauf à cette révélation et n'avait pu retenir une mine mi surprise, mi mal à l'aise à l'égard de Raul.« J’en savais rien moi qu’elle t’avait pris de l’argent. Elle m’a juste dit qu’elle avait rompu avec toi et qu’elle voulait s’éloigner de toi le plus vite possible car tu l'avais menacée. Elle était complètement paniquée lorsqu’elle m’a raconté ça. J’étais pas au courant de ce qui s’était passé, je t’assure. » Il n’avait pas vraiment envie de lui confier que lui aussi s’était fait avoir, mais il était au moins d’accord avec Raul sur une chose. Vick était une vraie salope, et si ça se trouve, elle était encore en train d’embobiner quelqu’un à l’heure actuelle. Venant d’elle, plus rien ne le surprendrait. En revanche, il se sentait mal à l'égard de Raul et c'est plein de regret qu'il avait repris la parole. « Vraiment, je suis désolé pour ce qu'il s'est passé. »