Le grand départ était prévu pour le lendemain. Un vol de nuit direct Boston-Stockholm. Après avoir hésité plus d’un mois, Lisbeth s’était enfin décidée à réserver son billet d’avion pour sa ville natale. Par contre, pas de vol retour. Du moins, pour le moment. Elle ignorait encore combien de temps elle aurait besoin pour trouver les réponses à ses questions et surtout pour mettre la main sur la femme coupable de quatre tentatives d’assassinat envers sa personne. Que ferait-elle une fois qu’elle l’aura trouvée ? Aucune idée. Pour le moment. Quelques jours plus tôt, elle avait remis à Clay une clé USB contenant tout ce qu’elle avait récolté comme informations sur cette femme suédoise. Elle se demandait si ç’avait vraiment été utile, s’il trouverait quelque chose de tangible, mais un regard nouveau ne lui ferait pas de mal. Quatre mois qu’elle se démenait, qu’elle grapillait la moindre information et un peu plus et elle s’arrachait les cheveux. Cette dernière soirée dans son spacieux appartement, elle voulait la passer avec quelqu’un qu’elle n’avait pas revu depuis un bout de temps : son confident Remo. Après lui avoir écrit un SMS pour l’inviter chez elle, elle l’attendait, se demandant un instant comment se déroulerait la soirée. Cela ne l’empêchait pas d’être impatiente de le revoir, qu’ils discutent de tout et de rien comme à leur habitude. Bientôt, la sonnerie retentit dans l’entrée et la jeune femme se précipita pour lui ouvrir, ses pieds nus martelant le carrelage encore chaud. Quand elle déverrouilla la porte, un grand sourire illuminait son visage.

« Remo ! Viens, entre ! »

Une fois dit une fois fait, elle referma derrière lui et l’entraîna dans la cuisine ouverte sur le séjour, pièce que les deux jeunes gens ne connaissaient que trop bien pour y avoir passé des heures à discuter. Se rappelant qu’elle avait déjà sorti de quoi se sustenter et que tout se trouvait sur sa terrasse, elle changea d’avis et l’y emmena. Une fois assis sur le sofa avec vue donnant sur l’océan, elle se tourna vers lui. Son apparence avait bien changé depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus : ses piercings n’étaient plus à leur place, ses cheveux étaient plus longs et maintenus par une queue-de-cheval, son teint et son maquillage s’étaient adoucis, beaucoup plus sobre, soulignant ses traits féminins. Le plus étonnant restait la transformation de son habillement : un short en jeans et un T-shirt blanc mettaient en valeur ses différents tatouages ainsi que ses courbes féminines.

« Quoi de neuf ? Ça fait un bail, je suis contente de te revoir ! Qu’est-ce que je te sers ? »

Etrangement, elle parlait beaucoup, beaucoup trop, signe qu’elle était anxieuse et que quelque chose ne tournait pas rond. Mais elle n’en était pas moins heureuse de retrouver son confident.

Lisbeth ne comptait plus les heures passées sur la terrasse, au salon ou dans la cuisine à papoter de tout, de rien, à refaire le monde, à rire, à pleurer et parfois même à se disputer. Mais n’était-ce pas ça, la véritable amitié ? Ne pas craindre la réaction de l’autre quand on expose son opinion ou quand on a une remarque importante à faire. Pouvoir parler librement sans être jugé. Lisbeth avait trouvé en Remo un ami, un confident répondant à tous ces critères d’excellence. Jamais elle n’aurait pensé se lier d’une amitié aussi sincère, facile, qui va de soi. Tout naturellement, elle voulait passer sa dernière soirée avant son départ pour Stockholm avec lui. Craignant que quelque chose lui arrive en donnant un sérieux coup de pied dans la fourmilière, elle avait presque l’impression que cette soirée était une soirée d’au revoir (juste au cas où). Un peu morbide… Préférant chasser ces pensées négatives de son esprit, elle amena son ami sur la terrasse avant de prendre place sur le sofa. Prête à servir Remo, elle le laissa la devancer tout en prenant le verre qu’il lui tendait.

« En Ecosse ? C’était comment ? Tu as eu du beau temps, j’espère. De mon côté, il y a du nouveau : j’ai eu mon doctorat et je vais commencer à enseigner au MIT à la rentrée tout en faisant de la recherche en parallèle. »

Elle lui adressa un sourire lumineux avant de boire une grande gorgée du jus de fruits désaltérant. Il y avait encore bien des nouvelles mais elle préférait y aller doucement. Côté cœur, les choses avaient bien bougé et évolué (un peu comme son apparence, en fait). Par contre, elle ignorait totalement que Remo fréquentait à nouveau Read (qu’elle avait rencontré par hasard dans les rues de Boston sans savoir qui il était vraiment). Allait-elle montrer son mécontentement en l’apprenant ? Très bonne question !

« Et je vais partir quelques semaines à Stockholm, avant la rentrée. »

Du moins, elle espérait qu’elle serait de retour pour le grand jour. Un frisson la fit trembler alors qu’elle se mordillait la lèvre.

« Et côté cœur, quoi de neuf ? »

Son regard se plongea dans le sien, curieux, impatient d’entendre la réponse.

Lisbeth buvait les paroles de Remo. Elle imaginait les magnifiques paysages d’Ecosse, la falaise vertigineuse, la mer à perte de vue. Ces pensées la firent frissonner et causèrent la même émotion que quand elle parlait de son pays natal. Seulement voilà, un petit détail la chiffonna : Remo utilisa le pronom « on ». De qui parlait-il exactement ? Ayant son avis sur la question, elle s’abstint de tout commentaire, attendant que son ami crache le morceau de lui-même. Quelques mois plus tôt, ses doutes l’auraient fait sauter au plafond et elle lui aurait demandé cache si Read l’avait accompagné. Mais en y regardant de plus près, son confident avait l’air heureux, des étoiles plein les yeux et pour elle, c’était tout ce qui comptait. Alors elle lui sourit et éclata de rire quand il la couvrit de baisers et de câlins à l’annonce de l’obtention de son doctorat. La meilleure réaction que suscita cette nouvelle depuis qu’elle était en possession de ses précieux diplômes. Cependant, la véritable raison de sa petite escapade suédoise n’était pas des vacances bien méritées. La jeune femme était certaine d’apprécier son retour aux sources mais elle savait aussi qu’elle y retournait pour découvrir qui voulait sa mort depuis des mois. Chose qu’elle avait gardé pour elle jusqu’à ce qu’elle décide de mettre Clay dans la confidence. Mais comme Remo, elle était incapable de garder bien longtemps ce genre de secrets.

« Je ne sais pas si je vais avoir la paix bien longtemps… Si je retourne à Stockholm, ce n’est pas seulement pour les vacances mais également pour chercher des informations. »

Tout comme elle, Remo décida de cracher le morceau. Lisbeth resta coite un long moment. Un tourbillon d’émotions l’envahit : colère, frustration, envie de l’engueuler… Elle prit le temps de se calmer et prit une grande inspiration avant de prendre sa main dans la sienne.

« Tu sais très bien ce que je pense de ta relation avec Read… Mais si c’est ce qui te rend heureux, c’est tout ce qui compte pour moi. Et tu sais que tu pourras toujours compter sur moi. »

Réaction bien mesurée pour celle qui s’emportait facilement il y’a de ça quelques mois à peine. Lisbeth prit son ami dans ses bras et le serra contre elle alors que sa gorge se nouait.

« Tu es parti en Ecosse avec Read, je me trompe ? Rien que pour ce regard, je devrais aller le remercier. »

Et pour qu’elle dise ça, il fallait y aller ! La jeune femme s’empara d’un mouchoir et s’essuya le coin des yeux. Bon sang, toutes ces émotions allaient l’achever !