Celian avait rangé les lettres dans son sac, avec une légère appréhension. Il les relisait souvent, se demandait pourquoi il n'avait pas répondu après la dernière. Sa correspondante avait proposé de le rencontrer, il avait paniqué, et les jours sans réponses s'étaient accumulés jusqu'à ce qui lui semble être un trop tard pour répondre. La chose l'avait rendu un peu triste, il avait pris goût à ces échanges, qui rajoutaient un peu de couleur à la palette de couleurs monotones de son quotidien. Il n'était qu'un étudiant banal, l'imbécile qui avait peur des autres, une petite chose fragile et oubliable, et ainsi, il avait du mal à se faire des amis. Il se disait souvent que les quelques personnes qu'il croyait être ses ami-e-s passaient du temps avec lui surtout par dépit, parce qu'au fond, il n'était pas très intéressant. Il se disait que son double était sûrement meilleur, parce qu'il était trop jaloux de son avatar virtuel. C'était sa double vie, lui, aussi, mais il s'en était trop dissocié avec le temps, si bien que s'en était devenu comme une autre personne qui marchait en parallèle à sa personne. Les rares fois où il n'avait pas eu cette impression, c'était en écrivant des lettres à cette inconnue. Il ne lui avait pas dit qui il était, mais il lui avait semblé trouver un juste milieu entre le Celian timide et oubliable, et le Kerian franc et flamboyant qui marquait à coup sûr les esprits. Il n'avait jamais ressentit le besoin de mentir en écrivant à cette jeune femme qu'il n'avait peut-être jamais vu. Mais au moment où elle avait proposé de se rencontrer, il avait perdu toute son assurance, persuadé que face à quiconque, il ne serait que cette personne terriblement ennuyeuse.
Pourtant, il avait voulu savoir qui était cette personne qui lui avait offert cette occasion de se sentir complet, et honnête avec lui-même autant qu'avec elle. Elle avait évoqué son champ d'étude, et il avait eu tôt fait de consulter les horaires pour ce domaine d'études, allant attendre entre ses cours pour voir s'il pourrait avoir un indice pour la reconnaître. Comment pourrait il la retrouver sans qu'elle ne sache qui il était non plus ? Il n'en savait rien. Au fond, il avait envie de la voir, il était affreusement curieux à son propos, il avait envie de lui parler, mais il était de la même manière terrifié par cette idée. Celian, il avait quand même eu la mauvaise idée de dire de quel domaine d'études il venait à des jeunes filles qui s'interrogeaient de sa présence maintenant presque habituelle dans le coin. Il s'était demandé si l'une d'elle serait sa correspondante, mais il n'en avait semblé rien.
Le voilà qui était encore revenu au même endroit, se demandant parmi tous ces étudiants qui était cette fille avec qui il avait tant échangé. Il perdait son temps, peut-être, c'était absurde... Il était en double-licence, et il avait sa double vie de chanteur-compositeur, ce n'était pas le travail qui manquait, il y en avait peut-être même un peu trop... Mais non, le peroxydé attendait, nerveux, observait, se demandait s'il ne devait pas aller parler à quelqu'un pour avoir des indices... A qui parler ? Comment parler à qui que ce soit ? Il avait surtout envie de voir arriver son frère ou Embrylla pour se cacher derrière en pleurnichant. Enfin... Peut-être pas en pleurnichant, mais dans tous les cas, il pourrait se cacher, ça c'est certain. Quoi que si son frère sortait de nul part, il serait certainement avec des ami-e-s ou Roxane, et Celian il avait peur des gens, et de la petite-amie de son aîné encore plus, alors...
Il était allé se poser sur un banc avec son sac, regardant la foule avec un air de chaton battu, se demandant décidément pourquoi il faisait ça de sa vie. Il ne trouverait jamais cette personne, et c'était mieux ainsi. De toute façon elle ne lui enverrait plus jamais de lettres, vu qu'il n'avait pas répondu à sa dernière... Est-ce qu'elle avait vraiment apprécié cet échange épistolaire en premier lieu ? Elle était peut-être heureuse qu'il n'ait jamais répondu, au fond... Il ouvrit son sac, et dans un élan peut-être complètement stupide, sortit la dernière lettre reçu et un papier blanc pour essayer de rédiger de piteuses excuses qui n'arriveraient jamais à la destinataire. Tant pis, il s'en fichait, toute façon elle devait s'en moquer aussi, non ? Tout le monde s'en moquait.

Maïwenn n’a jamais été quelqu’un de très sociable, surtout à l’époque. Pourtant, pendant un long moment, elle avait échangé des lettres avec un garçon. Elle ne savait pas énormément de chose sur lui qui lui permettrait de le reconnaître dans la rue. Nan, il était un peu comme son journal intime même si elle se retenait par moment. Elle avait finalement passé le pas, tenté de rencontrer cette personne mais rien… le néant, plus de réponse. Elle a mis du temps à s’en remettre la brunette, mais sa fierté était tel qu’elle n’a juste jamais renvoyé de lettre. C’était certainement mieux ainsi, il gardait ses secrets sans même connaître son visage. Un journal intime oublié. Son cours venait de se terminer, elle referma son mac et le rangea dans son sac avant de sortir de classe. Elle était toujours la dernière et seule, comme si cela importait vraiment d’être le premier à sortir. Elle remit bien ses cheveux à sa place et traversa les couloirs, son jean slim allongeait ses jambes, ses timberland au pied. Sa veste d’hiver sur le dos, et son bonnet nouvelle mis, elle prit un grand coup d’air quand elle ouvrit la porte.

Elle soupira un bon coup et dévala les escaliers, essayant de ne pas se manger au passage. Elle avait encore quelques petits projets en cours qu’elle devait avancer personnellement. Cela n’allait pas durer une éternité mais tout de même. Son attention se porta sur un jeune homme assis sur un banc, par ce froid hivernal, c’était fort. Elle préféra ne pas s’y inquiéter, il était assez grand pour faire ses propres choix après tout. Elle passa devant lui l’air de rien mais quelque chose la tilta dans sa tête. Ce papier dans la main, ressemblait bizarrement au papier jaunâtre qu’elle utilisait pour écrire à son journal intime. Elle ne pouvait pas passer à côté sans en être sûr. Elle fit demi-tour rapidement, se plantant devant ce garçon inconnu. – où as-tu eu cette lettre ? dit-elle d’un ton sec, le regard sombre, elle avait le cœur qui battait la brunette et si c’était lui. Allait-il tout révéler sur son passé, sur le gang, sur toute la vie qu’elle aurait souhaitée oublier. Elle avait peur Maï et dans ce cas-là, elle préférait attaquer directement.

Pour les excuses, au fond, Celian n'était pas si doué. A force de mentir et d'enterrer les vérités, il n'avait eu que peu besoin d'apprendre à en faire. De toute façon, s'il y était contraint, il avait surtout l'habitude de fuir. Couard ? Certainement. C'était plus fort que lui, c'était l'instant de survie de la proie.
Il se retrouvait donc privé des mots, ou alors, pas certains de leur portée, leur impact, et leur sens. Ils s'emmêlaient dans sa tête, et il avait soudainement l'impression d'être particulièrement sot. Il était habitué à manipuler les mots, mais les voir se bousculer et s'emmêler dans son esprit confus le rendait incapable d'en attraper plusieurs dans l'espoir de former une phrase. Par quoi faudrait il seulement commencer cette lettre ? C'était peut-être une meilleure idée de ranger ça, il allait juste passer pour le type qui fait ses devoirs à la dernière minute avant un TD.
Les doigts crispés sur le crayon, incapable de trouver une phrase à formuler, un air concerné se peignait alors qu'il se rendait à l'évidence sur l'absurdité de son geste : il perdait son temps. Ca ne servait à rien, n'est ce pas ? Il était préférable de tout ramasser, d'aller se chercher un café (boisson qu'il haïssait, mais s'obligeait à boire pour se donner un genre), et d'attendre le cours suivant, qui lui semblait d'ailleurs être encore une maudite leçon d'histoire de l'économie.
Voyant une silhouette juste face à lui, il leva les yeux vers ce qui semblait être... une jeune femme ? Fine et élancée, avec un regard assez dur, un visage hermétique... enfin, elle semblait intimidante aux yeux du décoloré, qui crû l'espace d'un instant qu'elle allait juste l'insulter pour passer le temps... Il tenta de se rassurer, se disant qu'elle voulait peut-être juste qu'il se pousse pour pouvoir s'asseoir ou alors... Mais les mots qui s'échappèrent comme des dizaines d'éclats de verres propulsés dans l'air, ils révélaient autre chose. Il était coincé, fait comme un rat.
Ce n'était pas compliqué de savoir que c'était elle. A force de traîner par ici, à chercher une personne avec qui il avait tout simplement rompu tout échanges sans prévenir, il y aurait eu un retour de bâton. Sa curiosité l'aurait bien eu un jour ou l'autre. Il avait voulu connaître son visage, savoir si elle allait bien, et bien, maintenant il savait.
Il était couard, Celian, mais c'était un adulte, et il avait tout de même un minimum de maturité. Il ne voulait pas faire honte à son frère et sa soeur, alors il était primordiale qu'il fasse de son mieux pour ne pas passer ses journées à pleurer parce qu'il était trop sensible. Pourtant, au vu de cette situation un peu inédite, il ignorait quel était le bon comportement à adopter. Soutenant le regard de Maïwenn, la seule réponse qu'il avait eu à l'esprit était :

- C'est toi que les as envoyées, les lettres.

Il avait parlé plutôt bas, comme à son habitude, penchant légèrement la tête de côté, avant de très légèrement sourire. Ce n'était pas le moment d'avoir peur. Du moins plus le moment. Il devait un peu se maîtriser. Attrapant son sac, il le posa sur ses genoux pour inviter la jeune femme à s'asseoir sur le banc.
Son regard balaya le sol de manière nerveuse, allant de gauche à droite, tandis qu'il cherchait en vain à inventer un mensonge plus glorieux que la réalité. Mais tout ce qui lui venait, c'était les mêmes mots, qui tourbillonnait dans son crâne qui ne cherchait qu'une option malhonnête qui n'allait certainement pas avec l'assurance qu'il avait montré en écrivant. Le fait était qu'il n'écrivait pas, qu'il parlait, et qu'il avait l'impression d'être loin de celui qu'il avait incarné stylo à la main.

- Je... Suis désolé, d'avoir coupé l'échange épistolaire. J'ai... J'ai eu peur, je ne suis pas forcément très à l'aise avec les gens. Désolé, avait il chuchoté, jetant un rapide coup d'oeil à son interlocutrice.

Que dire de plus ? C'était la vérité. Il n'était pas aussi confiant, pas aussi cool que sur le papier. La vérité c'était que privé d'un stylo ou d'un clavier, il paraissait plutôt fade et fragile. Une palette de nuances d'une même couleur plutôt ennuyeuse, semblait il. L'existence qu'il menait en parallèle ne prenait que rarement le dessus sur ce personnage vaguement insipide qu'était le timide benjamin des Sears.

Elle réfléchissait trop parfois.
Cela lui arrivait par moment de repenser à son ami avec qui elle échangeait tout particulièrement par lettre écrite. Quand elle a pris son courage à deux mains pour proposer une rencontre, silence radio. Elle qui lui avait ouvert son cœur à propos de ce qu’elle a vécu, de cette immersion en prison, sa vie dans un gang. Rien de bien détailler mais elle en a parlé et elle a peur que ça fuite Maï.
Sortant de son cours, sa tête encore plongé dans cette disparition récente, la belle finit par sortir dehors. Ses cheveux vaguant dans l’air alors qu’elle marchait tranquillement en direction de la bibliothèque pour pouvoir bosser tranquillement sur ses projets personnels.
Son attention se porta sur un inconnu, assis sur son banc.
Sur la lettre jaunâtre qu’il tenait en main et qui lui rappelait vaguement quelque chose. Elle n’y prêta pas attention, jusqu’à ce que ça fasse tilt dans sa tête. Cette lettre, c’était exactement le papier qu’elle utilisait quand elle envoyait des lettres à son ami anonyme. Pris d’un élan, elle fit demi-tour et attrapa la lettre des mains de ce jeune homme. Posant la question directement : ou l’avait-il eu exactement.
Son regard était dur, c’était plus fort qu’elle mais elle s’était sentie trahi la belle. Hors de question qu’elle renvoie une lettre, elle avait une fierté bien qu’elle était totalement débile parfois. – bien joué sherlock dit-elle avec un sourire amer. C’est la seule chose qu’il avait à lui dire, sérieusement. Elle attendait des explications la brunette.
Il semblait plus timide qu’elle ne l’aurait pensé. Il faut dire qu’il était plus simple de s’ouvrir et de parler à travers un morceau de papier et un stylo bic. La belle fronça les sourcils quand il retira son sac, une invitation pour qu’elle s’installe. Elle hésita quelques secondes mais fini par poser son derrière sur le bois froid.
– J’aurais préféré que tu me dises que tu n’étais pas prêt. Finalement, on s’est rencontré sous un mauvais terme. dit-elle en grommelant, passant une main dans ses cheveux bruns. – tu ne diras rien à personne sur ce que je t’ai dis dans les lettres n’est-ce pas ? demanda-t-elle plongeant son attention sur le visage du décoloré. Elle ne voulait pas être mauvaise s’il avait finalement parlé, personne ne doit le savoir. Elle veut son diplôme avant que ça fuite.