Hecate, douce Hecate, la liberté incarnée, l'esprit sauvage. T'as jamais eu une vie normale, et sans doute ne le seras-tu toi-même jamais, normale. Fille née d'une catin et d'un jeune rebelle dans les quartiers pourris de la cité des anges, à Los Angeles, t'étais pas désirée, grossesse née d'un couple bancal, voué à l'échec. Et quand elle accouche dans son appartement, il est là pourtant, ton père, tenant à l'assister, assumant son rôle. Rebelle, oui, mais mature, aussi. Sauf que quelques heures après la naissance, alors que tu t'es enfin endormie et qu'ils peuvent discuter de ton avenir, une dispute éclate. Adoption, garde alternée ? Elle ne veut rien de tout ça, ta mère, elle te refuse en bloc, refuse même de te regarder, parce qu'elle ne veut pas du bébé, elle te refuse, complètement camée, elle dit que droguée comme elle est sans arrêt, t'es probablement un bébé handicapé, qu'elle préfère te tuer. Et au début, ton père, il prend pas la chose au sérieux, jusqu'à ce qu'il reconnaisse la crosse d'une arme. Le ton monte, ils se battent, tu commences à pleurer, Hecate, bien trop jeune pour comprendre, pour réaliser que ta vie va changer avant même d'avoir réellement commencé. Puis un coup de feu part, puis le silence. Ton père s'est battu pour ta vie, et au final, il a pris celle de ta mère, s'accusant au passage d'homicide volontaire. Et il sait, les voisins vous ont entendu vous disputer. Il sait qu'il s'en sortira pas, que tout l'accuse, alors il demande à son meilleur ami de t'élever comme sa fille. Ce qu'il a fait. Et à partir de ce jour, t'es devenue Hecate Malcolm, sauf que ça, tu ne le sais pas, et peut-être que tu le sauras jamais.

Certains naissent et roulent sur l'or, d'autres triment pour joindre les deux bouts. C'est aussi simple que ça. Et toi, t'es arrivée dans la famille chaotique par excellence, située - on s'en sera douté - dans la seconde catégorie. Hecate. Déesse de la lune dans la mythologie, c'est ton père qui a choisi ton prénom, parce que selon ses mots, t'es arrivée au milieu d'une nuit d'été dans la cité des anges de Californie. Cette fois, c'était à lui de choisir le prénom, ta mère ayant choisi ceux de tes frères aînés, et si beaucoup rigolaient de ce prénom original et atypique, toi, il t'a jamais dérangée. De la famille Malcolm, t'es la plus petite, la poupée à la chevelure d'ébène et aux grands yeux bleus, contraste parfait avec les jumeaux et leur regard sombre. Tu les tiendrais d'une grand mère, selon leurs dires. Ca t'a toujours étonné, d'être la seule de la famille avec les yeux clairs, puis t'as laissé couler, en grandissant. Lenny et Hendrix ont toujours été tes repères, plus fort encore que tes parents, même si t'en doute pas, ils t'aimaient. Ils avaient une façon étrange de le montrer, étaient souvent absents, ils étaient pas parfaits, mais à défaut d'avoir vu mieux dans ta vie, ça t'allait tout simplement. Puis même quand tu ne voyais ni ta mère ni ton père, gamine déjà, tant que tu avais drix et lenny, tout allait bien. Gamine curieuse, éveillée, tu marchais déjà à onze mois, et à force d'écouter tes frères parler et chahuter, t'as commencé à parler plutôt vite. Petite fille, ce sont les jumeaux qui t'ont pratiquement élevée, à leur façon, loin d'être des anges. Mais tu les aimais, tous les deux, chacun leur manière, même s'ils étaient foncièrement similaires. Et même si Lenny a toujours été celui qui prenait le plus soin de toi, qui passait parfois des heures à t'aider sur tes devoirs plutôt que de sortir jouer avec les copains comme le faisait Hendrix. Ce dernier a toujours été le plus libre et le plus indépendant de la famille, pendant que toi, tu te raccrochais à ton foyer. Petite fille d'une dizaine d'années, t'avais tes amis, t'as toujours été d'un naturel sociable, mais la maison restait ton sanctuaire, même si l'ambiance y régnant pouvait être... électrique.  

Et dire que les choses étaient parfois tendues dans ta famille, ça relève de l'euphémisme. Votre père a toujours eu la bouteille facile, c'est pas nouveau, c'était presque anormal de le voir sobre et calme, en fait. Et forcément, quand il était à la maison, et que votre mère aussi était là, bah paf, ça faisait des chocapics. Ou plutôt, de sacrées embrouilles, les murs de votre appartement en ont presque tremblé parfois, et toi, tes frères te poussaient presque jusque ta chambre pour que tu n'aies pas à voir ça. Sauf qu'on ne peut pas toujours se protéger des sales choses que la vie ont à t'offrir, surtout quand elle s'acharne. Un été, t'étais de sortie avec Lenny, qui t'avais promis de t'acheter ton gâteau préféré pour ton anniversaire. Et t'étais tellement heureuse, d'avoir tout le monde à la maison pour une fois pour célébrer cette année de plus qui te rapprochait de l'âge adulte. Adolescente extravertie, un brin rebelle - la faute à tes frères, t'as jamais cessé de dire qu'ils t'ont influencée - tu dansais presque dans la rue, Lenny souriant presque tendrement à te voir gesticuler joyeusement alors que vous entriez dans votre appartement. Et de vous deux, t'as été la première à voir la scène. Le corps inerte de ta mère, la flaque de sang, telle une auréole funeste autour de sa tête, son regard vide... Sans vie. T'as hurlé, et c'est probablement ce qui a affolé les voisins, sans quoi, tu sais pas tellement ce qui se serait passé. Tu te souviens plus de grand chose après ça, à vraie dire, tu t'es juste jetée dans les bras de Lenny, qui avait lâché ton gâteau d'anniversaire pour te serrer contre lui, une main glissée derrière ta nuque pour t'empêcher de regarder à nouveau vers vos parents. C'était la dernière fois que tu allais les voir, l'un comme l'autre.

T'étais qu'une adolescente, une gamine sans histoire, qui vivait simplement avec ses parents et ses frères, et voilà que votre famille était morcelée, éparpillée. Ta mère, six pieds sous terre, ton père à l'ombre d'une prison, Hendrix parti rejoindre votre oncle à Boston, Lenny décidant de partir sur les routes, sans destination précise. T'as du le supplier de te laisser venir avec lui, tu voulais pas... Tu pouvais pas être séparée de lui. Et heureusement pour lui sinon t'aurais été insupportable, il a dit oui. Au départ, Hendrix a été assez froid envers vous deux, jugeant que la situation ne serait pas assez stable pour que Lenny s'occupe de toi. T'as entendu leur conversation, et Lenny, il a promis. Il a promis qu'il ferait tout pour que tu ne manques de rien, et après ça, les jumeaux se sont plus parlé pendant un moment.

Lenny, il a tenu sa promesse. Des années durant, vous avez changé d'endroit de temps à autres, vous vous posiez quelques mois pour mieux partir ailleurs, puis parfois, vous restiez un peu plus longtemps. Il s'est lancé dans le tatouage, et il s'arrangeait pour que tu puisses continuer ta scolarité, soit avec lui, soit dans des écoles quand vous vous arrêtiez plus longtemps quelque part. T'avais pas tellement le temps de t'attacher, de te faire des copains, et c'est sûrement de là que te vient ton côté frivole. Aucun mec n'arrivait à te tenir plus d'une semaine, et ce dès l'âge de seize ans. C'est comme s'il leur manquait quelque chose... Ils étaient pas ton idéal. Mais ton idéal, c'est qui alors ? La vérité, c'est que tu voulais un mec comme Lenny. A trop grandir avec lui, t'as fini par l'idéaliser un peu trop fort, et ces années sur les routes n'ont pas forcément arrangé la chose. Tu ne te reposais que sur lui, rien que lui, toujours lui. Pas vraiment un père, pas vraiment un frère non plus, c'était un peu ton ange gardien, ton meilleur copain. Votre famille elle a cessé d'exister quand t'as eu tes douze ans, et tu le sais, tout a changé pour vous ce jour là. T'as repris contact avec Hendrix une fois les tensions apaisées, mais c'était pas pareil, et tu savais que ça le serait jamais pleinement, même si tu les aime tous les deux si fort que c'en est presque pas humain. Quand tes copines au lycée bavaient sur ton frère, tu devenais agressive, parfois même peste, trouvant le premier prétexte pour les rayer de ton entourage. Au moins, elles n'auraient plus à regarder Lenny. C'était ton tout, et personne d'autre avait droit d'y toucher, c'est comme ça. Enfin, en théorie, parce qu'en pratique... C'était pas forcément la même chose. Quand t'as eu dix-huit ans, tu te souviens d'être rentrée dans sa chambre par mégarde, tombant sur lui au lit avec une fille. Et même s'il s'est excusé pendant une heure pour ne pas avoir verrouillé sa porte ou "prévenu", toi, tu t'es murée dans le silence, refusant de piper le moindre mot jusqu'au soir. Jusqu'à ce que cette "pétasse" (ouais, et tu l'as dit devant elle sans pression) ne soit plus chez vous. Et Lenny a obtempéré, au final, foutant la fille dehors. Si Hecate ne l'aimait pas, alors, Lenny il la verrait plus. Mais quand comprendrait-il que 'Cat, elle n'aimait aucune fille qui entrait dans son périmètre ? Trop possessive ? Sûrement. Mais ça a toujours été comme ça, et ça le serait probablement toujours.

Tout a été mis entre parenthèses alors que tu approchais de tes dix-neuf ans. Rien ne pouvait prévoir ça, et pourtant, ce jour là, quand t'es entrée dans la chambre de ton frère, t'as compris. T'as vu ses larmes, et tu le connaissais si bien, que tu ne voyais pas d'autre explication logique. Pourtant, les mots se sont perdus dans ta gorge quand t'as voulu parler. Il a levé un regard vers toi, et t'as su que tu venais de perdre un autre membre de votre famille. Lenny, lui, venait de perdre une part de lui même, alors tu t'es approchée, t'es tombée à genoux, et tu l'as pris dans tes bras en pleurant. Un de ces rares moments de vulnérabilité que vous vous êtes accordé tous les deux, mais qui était nécessaire. Hendrix venait de mourir des suites de sa maladie cardiaque, et ça t'a foutu un coup. Ton grand frère, tu l'as jamais tellement vu malade, ou du moins, très rarement, parce qu'il ne voulait pas le montrer, il voulait profiter de la vie, et il l'avait fait à fond. Hendrix, il t'avait promis de t'emmener à une de ces soirées à Harvard, dont il te parlait tout le temps au téléphone. Hendrix... Il était plus là. Il ne restait plus que Lenny et toi, et tu t'es promis de ne jamais le perdre. Jamais, parce que sinon... Tu ne serais plus rien.

Vous n'êtes pas allés à l'enterrement, même si toi, t'aurais voulu le voir une dernière fois. Tu t'es senti coupable, coupable d'avoir fait une préférence, parce que c'était le cas, même si tu pouvais jurer aimer tes deux frères, t'avais choisi Lenny, t'avais suivi Lenny, et pas Hendrix, et maintenant, tu pourrais plus jamais rattraper ce temps perdu. Mais c'était trop dur pour ton aîné, et tu l'as choisi encore. T'es restée avec lui, vous vous êtes épaulés l'un l'autre. Et tu sais au fond que c'est ce que drix il aurait voulu. Après cet événement, vous êtes devenus plus proches encore, si seulement c'était possible. Il ne se passait pas une journée sans que vous vous voyez. Parfois, tes copains se moquaient même de votre relation, la jugeant presque malsaine, et toi, ça t'énervait plus qu'autre chose, tu les rembarrais, tu les insultais parfois même. De toutes manières, ils sont pas important, y a personne d'important, personne d'autre que Lenny. Tu sortais, il sortait, mais l'un pour l'autre passait avant le reste. T'es possessive, t'es chiante, il le répète quand tu lui fait des scènes, mais au fond, il est pas mieux quand tu ramènes un mec à la maison. Et même si tu l'admettras jamais, ces mecs, tu les ramène dans ton lit juste pour ça. Juste pour voir sa réaction quand il les voit te toucher, t'étreindre, t'embrasser. Un soir, vous avez trop bu, et ça a merdé. Les lèvres qui dérapent, qui s'embrassent, vous vous enivrez l'un de l'autre, et ça s'est arrêté aussi brutalement que ça a commencé. Vous en avez jamais reparlé. Et pourtant.. pourtant, t'as pas oublié.

Aujourd'hui, vous avez enfin décidé de vous poser à Boston. Vous avez retrouvé votre oncle, vous avez suivi la voie d'Hendrix, la voie que votre mère voulait pour vous. Toi, t'as finalement suivi cette passion que t'as pour les étoiles et l'informatique. Petit génie avec un clavier entre les mains, tu mets le tout à profit pour tes études, et t'as finalement réussi à décrocher une admission pour la rentrée. Vous allez reprendre votre vie en main tous les deux, mais c'est pas pour autant que tu veux laisser Lenny s'éloigner de toi. Tu ferais tout pour les sourires de ton grand frère, tout pour qu'il reste auprès de toi, et t'emmerdes ceux qui jugent votre relation. T'as pas besoin d'eux, de toute façon.