Jake reposa son livre sur sa table de nuit, fixant le plafond. Le voilà, encore, allongé sur un lit d'hôpital. Il savait parfaitement que c'était devenu sa résidence principale et qu'il n'irait jamais ailleurs, surtout pas à la fin de sa vie. Soupirant doucement, il se frottant le ventre avant de venir glisser ses doigts sur la cicatrice d'une vingtaine de centimètre qui s'était formée suite à une opération. Il aimait cette cicatrice. Il lui arrivait souvent de dire qu'elle était une blessure de guerre récoltée au cour d'un week-end de camping en forêt. L’œuvre d'un ours jaloux de sa trop grande perfection. Cette pensée le fit sourire doucement. Il était bête quand il s'y mettait. Mais il avait besoin de rester heureux. Tout le temps. Ne pas penser à cette route dont il connaissait l'issue. Il n'avait pas demandé à ce que ça se passe comme ça mais il était forcé de l'accepter. Alors, plutôt que de passer les dernières années de sa vie à se plaindre, gémir et se renfrogner, Jake avait décidé qu'il valait mieux pour lui de profiter. C'était comme ça, il acceptait qu'un jour, il devrait embrasser la mort, l'accueillant comme une vieille amie dans ses bras. Il n'avait plus peur maintenant, il profitait simplement.

Tout avait commencé le jour de ses cinq ans, alors qu'il s'amusait avec ses frères et sœurs dans le jardin de la demeure familiale, Jake s'était plaint de douleur à la poitrine. Ses parents avaient d'abord pensé que c'était à cause de l'effort mais c'est à son premier malaise qu'ils l'ont envoyé à l'hôpital pour faire des examens. Après quelques semaines, le verdict était tombé. Son cœur ne s'était pas formé correctement et il n'en souffrait que maintenant. La greffe n'était pas encore envisageable, trop jeune. L'enfant n'avait pas totalement conscience de ce qu'à pouvait représenter pour sa santé ce problème. Et même si on le gavait de médicaments pour stabiliser son cœur, fluidifier son sang et tout un tas d'autres trucs dont il n'a jamais compris le sens, une question résidait dans son esprit. Pourrait il encore jouer avec ses frères et ses sœurs ? Pourrait il encore aller à l'école et voir ses copains ? La mort ? Il n'y pensait pas. Il faisant souvent semblant d'être mort quand il jouait à la guerre. Pour lui, à son âge, tout ça n'avait pas vraiment de sens dans son esprit.

Les médicaments l'ont aidé à tenir pendant près de onze ans. À seize ans, les médecins ont décidé de l'enfermer dans une bulle stérile le temps de lui trouver un cœur. Ce ne fut pas une mince affaire de faire tenir Jake dans un espace réduit à ne rien faire de ses journées. Lui, il rêvait de plages, de filles et de surf. Il avait envie d'aller faire de la plongée avec ses frères, d'aller casser le nez aux garçons qui font pleurer ses sœurs. Il avait envie de se disputer avec ses parents, de trouver la vie pourrie, d'avoir envie de foutre le camp d'ici pour ne jamais revenir. Mais rien de tout ça. Sa vie n'était qu'ennui et stérilisation. Jake s'amusait à séduire les infirmières sans jamais être sérieux. Ça l'occupait. Enfin, la greffe arriva.

Ça faisait maintenant près de huit ans que Jake avait été greffé. Il aurait pu être sauvé et se dire que c'était bon. L'ennui était que son corps refusait ce cœur qui ne lui appartenait pas. À Harvard pour ses études -surtout parce que son père lui a demandé de ne pas rester à rien faire- Jake tente de profiter de ce qu'il reste de sa vie. Il ne s'empêche pas de vivre, bien au contraire. Il est devenu assez casse cou et, parfois, son père n'hésite pas à l'engueuler parce qu'il ne fait pas assez attention. En attente de la greffe de la dernière chance sans y croire, Jake profite, Jake voyage, Jake sèche souvent les cours malheureusement. Mais Jake ne veut pas passer le reste de sa courte vie à étudier un métier qu'il ne fera jamais.