Un dernier regard pour inspecter le résultat. Evie était nerveuse, très nerveuse. Ce reflet que lui renvoyait le miroir, elle ne l'avait pas vu depuis longtemps. Et de se voir, là, toute apprêtée, portant une robe d'un bleu sombre, tombant un peu au dessus des genoux et marquant délicatement ses formes, c'était surréaliste. Mais ce qui l'était encore plus c'était de se dire qu'elle se retrouvait ainsi pour aller diner avec Edgar, son ex et père de sa fille. Si on lui avait dit ça il y a quelques mois, elle aurait éclaté d'un rire plus que mauvais et aurait envoyé balader tout le monde.
Aujourd'hui tout était différent. Oui elle s'était sentie trahie par les diverses photos trouvées sur internet mettant en scène son ancien compagnon et d'autres femmes mais au final elle avait failli le perdre... Et elle s'était rendu compte qu'elle avait agi sur un coup de tête, bêtement, ne lui laissant aucune chance. A présent, elle voulait secrètement cette chance, pouvoir lui dire ce qu'elle ressentait ouvertement, et lui faire comprendre que sans lui à ses côtés, la vie n'avait plus vraiment la même saveur.
Elle inspira une dernière fois, avant de quitter la salle de bain. Ses pieds nus entrèrent en contact avec la moquette qui reposait au sol de la chambre. Ce contact la crispait, reflétant alors son état d'esprit. Elle priait pour que la soirée ne prenne pas un mauvais tour, pour qu'elle ne sorte pas quelques mots qui iraient vexer Edgar et faire qu'il allait se fermer...

Puis finalement, elle attrapa la pochette qui reposait sur son lit, contenant le strict minimum pour une femme (chose qui n'était pas du tout facile à trier !) et utilisa la fine chaine d'argent pour la caler sur son épauler gauche. Elle descendit les escaliers avec une lenteur calculer, comme si lorsqu'elle allait attendre le bas, tout allait disparaitre, comme lorsque Cendrillon n'eut plus rien au douzième coup de minuit. Quand son pied fin se posa sur le parquet de l'étage du bas, elle ferma légèrement les yeux et retint sa respiration. Lorsqu'elle rouvrit le tout, elle trouva, plantée devant elle, sa soeur, la bras croisé et un sourire amusé flottant sur ses lèvres. Elle lui lança un rapide regard et dit en ricanant:

- Bah dis donc ! Je croyais que vous alliez manger pour discuter de nouveau de la garde d'Arlo... Tu te serais pas foutue de moi par hasard ?

- Vicky... C'est... Compliqué...

- Mouai... Ce que je constate, c'est que t'es toujours accro, un point c'est tout ! Cependant, si c'est le cas de son côté, je te félicite, t'as mis le paquet sur ta tenue ma poule !

Evie haussa les épaules et dépassa sa soeur en relevant la tête, faisant exprès de prendre une mine faussement choquée et sa colocataire se permit de rire franchement cette fois en voyant la comédie que faisait la rouquine.
La jeune maman alla droit vers le canapé; Arlo reposait dans un couffin. Elle avait toujours peur que sa fille tombe et qu'il lui arrive quelque chose... Pourtant elle aurait bientôt huit mois... Mais elle avait toujours l'impression qu'elle était si fragile... S'il lui arrivait la moindre chose, elle ne se le pardonnerait jamais. Elle s'accroupit face à l'enfant et caressa sa petite joue. Le bébé, sentant la présence de sa mère, ouvrit de grands yeux bleus et sortit un petit son aigüe. Sa petite main vin se refermer sur le doigt bien plus imposant de sa génitrice. Les lèvres d'Evie s'étirèrent en un franc sourire et elle mit fin à ce contact, à contre coeur, au moment où la sonnette de la porte d'entrée retentit dans le vaste appartement. C'était l'heure... Il était là...
La scénariste déposa un tendre baiser sur le front de son enfant et se releva. Elle attrapa son trench noir qu'elle enfila et se jucha sur les talons de ses escarpins de la même couleur. Le miroir qui se trouvait dans le hall lui renvoya une dernière fois son reflet. Elle avait bossé pendant deux bonnes heures dans le but de se rendre présentable: des yeux charbonneux, une bouche légèrement rosie à l'aide d'un rouge à lèvres matte et des joues redessinées à l'aide des produits nécessaires dont une femme pouvait disposer. Elle secoua légèrement la tête, et détourna finalement le regard. Elle posa la paume de sa main droite contre la porte froide. Sa respiration s'accéléra lorsqu'elle arriva à percevoir la voix d'Edgar par delà le panneau. Puis elle appuya sur la poignée et la lumière parvint jusqu'à ses yeux.

Evie resta un instant figée, idiote, alors que se tenait devant elle celui qui lui provoquait encore un bon nombre d'émotions. Ce qu'il pouvait être séduisant dans son costume:

- Bonsoir..., articula-t-elle simplement dans un murmure.

Puis ses yeux se posèrent sur la limousine qui était garée juste derrière. Elle haussa un sourcil alors qu'un fin sourire se dessinait sur son visage:

- Tu ne fais pas les choses à moitié dis moi !!

Elle lui accorda un léger coup de coude puis vint déposer un baiser sur sa joue avant que ses lèvres ne dérivent son loin de l'oreille d'Edgar pour lui dire:

- Je dois avouer que cela m'avait un peu manqué...

Comme bien d'autres choses... Mais cela, elle préférait le gardait pour elle, du moins pour l'instant.

C'est fait, tu ne peux plus revenir en arrière. Ta carrière à Harvard aura été de courte durée mais intense. Il y a de cela quelques jours tu avais en effet déposé ta démission auprès du doyen. Ce dernier t'avait de nouveau courtisé pour rempiler l'année suivante mais tu avais poliment décliné cette invitation. Tu préférais encore acquérir plus d'expérience avant de prétendre au titre d'enseignant. Par la suite, tu avais rejoins la cité des anges pour proposer un tout nouveau scénario que tu avais écris ces derniers mois dans le plus grand des secrets. Il ne manquait plus qu'à trouver le futur producteur avec qui faire alliance... De surcroît, tu souhaitais aussi retrouver la profession d'acteur et quoi de mieux que de jouer dans son propre film ? Étant donné que tu avais façonné tous les personnages personnellement, tu saurais probablement les interpréter. Après cet aller-retour express au bout du pays, tu avais regagné Boston pour dîner avec ton ex, ton unique priorité.

C'était avec un décalage horaire bien salé que tu avais rejoint ton appartement pour te préparer. La nervosité ne cessait te grandir au fur et à mesure des minutes qui s'écoulaient. Afin de parfaire votre soirée, tu avais vu les choses en grand. Ainsi, tu avais loué une limousine, acheté un costard de luxe sur Los Angeles et préparé une autre surprise que tu gardais pour plus tard. Cette soirée était risquée, tu le savais plus que jamais, tu t'apprêtais probablement à faire une connerie mais ça valait le coup.

Tu avais enfilé ton costume cintré peu de temps avant que ta voiture aux proportions exagérées n'arrive. Tu avais ensuite traversé une nuée de particules odorantes, des fragrances qui caractérisaient ta personnalité depuis plusieurs années maintenant. Après avoir chauffé un peu de cire dans la paume de ta main et ravivé ta chevelure, tu étais fin prêt. Tu bombas le torse pour te donner plus de courage devant ton miroir puis, tu partis enfin à la reconquête de ta dulcinée, Evie.  Tu descendis les marches de ton immeuble en sautillant, frais comme un gardon mais tétanisé par l'enjeu de cette rencontre. Arrivé sur le trottoir, la voiture aux vitres teintées ne tarda pas à s'arrêter devant toi. Le chauffeur sorti en sueur et contourna les mètres de carrosserie pour t'ouvrir la porte. Tu le freinas immédiatement dans sa course, ouvrant toi même la porte pour te faufiler dans cette berline gigantesque.

Tout était planifié, le chauffeur s'avait pertinemment la future destination, l'adresse des soeurs Bradshaw. Tu t'étais assis sur une longue banquette, jetant un oeil à la montre à ton poignet, toujours stressé d'être en retard. Quelques secondes plus tard la longue voiture serpentait dans les rues de Boston, un silence pesant régnait dans l'habitacle. Tu décidas alors de te servir un verre de Jack Daniel's dans le mini-bar mis à disposition. Cela abaisserait probablement ces tensions qui s'immisçaient dans ton esprit, dans ton ventre, dans ton coeur. Après avoir siroté ce verre, la voiture s'immobilisa devant l'immeuble d'Evie. Tu t'approchas de la fenêtre, observant l'immeuble imposant qui siégeait devant tes yeux. C'était l'heure. Tu avalas péniblement ta salive avant de t'extraire de l'automobile puis, d'un pas décidé, tu traversas le trottoir, grimpas quelques marches pour enfin sonner franchement à la porte de la bâtisse. Peu de temps plus tard, la radieuse et ténébreuse Evie Bradshaw ouvrait. Tandis que son regard avait été happé par la limousine en arrière-plan, pour toi, tes yeux n'avaient pu s'empêcher de s'aventurer de haut en bas de sa silhouette.

— " Bonsoir. Quand cela te concerne je ne lésine pas sur les moyens tu le sais. " répondis-tu avant d'être surpris par le rapprochement effectué par la rousse. Tu te laissas approcher, enivré par la prestance de ton ex, comme cela avait toujours été le cas. Ses murmures à ton oreille avaient réveillé ta curiosité.
— " Quoi ? C'est ce train de vie ou bien moi qui t'avait manqué ? " demandas-tu pour t'assurer de ses propos, faussement choqué. Puis, tu passas la tête rapidement par dessus l'épaule d'Evie, saluant Vicky au loin qui berçait Arlo.
— " Vicky, tu prends soin de notre poupée okay, je ne sais pas si je te ramène ta soeur ce soir. En fait tout dépendra d'elle. " dis-tu haut et fort avant de refaire face à ton rencard de rêve, lui adressant un clin d'oeil complice.
— " Prête ? Notre chauffeur nous attend, j'espère que tu n'as pas le vertige, nous allons manger en altitude. Nous allons au Boston Top of the Hub. " confias-tu en tendant ta main à Evie pour l'accompagner dans les escaliers. La porte se referma derrière vous, vous laissant en tête à tête. Une fois les marches descendues, tu lâchas rapidement les doigts de la rousse pour la devancer afin de lui ouvrir la porte de la voiture.
— " Après vous ma chère, promis je ne regarde pas votre fessier de rêve au passage. " ajoutas-tu avec un sourire crispé, prêt à exploser de rire. Tu avais beau être élégant, au fond, tu étais beaucoup moins raffiné et surtout bon vivant. Peu de temps après, tu te faufilas à ton tour dans la voiture, quasiment accroupi. Tu glissas sur le siège pour t'asseoir aux côtés de la jeune femme.
— " Tout va bien depuis la dernière fois ? " demandas-tu tandis que le véhicule s'aventura dans la circulation. Tes yeux pétillaient lorsqu'ils se posaient sur la peau diaphane de ton ex. Tant de proximité n'était pas arrivée depuis un certain temps, tu en étais bouleversé. Néanmoins, tu te sentais toujours à l'aise, comme si vous ne vous étiez jamais réellement séparé. Tu avais l'impression de revivre votre premier rendez-vous galant, celui où tu l'avais embrassé pour la toute première fois.

Toujours ce mélange d'humour et d'honnêteté. Edgar était égal à lui même et c'était ainsi qu'Evie était tombée sous son charme trois ans plus tôt. La vie réservait bien des surprises et si on lui avait dit qu'elle se serait retrouvée avec un enfant à charge quelques années plus tard, pas certaine qu'elle puisse trouver l'idée séduisante.
Mais aujourd'hui, elle ne regrettait pas, elle savait que sa fille était la plus belle chose dans sa vie, qu'il en était de même pour son ex, mais surtout elle était fière qu'il soit le père de l'enfant. Elle savait qu'il ferait tout pour leur progéniture, elle n'avait aucun doute là-dessus. Elle fut tirée de ses pensées lorsqu'il lui indiqua qu'il ne lésinait jamais sur les moyens lorsque ça la concernait. Evie lui adressa un sourire espiègle et une nouvelle tape, pas bien méchante, sur le bras. Si les journalistes étaient présents, tapis dans les bosquets environnant, il était clair qu'ils allaient s'en donner à coeur joie !! Ils étaient beaux, l'un à côté de l'autre, visiblement encore si attachés à leur histoire et certainement bientôt prêt à recommencer. Cela se voyait, l'atmosphère était tendue mais pas parce qu'il y avait une animosité entre eux, non. Mais car il restait tellement de mots enfouis, de pensées qui n'avaient pas été exprimées, et un désir incontestable.

"Quoi ? C'est ce train de vie ou bien moi qui t'avait manqué ?" Evie laissa échapper un petit rire suite à cette remarque et leva les yeux au ciel, geste qui était juste destiné à le faire réagir et non à marquer un quelconque mécontentement, car comme bien souvent, elle aimait le taquiner plus qu'autre chose. C'était un fait, il était souvent difficile de faire la gueule pendant des jours à Edgar, il trouvait bien souvent une parade, une réplique teinté d'humour qui nous faisait éclater de rire et c'était terminer, l'affaire était oubliée... Si l'affaire en question n'était pas grave bien entendu... Car Evie s'était fermée à lui pendant des mois après l'accouchement, n'arrivant pas à encaisser le fait de le voir avec d'autres... Même si elle n'avait jamais eu de certitude. Aujourd'hui, elle avait revu sa position. Elle avait failli le perdre à cause de ce stupide accident et son coeur en aurait crevé de désespoir:

-Mmm... Les deux peut-être... Va falloir que tu éclaircisses ce point dans la soirée..., dit-elle alors que son sourire venait considérablement de s'accentuer.

Edgar finit par s'adresser à Vicky qui était planté derrière le chambranle de la porte, un sourire idiot flottant sur ses lèvres. Evie secoua délicatement la tête en signe de résignation. Sa soeur avait du rêver de ce moment depuis bien des semaines, voir des mois. Elle n'arrêtait pas de la bassiner avec le fait qu'Edgar et elle devaient se redonner une chance... Enfin qu'ELLE devait lui redonner une chance. Ma cocotte, aujourd'hui tu devais être servie ! Elle devait s'en donner à coeur joie et connaissant le lascar, Evie allait devoir lui faire un compte rendu détailler en rentrant... Sauf si elle ne rentrait pas ce soir, comme venait de l'ajouter Edgar, précisant que cela dépendrait de la scénariste. La jeune femme vint délicatement poser une main sur le bras de son ancien compagnon et prit un air faussement aguicheur:

- Si tu es sage, ça peut largement se négocier...

Elle lui coula un regard complice alors qu'il lui adressait un clin d'oeil malicieux. Cette nouvelle complicité, ce retour à la normale entre eux était tellement vivifiant, tellement agréable, comme un nouveau souffle. Evie avait l'impression que son monde s'était remis à tourner, comprenant toutes les personnes importantes à son coeur.
Lorsqu'il lui dit où ils allaient, la rousse se contenta de lui lancer un regard qui en disait long avant d'ajouter:

- Je suis certaine que tu as retenu le fait que j'aimais beaucoup ce restaurant... Ta mémoire est impressionnante très cher !

Il était temps de partir, d'entrer dans l'espace confinée de la voiture qui, comme elle le savait déjà, donnait en réalité un confort tout particulier car dans une limousine il était bien rare d'être écrasé comme des sardines. Edgar se décala légèrement, lui laissant galamment le loisir d'entrer la première tout en ajouter une remarque sur son postérieur. Evie étouffa un rire avant de se retourner légèrement pour pouvoir apercevoir son visage:

- Remarque, je ne me suis pas gênée lorsque les rôles étaient inversé, à l'hôpital...

Oui, elle faisait référence au court moment où elle avait eu l'opportunité de largement regarder son fessier. Pour l'instant leur échange évoluait sur le ton de la légèreté et Evie appréciait la chose. Pourvoir parler de tout et de rien, se prendre un peu moins au sérieux et surtout pouvoir retrouver une complicité avec Edgar lui faisait énormément de bien. Comme si elle s'était interdit de pouvoir ressentir de la joie depuis ces derniers mois, comme si elle s'infligeait une longue et lente punition qui soudainement avait disparu le jour où ils s'étaient de nouveau rapprochés.
" Tout va bien depuis la dernière fois ? " lui demanda-t-il alors que la limousine démarrait enfin pour s'engouffrer parmi le flot de voitures. Elle hocha la tête, légèrement pensive:

- Oui... J'ai reçu un mail... Avec un projet de film... On me demande d'être la scénariste... Le tout semble intéressant mais je ne sais pas si je suis de nouveau prête à me lancer dans la course... J'ai dit qu'il me fallait du temps pour y réfléchir et que je comprenais très bien s'ils finissaient par prendre quelqu'un d'autre...

Evie marqua une pause alors que son regard était happé par le visage urbain qui défilait sous leurs yeux. Étrangement ce genre de vision l'apaisait. Le ronronnement de la voiture était rassurant, les vitres teintées empêchaient les passants de reconnaître les occupants du bolide et l'espace à leur disposition était plus que suffisant... La vitre donnant sur la partie avant de la voiture et donc sur le conducteur était totalement close.
Puis la trentenaire reporta son attention sur Edgar:

- J'ai juste l'impression de ne pas avoir eu de vie de famille... La faute à qui, je sais bien... Mais j'aimerais pouvoir en profiter avant que tout redevienne complètement fou... Avant d'être trop overbookée pour ne voir Arlo qu'en coup de vent... Quoi que je peux toujours travailler de la maison dans un premier temps...

Elle avait, sans vraiment faire attention, avancer sa main sur la banquette jusqu'à rencontrer celle de son ex. Le contact maigre contact de sa peau fraiche contre la sienne fit très légèrement frissonner Evie, l'espace de quelques seconde, avant de lui lancer un nouveau regard chargé de promesses pour simplement lui demander:

- Et toi ? Tu te remets de l'accident ?