Il n’a pas la tête des meilleurs jours Lyssandre. Les yeux rougis, des cernes visibles, une aura morose, ceux qui le connaissait l’avait déjà vu bien plus rayonnants, et ce, même face à l’adversité de la vie. Mais il en a assez, de prétendre que tout va bien une fois de plus alors qu’une partie de sa vie vient de s’effondrer. Il ne peut s’en prendre qu’à lui, il le sait, de ne pas avoir pris en compte certaines mises en garde, de s’être mis des œillères alors que certains signes étaient là, bien visibles. Il avait été con, il le savait, mais ça ne faisait pas moins mal. Au contraire. Il s’en voulait, il en voulait à Florian, mais pire que ça, il en voulait à la terre entière. Injustement. Comme si l’univers n’avait pas envoyé suffisamment de signes. Déprimé et apathique, il tournait en rond depuis quatre jours. Certes, il s’était présenté en cours, avait été travaillé, mais son esprit était ailleurs. Même quand il essayait de peindre, ça n’allait pas. Il avait déjà déchiré une dizaine débauches, déchiré une toile. Rien n’était bon, rien n’était beau, rien ne lui apportait satisfaction. Tout le ramenait à cet état de rage et de désespoir de ceux qui venaient de se faire briser le coeur.

Alors qu’il essayait, une énième fois de ne plus penser, de ne plus ressentir, il entendit la sonnette retentir dans tout l’appartement. Il ne sait pas bien pourquoi il s’était décidé à aller voir, à ouvrir. Peut-être parce qu’au fond de lui, il espérait que derrière cette porte se trouverait  quelqu’un de réconfortant. Florian, lui disant combien il était désolé et prêt à renoncer à tout pour lui, ou ses adelphes venus prendre de ses nouvelles et lui tenir compagnie pour éviter de déprimer encore plus. Au fond de lui, et même s’il ne devait plus croire en rien, il y croyait, encore juste un chouïa, comme une braise rougeoyant encore timidement et ce malgré l’orage. Mais dans tous les scénarios qu’il aurait pu imaginer, un ne lui serait jamais venu à l’esprit. Celui-ci. Celui dans lequel Wendy Witter se trouvait devant lui. Seulement, il n’est pas d’humeur Lyssandre et ne peut s’empêcher de froncer le regard de mécontentement en la voyant. Il la toise d’un regard mauvais, toujours dans l’encadrement de la porte. « Les visites sont fermées, repasse une autre fois. » Ca ne devrait pas l’étonner de la part de l’étudiant comme propos, mais il doute Lyssandre, que ça suffise à la faire tourner les talons. En tout cas, si ça fonctionnait, ça serait peut-être bien le “miracle” qu’il attendait.

Dans d’autres circonstances, il aurait souri de la présence de Wendy derrière cette porte. Il aurait souri de la voir venir jusqu’à lui, et ce qu’importe l’excuse qu’elle aurait pu lui donner. Dieu, le karma ou même la fin du monde, il se serait vanté, encore et encore de l’avoir fait plier, d’avoir ancré suffisamment son existence dans sa vie pour faire en sorte que, dans un moment de faiblesse, il soit celui vers qui elle se tourne. Mais aujourd’hui, il n’en éprouve aucune fierté, aucun plaisir, parce qu’il se fiche bien de compter aux yeux de telles ou telles personnes, quand la seule personne pour qui le new-yorkais voulait compter l’avait rejetée, abandonnée, trahie. Il lui en voulait pour cela Lyssandre, et au-delà de sa peine, seule sa colère l’animait encore.

Seulement, il n’a plus envie de ressentir l’un ou l’autre le brun. Il ne veut plus rien ressentir du tout. La colère, la peine, la joie, il ne veut plus y faire face. Se faire arracher le coeur définitivement, passer l’éternité insensible, voilà tout ce qu’il envisageait encore. Un exercice dans lequel Wendy excelle, et s’il ne lui a pas encore claqué la porte au nez, c’est uniquement parce qu’il hésite à lui demander son secret. Mais il n’a pas l’énergie de se battre ce soir, abdique face aux arguments de la rousse. Qu’il le veuille ou non, elle allait rentrer, alors pourquoi perdre du temps à s’y opposer. Il roule néanmoins des yeux avant de se décaler, laissant le champ libre pour qu’elle rentre avant de refermer la porte derrière elle. « J’espère que t’as pris un truc bon au moins. Histoire que je puisse manger mon meilleur repas avant de crever. » Sa voix est éteinte, sans cette once d’ironie ou de mesquinerie si souvent présente quand il s’adresse à Wendy. Si elle voulait l’empoisonner ce soir, il ne lutterait même pas. Rapidement, il désigne les chambres sur son passage. 1, 2, 3 etc, lui fait le tour du propriétaire de façon expéditive. « C’est chaud ton truc ? » Qu’il lui lance alors qu’ils arrivent dans la cuisine et qu’il sort deux assiettes et des couverts, se demandant s’ils allaient migrer immédiatement dans sa chambre, ou s’installer là quelques minutes.

Il n’a pas particulièrement envie de voir du monde ce soir Lyssandre. Il a passé ses dernières soirées avec ses adelphes, comme pour s’interdire de faire quelque chose de stupide, ou pire, de dangereux, mais en réalité, il se complait à déprimer seul dans son coin, à pouvoir être désagréable sans qu’on le lui reproche, et à charger ses faiblesses pour lui. Raison pour laquelle il n’a encore parler de la rupture à personne si ce n’est sa famille, parce qu’il veut garder cette image de force que l’univers ne peut briser, quand bien même il est au fond du gouffre. Après tout, les signes sont là. Son visage plus pâle et amaigri qu’à l’ordinaire, ses cernes sous les yeux, ce manque d’entrain, d’énergie ou encore de joie de vivre. Tout cela, il le met sur la crève qu’il a possiblement attrapé lorsqu'il a fui l’appartement de son ex petit-ami, dans le froid, et légèrement couvert. Une excuse qu’il offrirait très probablement à Wendy également, si elle venait à l’interroger sur son état, physique ou moral, ce dont il doute, assurément.

D’un pas, il se décale malgré tout. S’il n’a pas envie de voir du monde, il a encore moins envie de devoir argumenter pourquoi, et laisser Wendy dîner ici semble soudainement être un moindre mal à côté de l’évocation son cœur brisé. Qui l’aurait cru ? Il l’invite à le suivre à travers l’appartement, spacieux pour accueillir autant de monde, mais aussi très encombré et hétérogène. D’un des tiroirs, il sort des couverts, d’un placard, des assiettes qu’il emmène avec lui tout en faisant signe à la jeune femme de le suivre. Ils auraient pû dîner dans les parties communes mais là encore, ça serait donner une chance à ses colocataires de venir discuter avec lui, de s’installer, ce qu’il ne veut pas ce soir Lyssandre. Supporter Wendy est déjà bien suffisant comme ça. Dans sa chambre - plus bordélique encore que le reste de l’appartement - il débarrasse une petite table d’appoint, attrape deux coussins pour s’asseoir par terre en soupirant, avant d’inviter Wendy à s’installer. « Dommage, tu pourras retenter une autre fois si tu veux. » Affirme t-il en sachant que rien dans ce qu’aurait pu amener Wendy ne pourrait lui faire du mal. A moins qu’elle n'ait véritablement empoisonné le plat. « Qu’est ce que tu veux ? » Il l’interroge, trop certain qu’elle n’est pas venue ici par hasard ou simplement pour visiter. Il la soupçonne d’avoir une idée derrière la tête, mais il ne sait juste pas laquelle.