L’idée avait germé lors d’une journée de décembre durant laquelle elle explorait les ruelles de Boston ainsi que les monuments touristiques, à la recherche de lieux auxquels se raccrocher. A la conquête de sa nouvelle identité. Est-ce qu’Ellie serait de celles qui apprécient les promenades, admirer la ville, y trouver un quelconque équilibre ? Tout à l’inverse d’Ophélia, dans sa prison pleine de putains, qui ne voyait dans le mal que le bien. Et au milieu de ses réflexions, à passer devant l’office du tourisme bostonien, elle était tombée sur ce papier. Un flyer un brin démodé au sujet d’un comité. Si de prime abord elle avait trouvé ça un brin dérisoire, c’est le nom sur la feuille qui l’avait finalement interpelé. J. O’connell sérigraphié. Et rien qu’avec ce détail, c’était acté. Parce que même si ça aurait pu être n'importe qui, dans ses tripes, elle savait que c'était lui. Si elle ignore encore qui gagne entre Ellie et Ophélia, une chose est certaine, le côté chieuse, elles le possèdent toutes les deux.

Alors après avoir effectué son rituel maquillage, aux airs de camouflage, au moment de se préparer, elle a décidé de se pointer à l’adresse indiquée sur le fameux feuillet. Un trajet de taxi plus tard donc, la voilà à sonner à l’interphone des bureaux où il est censé se trouver. Vêtue d’un tailleur, amusée par le chignon qui noue ses cheveux, sérieuse jusque dans la perfection de ses traits d’eyeliner. Quelques secondes suffisent au fait que l’appareil électronique s’allume, si bien que lorsqu’on la questionne au sujet de son identité afin de garder de la surprise son effet, la brune répond sans hésiter, « C’est pour l’entretien, pour le travail au comité. » Car après tout s’il semble apprécier venir la voir au Donovan, passer du temps ici avec elle devrait être tout aussi amusant. En tout cas, c’est ce dont elle se convainc lorsqu’elle pousse la porte du bâtiment.

Si on lui avait posé la question avant qu’il ne s’engage avec l’espagnol, de savoir s’il sentait cette collaboration sur du long terme, il aurait répondu que non, que le gringalet n’aurait jamais fait le poids et malgré ça, il avait su gagner l’estime du mercenaire au fil des mois. Pourtant une cascade d’évènements fait que le canadien à la mine refermée se retrouve seul à trôner dans cette pièce sans vie aujourd’hui, évidée de toute présence exceptée de la sienne.
Il ronge son frein le regard complètement focalisé sur un point de la ville que seul lui connait au travers de la baie vitrée. Une annonce a bien été lancée pour l’aider dans ces taches mais personne n’a encore répondu à l’appel, la charge de travail étant énorme pour deux ou trois volontaires qui ne seront pas payés. Il ne se l’avouera pas mais quelque part le petit brun maniéré laisse derrière lui un vide qu’il pense difficile à combler, presque soulagé de n’avoir vu encore personne s’y risquer parce qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné.

Pourtant, aujourd’hui il sent le vent tourner, son regard s’étendant aux gratte-ciels du centre-ville, ses traits moins crispés aux premières éclaircies de ce mois de janvier. Il y a du changement dans l’air et le bip de l’interphone derrière lui sur son bureau en est la preuve. Quelqu’un souhaite le contacter et bien qu’il nourrît une pointe de curiosité envers cette tentative, il n’ira pas chercher en contrebas à savoir qui patiente devant la porte sécurisée. Tout ce qu’il se contente de faire est de retourner s’assoir, se calant dans son branlant dossier dans lequel il s’amuse à jouer à l’équilibriste avant d’aller écraser de son indexe le haut-parleur. « C’est pour l’entretien, pour le travail au comité. » La voix est jeune mais ce qui le fait grincer c’est qu’elle est féminine. Une chieuse qui vient mettre son grain de sel dans les affaires de la ville, il aurait mieux valu qu’il reste couché aujourd’hui….  « 5ème étage, la porte de droite. » Par obligation il lui donne l’autorisation d’entrer en déverrouillant d’une seconde pression du doigt la porte au pied du bâtiment, déjà ronchonnant sur les prochains mots qu’ils vont devoir échanger. «  Pas dit qu’elle fasse l’affaire. » Il cherche à voix haute à se rassurer le temps qu’elle n'arrive, l’imaginant grande, fine et élancée, le stéréotype de la secrétaire à lunettes qui ne sait pas penser par elle-même mais seulement gratter du papier.
Néanmoins un sourire vicieux déforme l’une de ses pommettes parce qu’il n’a jamais été contre le fait de lier l’utile à l’agréable. En équilibre sur les deux pieds arrières de sa chaise, il patiente le temps de voir une silhouette venir déformer la vitre floutée sur la porte de son bureau… « Merde » , elle est plus petite que ce qu’il ne s’était imaginé et rien de blond ne se reflète dans les facettes, la déception…  Mais lorsque la porte s’ouvre, c’est une autre sensation qui s’empare de lui, la déception laissant place à un étonnement sans limite, au point d’en perdre l’équilibre et de se rattraper en accrochant brutalement sa main droite au bord du bureau avant de se redresser, la chaise s’échouant juste derrière lui bruyamment.

« 5ème étage, la porte de droite. » Les directives sont acceptées d’un mouvement de tête inutile ainsi que d’un sourire satisfait. La première étape est validée. Naturellement, elle s’avance vers l’ascenseur, tout en appelant ladite machine, la brune tente de rejeter l’évidence… Cette boule d’appréhension – face à la future confrontation mais surtout ses possibles réactions – qui grandit dans son ventre. Elle ne va pas jusqu’à songer qu’il pourrait réellement la virer sans qu’elle n’ait pu plaider sa cause, mais elle le pense assez brut pour l’envoyer paitre ailleurs, armé d’un air aussi dur que moqueur. Quoi que… En fait si, la virer sans l’écouter, il le pourrait, c’est pour ça que cette anxiété a des raisons d’exister.

Les portes métalliques s’ouvrent sur cette possibilité qu’elle s’évertue à chasser tandis qu’elle s’engouffre dans la cage de fer et que dans la continuité de ses volontés son index s’écrase sur le numéro cinq précédemment indiqué. Durant l’ascension, elle a une fois encore tout le loisir de ressasser. Demeurant malgré tout convaincue de son idée et de sa légitimité.

Une fois à l’étage, elle défroisse sa jupe bien qu’elle ne le soit pas, un soupir déterminé s’échappant de ses lèvres avant de se laisser bercer par le bruit de ses escarpins contre les carreaux, un métronome qu’elle trouve plutôt beau. Seulement ce qui l’est vraiment, quand elle pénètre dans la pièce désignée, qu’elle arrive à destination, c’est la réaction de l’homme qui se trouve derrière le bureau. Au fracas de sa chaise sur le sol, elle ferme les paupières, accuse une grimace qu’elle travestit en sourire… Un tel effet, même si elle avait essayé, elle n'aurait pu le prédire. C'est un peu trop qu'elle se complait. La surprise mordant encore les traits masculins, Ellie ne se laisse pas pour autant perturber. Elle s’avance, s’efforce de conserver le sérieux qu’elle s’impose quand elle parvient à sa hauteur, et comme il se tient toujours debout derrière sa table, c’est au-dessus de cette dernière qu’elle tend sa main, afin de jouer des présentations qui n’ont pas lieu d’être, « Monsieur O’Connell ? » elle interroge comme elle aurait pu le faire avec un parfait inconnu, le visage incliné dans l’espoir de parfaire le rôle de l’ingénue dans lequel elle se fond ici et maintenant, alors qu’elle se présente, « Ellie Thatcher, enchantée. » Des masques, elle est capable d’en porter des tas, mais sous celui-là, il se cache un petit rire, d’ailleurs sur ses commissures, vicieuses, il peut le lire.

Sans même qu’il le lui ait autorisé, cette silhouette qu’il reconnait malgré une coiffure et des habits soignés, s’avance vers lui et réduit la distance les séparant. Il ne réalise que bien trop tard que la chose s’est invitée sur son territoire, une main tendue en signe de paix qu’il renonce à serrer dans l’immédiat avant de faire taire ce petite sourire narquois. « On ne vous a pas dit, on cherchait un remplaçant. » Quelqu’un pour assurer ce que l’hispanique maniéré lui a laissé, un genre de souffre-douleur qu’il pourrait selon ses humeurs torturer pendant des heures. Et curieusement c’est elle qui justement parmi les quelques 600000 citoyens de celle ville qui répond à l’appel….

Les lignes sceptiques il lève la main pour s’excuser, par formalité, avant de dégainer son téléphone et partir en trombe, la laissant seule au milieu de la pièce. La porte claque juste derrière lui et déjà il compose le numéro d’un contact du service duquel elle dépend alors qu’il n’est même pas arrivé aux toilettes. Mais dès qu’il y a mis un pied, c’est d’instinct, la sonnerie d’attente en boucle dans son oreille, qu’il vérifie si les cabines sont inoccupées. Les secondes se font longues mais quelqu’un finit par décrocher et maintenant face au miroir il commence à grogner le fait qu’elle se soit pointée, qu’on la lui a foutue dans les pattes exprès. Mais non, le service de protection n’est visiblement pas en cause et ils n’auraient aucune raison de mentir, aucun intérêt. Elle l’a fait de son propre chef, un acte inespéré d’après la voix qui résonne dans le micro puisqu’il sera à même de la protéger de plus près.  Là-dessus, son reflet décontenancé face à lui, il ne peut rien répliquer mais ses mâchoires n’en sont toujours pas moins desserrées. « J’vais devoir me la farcir alors ? ? » C’est un peu ce que sous-entend le rire de son interlocuteur qui avalise le sujet avant que le brun ne lui raccroche au nez, se penchant au-dessus de la vasque les mains campées sur le rebord, écrasant presque le téléphone contre le marbre.

Alors lentement il relativise la chose, trouvant des excuses pour la garder auprès de lui en pesant le pour et le contre. C’est vrai qu’il serait souvent auprès d’elle mais il ne pourra plus aller et venir à sa guise sans éveiller des soupçons quant à sa nature. De toute façon, il n’a plus d’autre choix que de dire oui et de composer avec sa présence. Une fois calmé, il revient, ses pas ralentissant face à la porte vitrée pour tourner lentement la poignée. Et non elle est toujours là….  Il passe donc à coté, armé d’un sourire forcé tout en l’invitant à s’assoir d’une paume ouverte. « De barmaid à secrétaire. Quel panel de compétences. »

Mais elle a beau bien se comporter, rester la main tendue dans l’attente qu’il l’accepte, elle se heurte à un mur, ou presque. « On ne vous a pas dit, on cherchait un remplaçant. » il insiste sur le masculin, elle comprend ce qu’il veut dire, la refuse d’avance sur ce poste, mais elle n’en répliquera rien. Et elle se contente d’inspirer longuement, une pique comme celle là est bien plus supportable que tout ce qu’elle avait envisagé, du coup, elle encaisse prête à sourire et à argumenter.

Néanmoins, il l’arrête avant qu’elle n’ait pu dire quoi que ce soit… Un mouvement de ses doigts, une piètre excuse avant de contourner le bureau, traverser la pièce et tout bonnement disparaître. Elle n’en revient pas, totalement sous le choc de s’être retrouvée seule aussi simplement et rapidement que ça. Elle s’attendait à tout sauf à un acte tel que celui-là. Elle a besoin, d’ailleurs, d’une ou deux secondes pour ne plus s’éprouver paralyser et enfin se retourner en direction de la porte dans l’espérance de voir où il est passé. Elle considère même l’idée de le suivre, mais se refuse à lui courir après. Le dépit l’aidant à se décider. Alors elle stagne là, comme une idiote dans son tailleur, une ridicule poupée désarticulée. Si elle se sentait légitime de revendiquer la place, à présent, elle avoue remettre le tout en question.

Elle hésite à rebrousser chemin, rentrant chez elle et se dit qu’ils feront comme si ce n’était jamais arrivé la prochaine fois qu’il viendra au Donovan’s. Elle est douée pour faire semblant, si douée qu’elle ne sait plus être elle, en tous les cas plus vraiment. Le problème, c’est qu’elle est butée, de fait, elle ne peut pas rentrer sans l’avoir confronté. Alors elle se fait patiente, et tapote de ses ongles sur le bureau durant les minutes restantes. Quand enfin il revient et que c’est un sourire qu’à nouveau, elle tente. Le naturel du sien, elle n’y croit pas, mais elle reste stoïque, elle n’en démordra pas. Pourtant, elle la fait vaciller, sa condescendance … « De barmaid à secrétaire. Quel panel de compétences. » Les paroles sont réductrices, elle ne peut pas en douter. Sa langue va humidifier ses lèvres, comme pour se retrouver une contenance, puis elle s’installe face à lui, le défiant envers et contre tout du regard. « Secrétaire ? » elle avait plutôt compris que c’était un boulot d’associé. « Partenaire. » elle se fait sèche pour le lui rappeler. Pour une fois, elle n’oscille pas, que ce soit Ellie ou bien Ophélia, les deux lui auraient pu lui balancer ça, « Je suis ton meilleur choix. » Au moins ils savent déjà qu’ils se supportent bien que ce soit très délicat.

C’est dans sa chaise roulante qu’il prend le soin de s’assoir, le trône de fer de cette pièce qu’il accapare sans l’inviter à faire de même ni la regarder. « Secrétaire ? » Oui et il est capable de recommencer si son ouïe est à ce point défaillante parce qu’il n’est pas question de lui donner le même poste que son prédécesseur : un tel titre pour lui se mérite. Pour le moment elle est sans le moindre bagage, aucune compétence connue pour le boulot qu’elle brigue, juste quelques notions dans les cocktails et les numéros d’urgences lorsque deux ivrognes viennent de trop près l’ennuyer. « Partenaire. » Son sourire est forcé parce qu’il n’a rien pour malheureusement la contredire et le lui refuser, aucune raison qui justifie de la rétrograder au rang qu’il lui a dans un premier temps proposé. « Je suis ton meilleur choix. » Elle est surtout « Le seul » qu’il corrige en basculant nerveusement dans son dossier. « Pour le moment » Un détail qui a toute son importance parce que dès lors qu’un second entretien sera lancé, elle sera en position de faiblesse même si elle a été la première arrivée. Une femme n’a pas sa place ici mais pour être dans la légalité, il doit lui donner sa chance, l’invitant après un soupir à s’installer. Dès lors il sort un bout de papier chiffonné d’un tiroir qu’il vient d’ouvrir en se penchant sur le côté et commence à griffonner les quelques renseignements qu’il pourra lui soutirer, une vulgaire formalité avant de la chasser. « Nom, Age, Profession. »

Dans une autre vie il aurait pu faire fonctionnaire de police, il en avait la carrure et le bagou mais à défaut d’être dans les règles depuis toujours il a préféré suivre sa propre voie, se forgeant seul une réputation, ne souhaitant se soucier que de sa propre personne hormis de sa clientèle aisée. Et certainement pas d’une jeune femme dont il connait le parcours entaché...

Pas une seule seconde d’ambigüité avant qu’il ne réplique, assuré, « Le seul. » Ok. Apparemment, ce n’est aucun cadeau qu’il compte lui faire, mais peu importe, Ellie, elle est blindée. Les coups, elle sait les supporter. Ce n’est pas le premier qui désire la rabaisser. Alors tandis qu’elle inspire longuement, il reprend ; « Pour le moment » la langue de la brune va se plaquer contre ses dents, tentant de contrer l’aigreur qu’elle ressent. Cependant une vérité traîne, plus il va aller dans ce sens, à prôner son rejet, plus Ellie va avoir envie de rester. Après tout, ce n’est pas ce qu’il fait lorsqu’elle est derrière son bar ? Il l’empoisonne, agrippé à son comptoir. Un fait qu’elle compte bien transposer au comité. C’est à son tour de venir le troubler.

Malgré ses réticences, il abdique – du moins pour un temps – en la conviant à s’assoir et récupère un papier dans le tiroir. Cette position de force, il l’apprécie beaucoup trop, et elle, elle s’imagine lui infliger quelques maux. Piètre bourreau. « Nom, Age, Profession. » Son vice n’est même pas dissimulé. Au sujet de sa profession, ne vient-il pas d’essayer de l’humilier ? Est-ce nécessaire de lui ordonner de le répéter ? Elle mâche de prime abord l’intérieur de sa joue, palliant ses intentions mauvaises de riposter. Un court laps de temps durant lequel elle hésite à sa réponse, désireuse d’articuler sans y songer, Ophélia Fisher, « Ellie Thatcher. » comme un refrain à présent bien rôdé. « Vingt-huit ans. » Au moins sur ça, elle ne ment. Puis le dernier point, là où le bât blesse, « Barmaid. » elle répète avec une pointe de fierté, même si elle ne l’est pas, seulement le mensonge, la joute oratoire, c’est un jeu auquel elle veut bien s’adonner avec toi. Puis pour éviter de se sentir piégée dans un interrogatoire, à l’image de ceux qu’elle a subit lorsqu’elle s’est enfuit, elle établit que c’est donnant donnant ici. « Et les tiens ? » Partenaires, qu’elle a dit.  

« Ellie Thatcher. » Faux, mensonge mais il ne dira rien et ne fera que la dévisager parce qu’il connait le fin mot de l’histoire, sa véritable identité bien qu’elle ne soit plus qu’un lointain souvenir d’une vie presque achevée. Pourtant il griffonne rapidement ce qu’elle vient de donner, hésite même un court instant à y glisser volontairement une faute d’orthographe pour se dédouaner. Allez c’est gratuit il oublie le h après le t, lettre complétement inutile un peu comme sa détentrice ici, ne pouvant réfuter un léger sourire, satisfait de sa connerie. « Vingt-huit ans. » Une gamine. L’ex-militaire clôt fermement ses paupières avant de laisser ses pupilles vagabonder vers la baie vitrée. Elle ne connait rien de la vie excepté les travers qu’elle a pu expérimenter et jamais il ne lui a été dit qu’il serait la nourrice d'une jeune paumée.

« Vingt-huit… » Très rapidement ses printemps sont eux aussi annotés pour la laisser continuer alors qu’il ne lui prête qu’une attention légère : à ses yeux il est évident qu’elle n’a pas les épaules pour assumer le poids des responsabilités. Qu’elle se trouve une vie plutôt que de le faire chier, la bille de son stylo prête à griffer le fond de sa pensée. « Barmaid. » Serveuse est le mot qu’il vient de consigner lorsqu’il relève les yeux vers elle, brusquement interrompu dans son interrogatoire par une question qu’il juge déplacée. « Et les tiens ? » La mine qui frappe sur le papier, le mercenaire l’observe avant de se décider à parler, se gardant bien de se montrer sur la défensive en un sourire forcé.  « C’est un entretien. Pas un speed-dating. » Autrement dit il ne dira strictement rien sur lui et logique puisqu’elle n’est pas encore officiellement à ses cotés pour diriger le comité. Il ne lui doit rien et se cantonnera aux questions basiques avant d'aller plus loin gratter. «  La barre est haute. Qu’est-ce que tu connais de cette ville ? » Du politiquement correct jusqu’à ses basfonds, de ses vicissitudes à ses trémolos, « quelles sont tes idées pour la faire bouger ? »

Inspirant lentement, je garde la tête haute tout comme mon sang-froid, lorsqu’il répète, un sourire mesquin et moqueur sur ses lèvres, « Vingt-huit… » à l’image d’une critique, mon âge remis en cause, c’est l’écart entre nos générations qu’il note. Cette décennie qui nous sépare et qui semble lui donner le droit de se penser meilleur et plus expérimenté que moi. J’en ai presque mal aux mâchoires tant je les garder serrées, détestant cette manière qu’il a de me juger. Appuyant sans le savoir sur mes travers de fille paumée. Si désagréable que j’en viens à me demander ce que je lui ai fait, c’est lui le premier qui est venu m’accoster. Lui qui passe son temps au Donovan’s à jouer le client insatisfait.

Cependant il continue, s’enfonce dans son rôle de dictateur, me file à l’estomac, des aigreurs. « C’est un entretien. Pas un speed-dating. » Il peut se détendre car si ça fait partie de ses craintes, je ne suis pas le moins du monde intéressée. Qui voudrait d’un vieux con fini. D’ailleurs plus il se comporte ainsi, plus il enlaidit. « La barre est haute. » De son idiotie ? A l’évidence, oui. « Qu’est-ce que tu connais de cette ville ? » Pas grand-chose, pour être parfaitement honnête, mais il n’a pas besoin de le savoir, les mensonges sont d’avance associés à mon histoire. Même si on s’est rencontré à mon arrivée, que je suis quasiment sûre de lui avoir soufflé que je venais de débarquer, pour ma future réponse, je mise sur le fait qu’il a peut-être oublié. « quelles sont tes idées pour la faire bouger ? » Sous-entendant que toi, contrairement à moi, tu en as des tas.

Alors je déglutis, inclinant le visage sur le côté, je ravale l’irritation lorsque je pose sur son bureau, mes deux mains à plat. « D’abord, je tiens à te dire que ce n’est pas étonnant que tu sois seul, » que son coéquipier se soit tiré et qu’il enchaîne les conquêtes d’une nuit, j’en suis persuadée, « et faudrait me payer pour accepter une seule minute de speed-dating avec toi. » Ma langue fourche plus qu’elle ne le devrait, ne pas être insolente, me tenir tranquille. « Je la connais par cœur, la ville. » Totalement faux. Mais il n’y a que de l’aplomb dans mes mots. Reculant et retirant mes paumes qu’entres elles, je viens lier. « Je vais les garder pour moi, les idées, des fois que tu ne m’embauches pas et qu’il te prenne l’envie de me les voler. » On ne sait jamais.