A ses pieds, elle a délaissé son sac d’affaires, un bordel organisé de livres, stylos, calepins et autres papiers abandonné le temps que l’entraînement soit terminé. Du haut de son siège, les coudes plantés dans ses cuisses, son visage tenu en coupe entre ses mains, elle papillonne dans les gradins. Les nageurs, elle les observe sans le faire réellement, égarée sur les chemins que prend son esprit, les méandres brouillés sur lequel il n’a de cesse de voguer. D’ailleurs, elle ne peut s’empêcher de songer que dans ce complexe sportif, elle n’y vient quasiment jamais. Allant même jusqu’à se demander, si c’est une erreur de ne pas en profiter. Preuve que son inconscient est capable de se questionner, sur n'importe quel sujet. En fait, à dire vrai, la dernière fois qu’elle s’est perdue jusqu’ici, c’était lors de l’épreuve des olympiades il y a… Une vie déjà. Elle peine même à lister tous les évènements qui ont pu se dérouler depuis, l’intense tourbillon dans lequel elle est prise et qui ne s’arrête pas.

Alors après quelques minutes, le bassin commence à se vider, elle reste encore immobile, l’amérindienne sait être patiente, son naturel sauvage mis de côté, elle est aussi des plus dociles. Sa présence ici, elle est justifiée, par son cours de journalisme, par son job de pigiste, pour une fois, elle a réussi à concilier réellement les deux, mais aussi par l’étrange point commun qui se trouve entre eux. Une histoire d’arme à feu. Elle l’a contacté à son retour du Spring break, via quelques messages échangés, elle l’a prévenu du pourquoi du comment, en espérant qu’il ne se braquerait pas, qu’il serait ouvert… Et pour le coup, aujourd’hui, elle est intimement convaincue que sa douceur naturelle l’aidera. Elle se redresse, bondissant presque sur ses jambes lorsqu’elle l’aperçoit récupérer sa serviette de bain, un échange de regard après, elle signifie, malgré tout, sa présence d’un mouvement de la main.

Au milieu de ses réflexions et hésitations, elle se rassure, l’amérindienne, de voir s’étirer sur le visage du nageur au loin un faible sourire. Un point pour elle, elle ne l’a pas confondu avec un autre, alors c’est un début n’est-ce pas ? Et quand tu accompagnes ton expression chancelante d’un salut de tes doigts, elle descend les quelques marches qui la séparent encore de toi.

Dans l’attente qu’il la rejoigne, elle reste au niveau des sièges du premier rang, checkant son téléphone portable sans grand conviction, simplement pour ne pas rester sans rien faire, inutile, durant ce laps de temps. Puis il arrive afin, alors elle relève range son cellulaire, relève son regard à son intention, à moitié mouillé encore, son sac sur son épaule. Haiwee si observatrice s’en vient à penser qu’il est comme elle avait pu l’imaginer. « Salut. » elle hoche le visage par la positive, toujours souriante, dans le but d’installer derechef, entre eux, un climat de confiance, c’est mieux, lorsqu’on s’apprête à questionner une personne au sujet de son existence, « Tu es Haiwa, c'est bien ça ? » Ok, pour le coup, elle en perd sa contenance.

Probablement trop expressive, elle ne peut pas retenir un rictus irrité à l’entente de son prénom écorché. Le pire, c’est que c’est une chose à laquelle elle est quasi habituée. Venue d’ailleurs, portant une baptême différent mais cher à son cœur. « Haiwee. » elle est obligée de rectifier, ce prénom, c’est son père qui lui a donné. Elle était sa colombe, la Haiwee. « Jeremy, donc ? » Elle demande, que pour la forme, une politesse qui n’en est pas une, et puis enchaîne, arquant malgré elle, les commissures de ses lèvres. « Tu es plus à l’aise ici ou bien… ? » elle réfléchit rapidement, elle se dit que peut-être, c’est mieux pour lui d’être dans son élément, « Un café ? Dehors ? » qu’importe, Haiwee, elle se contente de tout, de rien, un banc, à ses yeux, c’est suffisant.

Quand il décide de prononcer son prénom à nouveau, elle avoue en être touchée, c’est comme s’il voulait l’ancrer dans son esprit, d’ailleurs, il accompagne son « Haiwee. » d’excuses auxquelles la brune ne s’attendait. « Je voulais pas… Désolé. » presque, elle en vient à se demander, si elle n’a pas été trop sèche lorsqu’elle a repris l’erreur qu’il avait prononcé. Alors elle se contente de répondre à son sourire par l’un des siens. Inutile de provoquer des tensions entre eux, mine de rien. Surtout pour un prénom, aussi important qu’il soit. Maintenant, elle est certaine qu’il s’en souviendra.

Puis elle l’interroge donc, afin de savoir comment il désire procéder. Elle n’a pas envie de le brusquer bien au contraire, ce qu’elle souhaite, c’est qu’il soit à l’aise, qu’il en oublie presque le pourquoi elle vient aujourd’hui l’embêter. Même si, malgré sa naïveté décuplée, elle sait bien qu’il n’est pas prêt d’oublier, après tout, elle, elle ne l’a toujours pas fat. Elle revoit les instants dans ces cauchemars qui parviennent toujours à revenir la hanter. « Je… » L’hésitation, elle est palpable, elle en est perturbée, « Si tu veux aller te chercher un café et tout, te gênes pas et je vais t'attendre, » ce n’était pas ça, son but premier, elle n’en a pas envie d’un café, « mais si… si tu me l'offre, je préfèrerais parler de tout ça… loin d'un possible public, disons. » Oh. Elle n’avait pas réalisé qu’il pouvait être aussi mal à l’aise que ça. C’est la suite de leur échange qui l’obnubilée, sans se rendre compte que le début pouvait être délicat, il faut la pardonner, après tout, elle est novice, juste à peine journaliste. « C'est un environnement que je connais. » Il avoue comme un secret, quasiment gêné, ça fait écho dans le cœur d’Haiwee, « Et l'eau m'a toujours calmée. » C’est soudain cette émotion d’avoir avec lui – inconnu – un point commun. Certaines personnes sont capables de parle qu’importe le lieu, l’heure, le moment… Et d’autres ont besoin d’être dans leur élément. Si on la questionnait, Haiwee voudrait être dans une forêt.

Mais parce que tout ce qu’elle veut c’est tout sauf le mettre dans une position délicate, elle se fait amicale et moins sauvage quand elle vient lui indiquer, « Les gradins alors, on oublie l’option café. » le premier rang se sera parfait, d’ailleurs, elle va s’y asseoir en tailleur, avec sur ses lèvres, un sourire esquissé. Elle tapote face à elle, pour l’inviter à s’installer. « N’hésite pas à me dire si les questions te perturbent, si tu n'as pas envie de répondre, si tu veux arrêter ou quoi que ce soit. » En fait, c’est plutôt simple, lorsqu’on joue les apprentis journalistes, il faut réussir un exploit. Invoquer un climat de confiance en un claquement de doigts. « T’es prêt ? » En d’autres mots, Ca va ?

Elle a beau jouer les journalistes, elle va même jusqu’à croire, parfois, lorsqu’elle rédige ces piges pour le Boston Globes qu’elle possède un certain style… Face à Jeremy, elle réalise qu’une fois sur le terrain, les choses peuvent s’avérer beaucoup plus compliquées. Enfin, compliqué n’est pas le bon mot, non parce que dans le fond, ça ne l’est pas, alors mentalement elle cherche le bon terme, du temps qu’il se décide à lui donner son aval. Elle se préfère silencieuse, pour éviter de le brusquer et c’est sur le timbre de son « Okay. » qu’elle trouve l’adjectif parfait. C’est délicat. C’est délicat Jeremy, et ne t’inquiètes pas, Haiwee le voit.

Bien sur elle a remarqué son regard fuyant en direction de la piscine avant de lui dire de commencer, ça lui fait presque songer que tout ceci n’était pas une très bonne idée. Peut-être que plus tard, elle sera prête, elle foncera, mais aujourd’hui, elle hésite à reculer. « Certain ? » La reporter en herbe préfère s’assurer. Et puis elle sort de son sac un bloc note, de quoi écrire les instants qu’ils vont partager. Si certains préfèrent la technologie, enregistrer grâce à une application de téléphone, ce n’est évidemment pas le cas de la Haiwee, « Tu préfères que je te pose des questions précises ? Ou bien que tu me racontes les événements ? » Possible que ce ne soit pas la bonne méthode, mais c’est celle de l’amérindienne, et jusqu’à présent, à son instinct, elle s’est toujours fiée. Elle n’irait pas jusqu’à dire qu’elle n’en doute jamais, mais il ne l’a jamais trop écorché. « C’est mieux de reprendre du début… » Piètre explication, mais il est vrai qu’elle croit que c’est le meilleur chemin à emprunter, faire un rappel de son accident pour appuyer la renaissance du phœnix qu’il est depuis que c’est arrivé. De ses cendres, un nouveau Jeremy est né, elle en est intimement persuadée.

Si elle parvient à ressentir son stress comme si c’était le sien, elle ne peut pas le louper, ce petit sourire qui arque ses lèvres, qui prouve à l’amérindienne que malgré tout ce que Jérémy éprouve, elle arrive à faire en sorte qu’il se détende, au moins légèrement. Elle a même espoir que cela se fera crescendo, et qu’à la finalité, il se sentira confiant. Au-delà des questionnements, de ce jeu de journaliste dans lequel elle tente de se fondre, elle s’espère rassurante autant que bienveillante.

Alors il prend ses aises, ou quelque chose comme ça, lorsqu’il se replace, et elle sent ses prunelles étonnées posées sur elle lorsqu’elle prend dans son sac l’équipement nécessaire. Elle est loin d’être à l’aise avec la technologie, ce n’est pas une richesse avec laquelle Haiwee a grandi, d’ailleurs, si elle ne prenait pas le risque de passer pour une idiote, peut-être qu’elle l’avouerait. De toutes les façons, ici et maintenant, là n’est pas le sujet… De fait elle se contente de relever les yeux quand il reprend à parler. « Tu peux commencer par des questions et je… » elle hoche le visage dans un mouvement d’approbation, l’invitant de manière muette à poursuivre et articuler le cheminement de ses idées, Haiwee, dans tous les cas, elle s’est promit de ne pas le juger. « je pourrai toujours élaborer à un point ou un autre ? » D’accord, ils iront dans ce sens-là. Tout ce qu’il voudra. « Ca me va. » Comme si c’était à elle de décider ou bien d’être à l’aise, les rôles, ils sont presque inversés, et pour le cou, c’est de sa propre personne que la novice pourrait bien se moquer.

Méthodiquement, elle écrit le nom et le prénom de l’étudiant sur sa feuille, et débute enfin, consciente que la mise en place n’était pas des plus professionnelle, mais c’est son style unique à elle. « Alors dis-moi pourquoi malgré tout, » elle tait ce que représente le tout pour le moment, « tu as décidé de reprendre la natation ? » Elle tique sur ses paroles, et se reprend pour mieux lui expliquer ce qu’elle attend, « Je veux dire… Qu’est-ce qui fait de toi un battant ? » Pourquoi tu n’as pas abandonné quand beaucoup l’auraient fait ?