« LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE
J'ai jamais été un gosse très facile. Peut-être qu'au fond, le carcan affreux qu'imposent les parents riches s'avère être une incroyable blessure au coeur. Pendant un temps, je me suis rebellé contre cette politique qui régnait à la maison, qui ressemblait aux valeurs d'une royauté désuète. Le dîner était une sorte d'enfer pour l'enfant rêveur que j'étais, car c'était à ce moment là que toute la dureté de mes parents déferlait. Ma mère avait toujours une cravache pour frapper nos bras ou nos mains si nous avions le grand malheur de poser nos coudes sur la table, ou bien de nous servir alors que ce n'était pas notre tour. Mon esprit d'enfant ne comprenait pas pourquoi tout cela avait une quelconque importance. En réalité, mon père et ma mère, étant ce que l'on appelle des "nouveaux riches", en somme, des gens riches sans êtres aristocrates, ils ont toujours voulu s'affirmer dans cette branche très fermée de la société, voulant à tout prix cacher leurs pauvres origines. Comme au Moyen-Age vous dis-je. En somme, mon enfance a été un enfer rien que pour satisfaire l'ego misérables de deux anciens pauvres. Mais j'ai fini par m'y habituer, en grandissant. L'éducation très stricte de ma mère m'a permis d'acquérir nombre de connaissance sur une foule de domaines, de façon très éclectique. Je lui en voudrais toujours, mais dans le même temps, je l'aimerais toujours. Mon père ? Je n'en ai cure. En réalité, je ne l'ai que très rarement vu. Au moins, ça m'a évité de me faire frapper. Tout comme ma mère, il a la main qui part très rapidement, et si il n'avait pas été aussi absent, j'aurai été éduqué à coup de grandes beignes dans la figure. Dieu merci, il n'était jamais là. Pour échapper à ce climat méphistophélique, je me suis acheté une moto dès que je l'ai pu. Pour m'en aller, m'évader. Car au fond, le carcan me poursuivait jusque dans mes écoles. Privées, cela va sans dire. J'étais mélangé avec des gens identiques à moi, qui ne parlaient que de fortune et d'ambition. Mon regard se tournait souvent vers l'école en face, publique, où tous les genres se mélangeaient. Les punks, les hippies, les bourges, les normaux... Ils riaient ensemble. Tandis que moi, je n'avais droit qu'aux regards inquisiteurs, moralisateurs. Après tout, mon rêve était de me mêler aux "roturiers" comme nous les appelions. Dieu, que je le désirai.

« DE BATTRE TON COEUR S'EST ARRÊTÉ
Je ne me rappelle que peu de cet instant. Fatal. Il faisait nuit, j'avais 17 ans. Ma moto roulait à plusieurs centaines de kilomètres/heures sur une route déserte. J'appréciais le vent sur mon visage, le goût du risque qui me chatouillait la poitrine. Et là tout s'arrêta. Tout ce qui me revient en mémoire, c'est une grande lumière, puis le noir. Les sons de l'ambulance m'arrivaient jusqu'aux oreilles, dans une bouillie de voix étouffées. Je me sentais soulevé, emmené de tous côtés, cerné par les cris et les pleurs. Avais-je fait du mal ? Ou m'avait-on fait du mal ? Au loin, je distinguais les pleurs d'un bébé. Je pleurais. mais j'ignore toujours si c'était du sang ou des larmes. Peut-être les deux.
Je suis resté à l'hôpital pendant très longtemps. Un an, un an et demi peut-être. Mon corps et mon esprit devaient être soignés. A mon réveil, on m'annonça que j'avais tué une femme, qui s'était endormie au volant. Son bébé a survécu, mais aura des séquelles toute sa vie. Longtemps j'ai perçu les regards accusateurs des médecins. Non, je n'aurai pas de procès. Ma famille avait tiré assez de cordes pour que je sois laissé en paix. Ils ne l'ont pas fait pour moi, mais bien pour ne pas jeter le voile de l'opprobre sur nous tous. Je me sentais affreusement coupable. J'étais immobilisé dans mon lit. J'avais plusieurs côtes cassées, la jambe fracturée, l'épaule luxée... La douleur était présente dans tous les recoins de mon corps. Tous les jours, je versais des larmes. Pour ceux que j'avais tué. Pour ceux dont la vie était détruite. Je pleurais en partie pour moi.
Une seule chose me permettait de sortir de cet enfer. Et c'est toujours le cas aujourd'hui. Ma Soeur, ma Déesse, mon Amour : la Morphine. Pendant quelques instants, je ne sentais plus rien, je ne pensais plus à rien. Je volais. Loin d'ici, loin des médecins, loin de ma vie.

« CENT ANS APRES L'APOCALYPSE
Aujourd'hui, rien n'est différent. Mon corps s'est soigné, mais mon esprit jamais. Je persiste à conserver ce masque de bonheur que je revêts tous les matins, toutes les nuits. Tant qu'Elle est là, je n'aurais jamais peur. J'ai parfois essayé de remonter à moto, pour voir. Certaines fois, rien ne se passait, et je roulais quelques kilomètres, l'adrénaline se mêlant à ma dose. D'autres fois, à peine monté, je vomissais instantanément à côté, avant de m'écraser sur le sol. De nouveau, tout devenait noir. Le traumatisme est toujours présent en moi. Mais cela ne m'a pas empêché d'aller de l'avant, et d'intégrer l'une des plus grandes universités des Etats-Unis, me permettant de m'évader physiquement de ma famille, restée en Ecosse. Désormais, je n'ai plus peur. Je veux, moi aussi, découvrir la joie d'avoir des amis tous authentiquement différents. Et de vivre. VIVRE.