Lorsqu'une personne normale se présente, elle parle d'abord d'elle même. Normal, me direz-vous. Alors, moi, je m'appelle Elysa Catalina Estevez, j'ai 21 ans, et je suis née le 09/05/1991 à Buenos Aires. Je ne pourrais pas enchaîner sur le couplet du "mes parents s’appelaient comme ça, mes parents étaient ceci" pour la simple et bonne raison que je ne les ai jamais connu. Tout ce que je sais, c'est que ma mère m'a abandonnée à la naissance et que mon père est décédé peu avant mon premier anniversaire. Superbe, comme entrée dans la vie, n'est-ce pas ? J'ai donc été transportée de foyers en foyers, de familles d'accueil en famille d'accueil. Certaines m'ont gardées un mois, d'autres un an, d'autres 15 jours. Après tout, qu'est-ce que ça pouvait leur faire, aux services sociaux, qu'un enfant soit heureux ? Rien. Du moment qu'ils touchent leur prime à la fin de la transaction, tout leur va. A m'écouter, on dirait que je parle d'une vulgaire marchandise. Mais c'est tout ce que nous sommes dans ce système que je maudis.

" C'est notre petit secret, hein, Elysa ?" m'a murmuré d'une voix suave l'un de mes nombreux "père adoptif." J'ai juste acquiescé d'un petit signe de tête. Que pouvais-je faire d'autre ? Je venais de perdre ma virginité à 9 ans, à cause d'un pervers qui n'avait rien trouvé de mieux que de me violer ... Il ne s'est pas contenté de le faire une seule fois, oh ça non. J'ai été violée, battue, humiliée pendant ces deux ans où j'ai vécu avec lui et lui seul ... Un jour, je l'ai retrouvé mort. Overdose, surement. En fait, je m'en fiche carrément, il est mort, c'est tout. Je me souviendrais toujours de ce jour là, j'ai pris mon sac, mon doudou, et j'ai tracé la route, sans jamais regarder derrière moi. J'ai marché aussi loin que mes pieds pouvaient me porter. J'ai atterris dans la maison d'un couple de personnes âgées retraitées qui m'ont enfin traitées comme je le méritais. J'ai partagé 4 ans de ma vie avec eux, avant qu'ils ne décèdent eux aussi, intoxiqués au monoxyde de carbone. Retour à la case départ.

Comme j'avais 15 ans, les dirigeants des services sociaux m'ont placée en foyer. Je n'avais plus le droit aux familles d'accueil, trop vieille pour ça ... C'est justement là que j'ai commencé à dériver, du mauvais côté. J'ai commencé à traîner avec des gens du foyer, bien plus vieux que moi, je me suis mise à fumer, et pas uniquement la cigarette, j'ai commencé aussi à me shooter, et à coucher avec n'importe quel mec qui passait ... Je voulais juste me sentir vivante, en fait. Mais, ce que je retiens surtout de cette année là, c'est la découverte de mon amour pour la mode.Je récupérais de vieux vêtements dans les friperies, et je leur donnais une seconde vie. Je coupais, j'arrachais le tissu, j'assemblais les couleurs, les formes, pour obtenir un résultat à la hauteur de mes espérances. Je dessinais mes propres modèles, je photographiais mes créations. Mon but dans la vie était tout trouvé, tout tracé : un jour, je serais créatrice de mode, tel était mon rêve !

Alors j'ai travaillé, énormément. Mon but ? Réussir à être acceptée dans l'école réputée d'Harvard. L'université de prestige ! J'ai obtenu mon diplôme avec une bonne mention, et j'ai été acceptée. L'héritage que m'avaient laissés le couple de personne âgé avec lequel j'ai vécu me laisse le temps de couler des jours tranquille ici avant d'être dans le besoin. Désormais, une nouvelle vie s'offre à moi !

Oui, aujourd'hui, j'oublie qui j'étais. J'ai gardé quelques séquelles, quelques addictions, mais je vais mieux. Je souris à la vie. Je souris à ma nouvelle vie.