« J'ai pas de papa. » Silence dans la salle de classe, la petite fille de six ans avait rendu ses camarades muets de surprises, ainsi que la maîtresse. Aujourd'hui, ils étaient censés écrire des poèmes pour la fête des pères qui arriverait dimanche, chose impossible pour la petite Brown, puisque son géniteur avait abandonné sa mère lorsqu'il avait appris qu'elle était enceinte. Chose courante. Pourtant, ça ne la dérangeait pas plus que ça, l'enfant n'avait jamais connu son père. On ne ressent pas le manque de quelque chose que l'on a jamais eu, en général. Pourtant, ses amis à l'école trouvaient ça plutôt étrange. Pas de papa ? Mais qui lui racontait des histoires le soir ? Qui jouait avec elle dans le jardin ? Qui l'emmenait faire des promenades au parc ? « Ma maman. C'est la meilleure, ma maman. » Le problème était réglé. La petite vouait une adoration sans borne envers sa mère, qui l'élevait seule et lui consacrait tout son temps, pour qu'elle puisse devenir la fille la plus heureuse du monde. Et l'enfant lui rendait bien, elle était joyeuse, gentille, pleine de vie. Et surtout, elle ne pouvait s'empêcher d’adresser pleins de gentilles attentions à sa mère.

Par contre, être toutes les deux dans le petit appartement de Brooklyn devint pesant, à la longue. Si la jeune fille ne voulait toujours pas d'un père, elle aurait adoré avoir une soeur, à qui confier toutes ses mésaventures, quelqu'un qui aurait pu la conseiller. Malheureusement, elle était fille unique et ça ne changerait pas. Alors Julia compensa ce manque par des amitiés collégiennes, puis lycéennes. Elle était appréciée de beaucoup de monde, la petite Brown. Toujours gentille, à l'écoute des autres et prête à les aider, c'était elle qui tenait le rôle de grande soeur, en fait. D'autant plus qu'étudier n'était pas un problème pour elle et que l'adolescente savait que pour obtenir ce qu'elle voulait dans la vie, il fallait parfois sacrifier son temps libre au profit du travail. Alors elle jouait moins de piano, elle regardait moins de films, elle lisait moins de romans. Et pourtant, l'enfant ne s'ennuyait pas, sa vie était bien remplie. Et sa mère la regardait se développer, grandir comme une flèche pour devenir une jeune femme belle et dynamique. Souvent, Amélie Brown se disait que le temps passait extrêmement vite et que l'on n'était jamais conscient de la chance que l'on avait. Pour elle, voir son enfant croquer la vie à pleines dents lui procurait un immense sentiment de fierté. Bien sûr, elle n'avait pas les moyens de lui offrir la vie que son enfant rêvait, surtout que la fille était accro à la mode et à tout ce qui se détachait de la norme, mais Julia ne semblait pas s'en plaindre. Tout du moins, elle ne disait rien, sûrement pour ne pas rendre triste sa chère maman.

Et puis bien sûr, le destin se permet toujours de nous jouer des tours ; c’est ce qui confère sa magie à l’existence humaine. Le hasard, cette chose mystérieuse, parfois si belle, peut se révéler bien cruelle. Personne ne peut décemment pas imaginer que sa vie sera heureuse pour toujours sans un peu de complications. Dans l'innocence de son âge, Julia y avait cru, et ne s'était absolument pas préparée à ce qui allait lui arriver. Tout lui tomba dessus comme une enclume. Ce jour là, la petite était en compagnie d'une de ses amies de lycée, Ashley. Toutes les deux étaient dans Central Park, quand la jeune Brown reçut un appel sur son téléphone. Quelques mots échangés, et son visage devint blanc comme un linge. Son amie ne comprenait absolument pas ce qui se passait, mais cela ne présageait rien de bon. Quand elle entendit la blonde balbutier « Oui... Oui je viens tout de suite. » et remettre son portable dans sa poche, la main tremblante, ses soupçons se confirmèrent. Julia murmura des paroles confuses, expliquant que sa mère était à l'hôpital et qu'on avait besoin d'elle pour espérer la guérir, puis elle était partie dans les trois minutes qui suivaient. Elle courut, prit un taxi à la place de quelqu'un d'autre, trop impatiente pour attendre, et le centre de soins était bien trop loin pour y aller en courant. Les minutes lui semblaient des heures et quand enfin la petite pu rejoindre sa mère, elle dut passer des dizaines de tests, alors qu'elle mourrait d'impatience et de peur.

« Bien sûr que je suis en mesure de l'aider. Je suis sa fille. » « Malgré tout le respect que je vous doit, les tests ont révélé que vos deux ADN étaient différents... » Crac. Toute la vie de l'enfant volait en éclats, mais elle n'y croyait pas une seule seconde. « Et... Qu'est-ce que ça veut dire ? » incrédule, l'enfant préférait reposer la question. « Ca veut dire que la femme dans cette salle n'est pas votre mère biologique. » Gros blanc. « ... Pardon ? » Incompréhension totale, puis déni. L'adolescente lança un grand rire sarcastique qui résonna dans tout le couloir, croyant à une blague de mauvais goût. Puis, je tant un regard à l'infirmier en face avec son regard condescendant, elle comprit que ça n'avait absolument rien d'une farce. Le menton tremblant, la petite se mordit violemment la lèvre pour ne pas fondre en larmes. Cette journée avait été éprouvante pour elle, mais il fallait bien sûr qu'on en rajoute toujours plus et que tout lui tombe sur la figure en même temps. Elle avait alors une autre famille. Un père, une mère, des frères et soeurs ? Et sa maman, dans la pièce à côté, c'était qui ? Mais surtout, qui allait pouvoir la sauver ? Alors finalement, on pensait au moins connaître sa propre vie, jusqu'au jour où l'on se rendait compte que l'on ne pouvait être sûr de rien, pas même de ses origines.

Il ne fallut pas longtemps à la jeune Brown avant de partir à la recherche de sa vraie famille. Plus elle cherchait, plus l'enfant trouvait des informations. Tenace et têtue, elle ne lâchait rien et finissait par obtenir ce qu'elle voulait. C'est ainsi que Julia apprit qu'elle n'avait pas été adoptée, mais échangée à la naissance, ce qui lui apporta une nouvelle vague d'espoir. Il n'y avait plus qu'à retrouver sa famille biologique et l'enfant qui aurait normalement du être à sa place pour que sa mère puisse guérir. Plus simple à dire qu'à faire, mais la jeune fille ne renonçait jamais. De son lit d'hôpital, Amélie la voyait faire tout son possible pour la sauver, ce qui la rendait tellement fière. Elle aussi s'était vue dépassée par la nouvelle qui lui était tombée sous le nez, ne s'attendant absolument pas à ça. Mais rien ne changea dans leur relation ; après tout, c'était elle qui l'avait élevée.

Julia finit par trouver ce qu'elle cherchait. Elle avait effectivement une grande soeur, sans compter l'enfant qui aurait du être elle. Le seul moyen d'entrer en contact avec la famille était de contacter l'ainée de la famille, qui se trouvait à Harvard. Rien que ça. Qu'importe, la Brown irait à Harvard, s'il le fallait. Elle se mit alors à travailler encore plus, mettant de côté ses petits plaisirs, et son acharnement finit par payer. L'enfant fut acceptée dans l'une des plus prestigieuses universités des Etats-Unis et décrocha une bourse lui permettant de payer ses études. Maintenant, il n'y avait plus qu'à faire la connaissance de sa soeur, pour espérer sauver sa mère. Curieusement, c'était pour la jeune fille la partie la plus dure de toute ce qu'elle avait à accomplir. Mais il le fallait. Sa mère devait guérir, pour être fière d'avoir une fille aussi débrouillarde et pour que tous ces efforts n'aient pas été fait en vain.