Cher inconnu(e),

Tu te demandes pourquoi je t’écris ? Je crois que moi-même, je n’en suis pas tellement sûre. Il parait que parler à quelqu’un qu’on ne connaît pas, c’est plus facile, alors me voilà. Je suis perdue. Ou peut-être bien que je n’ai juste plus la force de sortir la tête de l’eau. J’arrive plus à savoir si je dois me battre ou abandonner. Aujourd’hui, j’ai sauté en parachute et ça m’a fait du bien. J’ai crié, hurlée, de toutes mes forces pour extérioriser toute ma peine et pourtant… Je suis là, à t’écrire. Mettre des mots sur ce que je ressens, c’est plus dur que je ne le pensais, mais coucher ces quelques phrases sur le papier me fait déjà du bien. J’ai l’impression de ne plus être moi et ça me fait peur. Mon père m’a éduqué d’une certaine façon, me permettant ainsi de devenir cette femme forte, intransigeante et déterminée, mais j’suis même plus sûr d’avoir envie de jouer à ça. Je suis loin d’être parfaite, alors prétendre toujours que tout va bien, ça m’épuise. J’aimerais être cette fille solaire, qui s’en fou de tout et qui fait ce qu’elle a envie, quand elle en a envie, mais je n’y arrive pas. Je suis bloquée entre l’envie d’être moi-même ou être celle que mon père voudrait que je sois. Je n’aime pas ce monde, je n'aime pas les bactéries, je n'aime pas les taxis et pourtant, je m’y suis plutôt bien accoutumé. Quand j’ai essayé de penser rien qu’à moi et que j’ai quitté Boston pendant quelques semaines, j’ai aussi rompu le lien avec toutes mes attaches ici, y compris ma meilleure amie. Elle aussi ne va pas très bien, et je n'ai pas su être là pour elle. Comment on est sensé faire pour s’occuper des gens qu’on aime, quand on est incapable de prendre soin de soi ? Elle m’a pardonné, encore et j’comprends pas comment elle fait pour être cette fille à la fois si forte et si fragile. Tu la verrais, elle brille, de par sa bonté, son fort caractère, son rire. Elle est ma personne, la plus belle personne au monde et j’me sens chanceuse de l’avoir, alors pourquoi moi, j’suis si égoïste en l'ayant abandonné ?
Pour finir, je me rends compte que j’avais perdu l’habitude d’écrire à la main, en plus d’avoir mal au cœur, j’ai officiellement mal au poignet. Alors je vais arrêter ses quelques lignes.

Merci de m’avoir lu
C.

Cher inconnue à l’écriture fleurie,

J’ai reçu ta lettre ce matin, à l’aube d’une autre journée sombre dans mes pensées. Et je vois que je ne suis pas seule à me perdre dans tous les chemins trop sinueux. J’ai l’impression que le monde auquel je croyais s’effondre et que chaque brique que j’ai pu déposer sont en train de s’effriter à cause de ma main vengeresse. Je n’ai pas envie de voir le monde s’écrouler mais parfois, j’aimerais me jeter au fond de la mer et me noyer le temps d’un instant, pour oublier tout et tout le monde. J’ai une enfant, une petite fille de trois ans. Mais putain, elle serait tellement, tellement mieux sans un homme comme moi à ses côtés. Elle est joyeuse, souriante et solaire, le genre de petite fille qui donne envie de se battre. Mais moi, j’suis pas un homme fait pour être père, j’ai pas ce tact ni cette patience. Alors je comprends, quand tu dis ne pas arriver à avancer et être fatigué. J’ai vécu trop de deuil, trop de peine, je suis tellement épuisé que je me dis que sans moi, les gens seraient bien plus heureux. On s’est joué de moi aussi, jusqu’à me foutre dans un trou noir et ne plus voir la sortie. Je ne pense pas que tu sois égoïste, je pense qu’on ne peut pas aimer une personne entièrement si on ne s’aime pas soit. Et voilà que je meurs de douleur chaque jour depuis le décès de ma femme, la mère de ma fille.

J’aimerais te dire que ça va aller mais ça serait mentir. Nous sommes au même endroit, au même moment, dans toutes les noirceurs de l’encore qui coule au bout de notre stylo jusqu’aux choix que l’on entreprend et qui ne sont pas forcément les bons. C’est peut-être ce qu’il me faut, étaler tout ça a une personne qui ne connait pas mon passée agressif ou mes comportements trop disproportionnés. Que cette personne ne sache pas que je brise tout ce que je touche. Que je ne suis qu’un homme qui tente de faire avec les seuls moyens qu’on lui a foutu dans les mains.

Tu vas répondre rapidement ?

Bien à toi,
C.

Cher C,

Tu vas peut-être me trouver idiote, mais j’ai surveillé ma boite aux lettres avec plus de rigueur qu’ordinaire. Je crois qu’une part de moi espérait que tu prennes le temps de me répondre. D’ailleurs, j’ai manqué à tous mes devoirs en imposant le tutoiement, j’espère que ça ne te dérange pas ? Tout serait tellement plus simple si on pouvait mettre notre vie sur pause et respirer un instant, sans qu’aucune pensée ne vienne gâcher ce moment. Parfois, j’me dis qu’on est juste voué à souffrir, puis je me raisonne, je me dis qu’on a qu’une vie et qu’il faut profiter de chaque instant. Pourtant, dieu sait que c’est compliqué. J’ai l’impression que la noirceur de mes pensées, vient ternir le monde qui m’entoure. A croire que je suis nocive à mon simple contact… Tu crois toi, au fond de toi qu’on est mauvais pour les autres ? Comme si nos pensées nous intimaient sans qu’on s’en rende compte de parasiter les autres. Je me dois de te présenter mes condoléances, même si je sais que ça ne changera pas ta situation et que ça n’apaisera pas tes peines. C’est quand tu l’as perdu que tout à voler en éclats ? Surtout, arrête-moi si je deviens trop intrusive, mais j’aimerais tellement t’aider. Mon instinct me pousse à te dire que tu ne dois pas abandonner, qu’il faut que tu vois en ta petite fille ta force. Je suis certaine que tu es bon pour elle, tu dois même être son unique pilier maintenant, mais c'est difficile de tenir debout quand ont nous à brisée les deux jambes. J’ai perdu quelqu’un que j’ai aimé aussi, mais ce n’est même pas comparable à toi, alors laisse-moi être une béquille pour toi, si l’encre qui glisse sur ce papier te fais un peu de bien.

J’ai l’impression d’être maladroite, de ne pas trouver les bons mots, mais j’écris, je ne m’arrête plus et dans tous les mauvais choix que j’ai pu faire, t’écrire me semble avoir été le meilleur ces derniers temps. Alors qu’importe ton passé, peut-être qu’on devrait arrêter de regarder en arrière et commencer à regarder droit devant nous. Le passé, le présent, le futur, tout est lié, mais on est ce qu’on choisit d’être alors souris-moi. Rien qu’une fois. Même si ça ne va pas.

J’ai glissé dans la lettre un petit bout de papier, garde-le, s’il te plait. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour mettre en pratique, ce que nous n’arrivons pas à faire dans notre vie de tous les jours et quand tu te sentiras près t’utiliseras ce que je vais te laisser au fil de nos lettres.

J’espère vite avoir de tes nouvelles.

Merci de m’avoir répondu
C.

Chère C,

Est-ce qu’il n’y a que moi qui regarde si le facteur passe tôt ou tard ? Je ne peux attendre indéfiniment ta réponse et pourtant, me voilà à la fenêtre à regarder si la femme de l’autre côté m’a enfin écrit. Je ne crois pas qu’on soit mauvais pour les autres, je crois qu’on est mauvais pour soi-même et quand on est incapable de se soigner, il faut voir la vérité en face : le chaos n’appelle que le chaos. Et ce chaos, j’en suis l’instigateur. Tout ce que je touche finit par se briser comme du diamant qui redevient charbon. Je n’arrive plus à garder en mémoire toutes les choses jolies que j’ai pu faire et je ne me concentre que sur le négatif. Et putain, cette boucle infernale est en train de me noyer. Et non, ce n’est pas à ce moment-là. Ca a été un déclencheur, sa mort. Mais malheureusement, le monde ne m’a pas doté de la maitrise de soi. Et si je t’ai répondu, c’est que j’ai besoin qu’on soit intrusif dans ma vie. Qu’on puisse la décortiquer et qu’on comprenne que merde, je ne suis pas un monstre.

Parfois, quand la pression est trop forte, j’ai comme une bête en moi qui prend le relais et qui dévaste tout sur son passage. Elle rit de mes malheurs pour les bouffer et en faire de l’essence pour ses folies. Et moi, je suis spectateur d’un corps qui ne m’appartient plus. Et quand je reviens à moi, j’ai du sang sur les mains, je transpire et souvent, très souvent, il y a de la casse. Tu vois, j’suis tordu mais à la fois, j’aimerais qu’on m’aide, qu’on m’apporte ce petit claquement de doigt qui va changer mon univers.

Parle-moi de tes mauvais choix. En quoi étaient-ils mauvais ? As-tu fais quelque chose pour remédier à ces mauvais choix ? Lesquels te semble irréversible ? Regarde, je me suis retrouvée à une table de gens d’une autre classe sociale que moi récemment et ça s’est mal passé. Parce que ce gars a osé me regarder de haut. J’ai l’impression de n’être qu’un putain d’animal incapable de me contrôler. Les mauvais choix, j’en suis le roi.

Je vais garder ce bout de papier juste caché dans la coque de mon téléphone pour ne pas le perdre et le garder précieusement.

Je me languis déjà ta réponse, c’est un peu de soleil dans mes nuits illimitées,

C.

Cher C,

Je suis comme toi, j’ai tendance à surveiller un peu trop mon facteur, dans l’espoir d’avoir vite de tes nouvelles. Pour être honnête, je pensais n’avoir jamais de réponse et finalement, j’ai l’impression d’être une gosse qui compte les jours avant noël, ta lettre étant mon cadeau. Et tu vois, ça m’fait du bien de me sentir si insouciante le temps d’un instant, de ne penser à rien d’autre qu’à toi et qu’à moi. Peut-être que c’est toi ma pause, c’est toi qui me permets de réussir à mettre un peu d’ordre dans mon esprit. Si on est mauvais que pour soi-même, ne pense pas que tout ce que tu touches se brise, je suis certaine que dans ta boucle infernale, se trouve une sortie. Il te faudra du temps, de la patience aussi pour réussir à inverser la tendance et enfin trouver une part de bonheur quelque part. Tu te souviens de ton dernier éclat de rire ? Celui qui t’en a fait mal au ventre.

On a tous un passé, et si les autres te jugent sur les erreurs que tu as pu faire avant et te catalogue comme un monstre, c’est que se sont eux les véritables monstres. Tu l’as perdu il y a longtemps ? Le deuil nous fait parfois faire des choses qu’on finit par regretter. Je suis de nature impulsive, quand je suis peinée, je fais parfois des choses idiotes, parce que je ne prends pas le temps de réfléchir avant d’agir donc moi aussi, j’ai fait des erreurs. On en fait tous. Tu sais ce qui guide cette foutue colère dévastatrice ? Quand je suis en colère, quand on me pousse à bout, j’extériorise ma colère au stand de tir. Quand j’étais petite, j’étais passionnée par les armes et je voulais en faire mon métier, mais mon père en a décidé autrement. Tu devrais essayer un jour, ça fait du bien, en tout cas, moi ça me fait du bien.

Tu sais dans mon monde, ou l’argent et le pouvoir, sont maître, on est obligé d’agir comme des parfaits connards… Dès notre enfance, on nous dicte notre conduite et où nous raconte tout un tas de chose pour contrôler notre manière de penser et moi, j’essaye de lutter contre ça, mais il fut un temps où j’étais comme ce gars-là. Sauras-tu me pardonner ? En ce qui concerne mes mauvais choix, il y en a tellement, que j’sais même pas par où commencer. Mais le premier et le principal est lié à ce que j’étais en train de t’écrire. Je ne suis pas sûre de vouloir réellement devenir la futur PDG de l’entreprise de mon père. J’excelle dans le monde des affaires, mais est-ce que c’est ce que je veux réellement ou la manipulation et la soif de pouvoir de mon père ne m’ont pas dévié de mon véritable chemin ?

Tu as déjà deviné ce que j’avais bien pu t’écrire sur ce bout de papier ? Peut-être que celui-ci t’aidera à mieux comprendre à quoi servent ces chiffres.

J'ai l'impression que t'es une petite luciole qui vogue autour de moi et parfois, je trouve ça long de t'attendre, pour avoir de tes nouvelles et te parler à nouveau.

C.

Très chère C,

Le facteur m’a ramené ton enveloppe trempé. Il l’avait fait tomber dans une flaque de boue mais elle donne l’air d’avoir traversé mille pays comme ça. Un peu usé mais avec une histoire derrière, j’sais pas si tu vois ce que je veux dire. Plus le temps passe, plus je vois un monde sans queue ni tête qui se dessine. Est-ce que c’est normal de vouloir tout abandonner pour se concentrer que sur soi ou est-ce égoïste ? J’ai laissé tomber l’université où j’étais censé être alors que j’étais un bon élève parce que je suis incapable de tout gérer.

Le stand de tir, je ne connais pas. J’ai l’habitude de taper. Je fais de la boxe catégorie poids lourd depuis des années. Ça pourrait être une fierté, toutes ces coupes et ces médailles si ce n’était pas le témoignage engagé de cette violence dont je t’ai parlé dans ma précédente lettre. Et c’est ma façon à moi d’extérioriser. D’ailleurs j’en fais un métier parce que ça me tient à cœur. Non. En fait, c’est faux. Désolé des ratures sur cette lettre, elle est brouillon, Sali par la poussière de ce vieux bâtiment totalement délabré dans lequel j’ai décidé d’investir avec mon frère. De cœur. Mais il n’y a pas forcément que de la légalité dans ce qu’on fait et on a besoin d’argent. J’ai remarqué cette façon que cet homme a eu de nous prendre de haut comme si nous étions du bétail. Je pense qu’on peut choisir sa façon de faire, surtout quand ça a été si naturel pour eux… d’écraser ? J’ai tenté de garder mon calme, nous étions dans un lieu public. Mais comment réagir quand on a cette impression de ne compter pour personne ? Quand la femme que je croyais et voulais mienne ne me regarde même plus au profit du dédain et de la violence ? En tout cas, si tu as été comme ça auparavant, ça ne se ressent pas à travers l’encre de tes mots. Cette façon de te dévoiler à moi n’est pas le genre de ce trou du cul au nom d’un dieu grec là.

Concrètement, si tu devais me définir ce qui te fait vibrer réellement, ce qui te donne envie de te lever le matin et de t’offrir le monde, tu me le dirais comment ? Est-ce que ce n’est pas juste le projet familial et la culpabilité de laisser tomber l’empire qu’à construit ton père qui te bloque à faire tes propres choix ? Je ne sais pas comment fonctionne ce genre d’univers, je suis un gars né de la rue, j’ai élevé mes frères et sœurs, je ne sais pas comment vous fonctionnez, gens dorés, mais est-ce que ton père t’aime assez pour te laisser prendre un chemin différent ?

Bien sûr que j’ai déjà deviné. Je me demande juste quand est-ce que j’aurais le droit à la suite, ça m’excite autant que ça m’effraie. C’est peut-être contradictoire mais c’est un peu de lumière dans ce monde sombre et noir que j’ai réussi à créer avec mon aura dégueulasse. J’vais même envoyé cette lettre en express pour être sûr que tu puisses la recevoir rapidement.

A la prochaine lettre,

C.

Cher C,

Ce n’est pas vrai ? Et dire que j’avais parfumé ma lettre senteur monoï, histoire de t’apporter un peu plus de lumière dans ce monde trop sombre. Je suis contente qu’il te l’ait quand même donné, j’aurai eu peur que tu croies que je n’avais plus envie d’échanger avec toi. Tu ne trouves pas que ça nous représente un peu ? J’veux dire, nous aussi, on est écorché, usé avec un passé plus ou moins compliqué et pourtant, on est là, toujours debout. Je pense qu’on passe tous par cette phase où l’on doit se re concentrer sur nous-même. J’imagine que pour se retrouver dans un labyrinthe aussi sombre que le nôtre, il faut apprendre à s’écouter soi-même pour analyser tout ce qui nous entoure et en sortir vivant. Alors t’es loin d’être égoïste, t’es tout ce qu’il y a de plus humain. Moi, je pense que c’est ton inconscient qu’essaye de te dire : Eh oh, j’suis là pour t’aider. Tu vois ?

Tes médailles et tes coupes, tu les mérites, sinon tes adversaires les auraient eus à ta place, alors qu’importent la manière, le fond, tu n’as pas à cacher qui tu es. Et ça fait du bien de voir quelqu’un d’authentique, j’ai l’impression que ça se perd dans cette génération qu’est la mienne. Parfois, j’aimerais être née bien avant, à l’époque ou la parole d’un homme – ou d’une femme – avait de la valeur. C’est grâce à l’illégalité qu’on progresse. Que ce soit dans nos lois ou dans la vie quotidienne, de l’humain type qui va trouver un peu d’adrénaline dans un combat de rue, dans l’achat de drogue ou bien ceux qui récoltent le fruit du bonheur qu’il a pu transmettre. Alors quelque part, tu procures quelque chose à quelqu’un qui en avait besoin. Ils/On est né(e) pour ça, écraser, dominer, parce que nos parents nous l’imposent de bien des façons, eux même ayant vécu la même chose que nous à leurs âges. Mais ce n’est pas une excuse, je suis d’accord là-dessus. J’ai moi-même cette présence d’esprit de m’en prendre qu’à ceux qui me font du mal. Dieu grec ? T’étais à la table d’Hadès et Zeus?

Hormis ma famille et mes amis les plus proches, rien. Je suis vidée de toute envie et c’est ça qui me rend dingue. J’ai parfois l’impression de ne pas me connaître. D’avoir l’impression d’être un sims, contrôler par quelque chose de plus grand. Tu vas me prendre pour une folle… Alors peut-être que oui, je marche sur le chemin parfait que mon père m’a créé, mais c’est lorsqu’elle m’a donné la vie, qu’il a perdu sa femme. Il n’a jamais eu que moi depuis ces derniers 26 ans, il me laisserait choisir mon chemin. Mais lequel ?

Tu as peur que cette étoile s’éteigne pour venir à nouveau ternir ton monde ? J’espère pourtant t’apporter autant de bons que tu m’en apportes. J’ai peur moi aussi, que tu partes, que tu ne répondes plus et que tu me laisses, seule. Pourtant je prends le risque de te le dire, quitte à ne plus avoir de réponse.

À très vite, j’ose l’espérer.

C.

Chère C,

Merci d’avoir remis un peu d’odeur monoï pour celle-ci pour compenser la perte de senteur de la précédente, ça me rappelle l’été et le soleil et dieu sait que ma saison favorite est celle où je peux aller nager le plus loin possible du rivage. Mais j’espère parfois me noyer juste histoire de vider mon cerveau une seconde de tout ça, toutes ces impuretés qui font l’être que je suis, ce gars trop violent, qui souffre de troubles explosifs intermittents, qui doit prendre un putain de traitement pour calmer ses colères. Est-ce que c’est flippant, de parler avec moi ? De savoir que pour un regard en croix je suis capable de sang ? Ca a toujours été plus fort que moi mais maintenant que j’ai une petite fille, je dois me contenter de garder tout ça en moi et ne jamais le laisser exploser. Et ça, c’est ce qui me demande le plus d’effort : de contenir. Ouais, je vois ce que tu veux dire, mais t’arrive toi, à laisser ton cœur l’emporter sur la raison ? Parce que moi non. J’essaie d’être lucide et logique, je tente de garder le cap et la tête haute mais rien de cohérent n’en ressort de tout ça.

Ô comme je te rejoins sur le fait de vouloir venir d’une autre époque ! L’authenticité, ça se perd. Ça laisse oublier les vraies valeurs pour des choses futiles et l’altruisme n’est plus le maître mot des personnes de notre génération. Je l’ai appris à mes dépens et je vois que toi aussi. Tu les connais ? Tu dois être à Harvard. Ton statut social que tu dépeints ne peut-être que ça. Je parle bien d’Hadès et l’autre ouais, il s’est présenté comme Zeus mais je crois que c’est Abelard non ? Deux beaux trous du cul qui prennent les gens de haut et s’amusent à croire que leurs billets peuvent les protéger de tout et n’importe quoi. Et ça me rend dingue qu’on puisse s’amuser des petits gens comme mes amis qui étaient à cette table. D’autant plus que le Zeus là, s’amusait à se pavaner aux bras de la femme qui s’amuse à piétiner mon palpitant jour et nuit. Elle me tourmente et moi, je fonce dans sa tempête tête baissée parce que je suis incapable de contrôler ce qu’il se passe. Elle me rappelle la chanson Bruises, de Lewis Capaldi, cette nana. Parce que je l’ai dans le sang mais pas dans les bras. Et elle me met la tête sous l’eau de son talon aiguille. J’ai passé une soirée pourrie, à ce putain de bal à la con. J’espère que ta soirée n’a été que meilleur, parce que tu ne mérites pas que ça soit pire.

T’es une bouffée d’oxygène C, je te jure ça me fait un bien fou de pouvoir concrètement écrire sur papier ce qui me traverse l’esprit et sans jugement aucun. Et si tu en as, tu caches bien ton jeu parce que je ne ressens pas d’animosité émaner des bouts de papier que je reçois.

Ne te perds pas dans les devoirs que tu te dois d’accomplir. Un enfant, c’est fait pour qu’il parte, qu’il apprenne suffisamment l’autonomie pour le laisser s’envoler et accomplir ses propres choix. Ce qui me faisait vibrer, là, tout de suite, c’était de laisser tomber Harvard pour me concentrer sur un projet professionnel plus grand. J’ai tout abandonné. Et ce lâcher prise, peut-être que je ne l’aurais jamais eu si tu ne m’avais pas lu, si tu ne m’avais pas montré un petit peu de voie.

Ne tarde pas à m’écrire, tes lettres sont mes exutoires, ma lecture du soir quand les insomnies sont trop importantes.

C.

Cher C,

Tu aimes cette odeur de monoï ? Ça me fait plaisir alors, c’était le but, te ramener un peu d’éclat, dans une vie trop terne. Le soleil revient et pourtant malgré les rayons qui viennent réchauffer ma peau, je me sens toujours aussi froide. Peut-être que me noyer serait une solution aussi, mais malgré tout, j’ai l’impression de m’accrocher à cette corde, de devoir la grimper à la force de mes mains, tout en me brûlant la peau due aux frottements. Tu crois réellement que si j’avais peur de toi ou de ce que tu m’écris, j’aurai pris la peine de continuer à t’écrire ? En aucun cas, c’est flippant, au contraire, j’apprécie ta franchise. J’apprécie de savoir à qui je parle et savoir que derrière toute cette rage, ce cache qu’un cœur et une âme meurtrie par la vie. Je suis certaine que l’image que tu as de toi-même, n’est pas l’image que j’peux avoir de toi. Que ton amour pour ta fille, l’emporte sur la colère, parce que tu le mérites et tu mérites de retrouver un peu d’équilibre et de joie dans ta vie C.

C’est exactement ça, et la société nous pousse aux vis, cherchant toujours plus loin à diviser pour mieux régner et ça m’rend malade, pourtant, je m’y accoutume, parce que je n’ai pas tellement le choix et que pour survivre, on fait parfois des mauvaises choses. Oui, je les connais, de par mon statut social en effet, je suis membre de la maison qu’Hadès dirige et l’autre n’est autre que l’ex fiancé de ma sœur et de ma meilleure amie. Autant de dire que je ne suis pas une grande fan d’Abélard non plus, ça nous fait un point commun en plus. Tu l’aimes cette femme pour qu’elle arrive à te mettre dans un état pareil ? Je ne connaissais pas la musique, alors je l’ai écouté en t’écrivant et si tu ressens chaque mot de ces paroles, je dois t’avouer que moi aussi. Tu vis sûrement une histoire compliquée avec cette femme et je me suis moi-même entiché d’un homme au point d’avoir mis ma vie en danger pour le sauver et résultat du compte, je ne partage pas ses bras non plus. Cet homme, pour qui je suis tombée, n’est autre qu’un de tes détracteurs et malgré que je connaisse toutes les facettes noires de sa personnalité, je ne peux m’empêcher de lui être dévoué… Le bal a été horrible pour moi aussi, parce que malgré lui, il me brise le cœur, encore et encore. Pourtant, il serait prêt à tuer pour me sauver, ayant déjà failli le faire pour me sortir de la période la plus sombre de ma vie, qui me bouffe encore aujourd’hui.

Je ne cache rien, j’aime autant te lire, t’écrire que découvrir la personne que t’es. L’encre glisse toute seule sur le papier, parce que sans même te connaître, ni t’avoir vu, j’ai le sentiment de pouvoir te faire confiance et c’est tellement étrange, parce que je suis d’ordinaire méfiante. Pour une fois, je laisse mon instinct me guider et j’me laisse aller, sans détour, sans mensonge, sans aucun artifice.

Alors on peut dire que j’ai un peu participé à ton projet ? Je plaisante, je suis heureuse de voir que cette lettre écrite un peu par hasard, nous aide chacun de notre côté. J’aimerais suivre ma voie, mais je suis incapable de définir ce qui me plaît vraiment et c’est tellement frustrant. J’aime ce que je fais lorsque mon père me laisse les rênes, mais est-ce que je ne devrais pas monter quelque chose de moi-même, au lieu de récupérer les empires de ma famille ?

Normalement, quand tu me liras, on sera le jour même où j’ai reçu la tienne. J’ai envoyé quelqu’un de confiance la déposer dans ta boite aux lettres, pour réduire un peu l’attente. Je ne voulais pas tomber sur toi par hasard, peut-être que tu m’imagines bien différente que je ne le suis réellement pas et je ne voudrais pas te décevoir.

À toi C, ma lueur.

Cléo.

Chère C,

J’adore même. Je me languis l’été pour que ces odeurs s’emplissent autour de moi justement. J’aime justement le soleil et découvrir la fraîcheur de l’eau quand je nage parmi les algues et les coraux, quand le monde se noie pour se parfaire des corps bien bronzés, je vais à la recherche de ceux qu’on oublie aux récifs trop encrassés par l’humain. Et c’est pour ça que cette odeur m’ait cher. J’aimerais que le regard des gens puissent être malgré tout aussi positif que le tien, car cela voudrait dire que je ne suis pas de ceux que l’on meurtri mais qu’on soigne. Mais le temps, c’est ce qu’il me manque. Je n’arrive plus à en trouver pour tenter d’apaiser mes rages alors je les subis en tentant de me contrôler.

Tu es membre de l’Eliot House donc. Ma démone en fait partie aussi tiens. C’est une jolie coïncidence. Mais explique moi quelque chose, comment toi, une femme aussi douce et aussi altruiste peut aimer un type comme lui ? Je suis désolé de juger mais je n’ai vu en lui que du mépris et du dédain. Je me dis que si tu avais été sans le sou il n’aurait jamais daigné te poser un regard ne serait-ce que sur le bout de tes chaussures, et en te connaissant sans te connaitre, tu mérites mieux que ce genre d’homme qui pourrait te repousser de belles rencontres que tu feras le long de ton voyage de vie. Mais justement, c’est à son bras que mon Eliot s’est pavané pour me rendre dingue. L’aimer est un mot banal comparé à ce que je ressens mais je l’ai fais traverser bien trop de choses, des moments qui ne lui appartenaient pas, des instants volés qu’elle ne pourrait pas rendre et elle l’a traversé un temps… par finir à s’épuiser de me tenir la main pour défoncer les barrières qui se dressaient devant moi. Mais je lui en veux. C’est une forme d’abandon et ça me ronge parce qu’elle peut être dans n’importe quel lit à l’heure actuel. Et connaissant chacun de mes démons, il me suffirait d’un nom pour l’emmener tout droit dans un lit hospitalier. Et je sais aussi que ça serait bien bien plus fort que moi.

Que fais-tu avec ton père ? Parce que peut-être est-ce l’attache à ton père qui te bloque, la crainte de décevoir et la culpabilité d’être parfois maladroite ? Si tu mettais à profit ce qui te fait vibrer dans les locaux que tu utilises mais pour une autre société ? J’imagine que tu aurais peur que ton père se sente trahie mais ne doit-il pas t’aider à prendre ton envol ? Ce serait un beau message d’amour que de te laisser les rênes des maitrises de ta vie.

Crois-moi, tu ne me décevrais pas. Tu pourrais venir de Jupiter que ce qui m’importe, c’est ce que ces mots dégagent quand tu es capable de m’offrir ta confiance comme je te donne la mienne. Il faut dire que parmi les étoiles de mes nuits, t’es la plus brillante pour soulager mes peines et au moins, il n’y a pas de tabou. Je pense que c’est justement ce que créera la suite de notre relation. Etrangement, ça me va.

Merci, au fait. D’avoir jeter cette bouteille à la mer. Merci d’avoir fait un appel à l’aide que j’ai pu entendre parce que nous sommes sur la même fréquence radio, celles des écorchés vifs aux cœurs amochés.

Au fait, je sais que c’est étrange que ça soit une lettre plus un colis, mais je voulais te filer un truc qui m’appartient et qui me tient à cœur. C’est le haut que j’ai porté lors de ma première dernière compétition de boxe, il y a de ça deux ans. Depuis, je n’ai pas eu le cran ni la force d’en refaire. Promis, je l’ai lavé ! Mais ne me demande pas pourquoi je te le donne, j’en éprouve juste le besoin.

Prends en soin.

Cal.