L'idée de partir deux semaines en vacances à Hawaï me plaît bien. En vrai, ça me plaît beaucoup. Il faut beau, il fait chaud et je peux faire bronzette pendant des heures sans être dérangé. Ce qui me gêne un peu plus, c'est que je suis loin de la salle de danse où je vais habituellement et que ma chambre est trop petite pour me permettre de pratiquer comme je le voudrais. Deux semaines de pause, en soit, ce n'est pas grave. Mais je suis déjà en train de psychoter sur le fait que je risque de perdre du niveau. D'habitude, je ne fais pas de pause. Parce que ça ne sert à rien. Là, je n'ai pas vraiment le choix. Je ne me plaint pas, j'aime passer du temps avec mes amis, boire des cocktails sur la plage en profitant d'avoir enfin 21 ans. Je passe mes journées à la plage, à regarder les étudiants se draguer et flirter. J'envie la confiance qu'ils ont en eux. Parce que moi, j'en serais incapable. Je brûle sous le soleil, on ne doit pas être loin de midi mais je n'ai pas encore faim. D'ailleurs, je préfère profiter de la plage qui se vide. Quand il n'y aura plus personne, je pourrais me permettre d'enlever mon t-shirt et d'aller tremper les pieds dans l'eau. En attendant, je ne bouge pas de ma serviette. Je vois passer une fille que je reconnais. La petite danseuse qui a énormément de talent. Elle devrait prendre des cours. C'est ce que je lui dis tout le temps mais elle me répond systématiquement non. J'ai appris pour son copain. Tout le monde est au courant je crois. Entre les minutes de silences dans toute la fac et les mots de condoléance un peu partout, c'était impossible de passer à coté. Je devrais lui demander comment elle va. Lui proposer de rejoindre le club de danse aussi, qu'elle ne soit pas toute seule. Mais je ne sais pas si c'est une bonne idée. Je doute puis j'agis impulsivement. "Hey Céleste ! Tu viens ?"

J’ai l’impression de revivre depuis que je suis revenue de Alma et je compte bien continuer sur cette lancée car je n’ai plus envie de laisser mon état négatif prendre le dessus. Aujourd’hui je me suis levée au petit matin afin de regarder le lever de soleil de ma fenêtre et je suis allée faire une activité avant d’aller sur la plage. Je marche les pieds dans l’eau, la tête dans mes pensées et je souris bêtement lorsque j’entends quelqu’un m’appeler. Je me tourne avant de voir Dae et je lui souris tout en me rapprochant de moi. « Comment vas-tu Dae ? » Je l’avais vu à plusieurs reprises sur le campus notamment dans la salle de danse et il avait un très bon niveau. Je ne pouvais pas oublier son talent et j’aimais le regarder s’exprimer...il m’aidait à m’ouvrir dans ce domaine. « Tu es déjà allé te baigner ou tu m’attendais ? » ajoutais-je avant de lui faire un clin d’oeil et je retirais ma robe de plage afin de me retrouver en maillot de bain.

« »

Je la regarde s'approcher en souriant. Elle a l'air d'aller bien en fait. Ça fait un moment que je ne l'ai plus croisé sur le campus et je l'imaginais en train de pleurer la mort de son copain dans sa chambre. Ou chez ses parents. Elle a l'air fragile Céleste. Le genre à être facilement affectée par les choses. Avec son grand sourire, je me dis que j'ai peut-être eu tord. Peut-être que les choses vont mieux de son coté que ce que je pensais. "Ça va et toi ?" Je lui montre ma serviette, qu'elle vienne s'asseoir prêt de moi. Je lui sourit. Sourire qui disparaît presque instantanément quand elle me demande si je suis déjà allé me baigner. Non. Toujours pas. Trop de monde, trop de gens prêt à me juger au premier regard. Je n'ai pas suffisamment confiance pour me mettre en maillot en public. Rien qu'à l'idée d'enlever mon t-shirt, je revois les gamins rire de moi. Alors je ne peux pas, c'est impossible. "Euh non. Mais je suis pas très à l'aise dans l'eau. Je préfère regarder la mer d'ici." Petit mensonge pour ne pas avouer que la maillot, c'est mort dès qu'il y a quelqu'un. Et elle a beau être toute mimi Céleste, elle reste quelqu'un.

Dae a l’air d’être une personne agréable et c’est pour cette raison que je suis moi même lorsque je suis à ses côtés. Je le regarde alors qu’il me pose la fameuse question et je ne suis pas dupe je sais qu’on fait référence à tout ce que j’ai vécu. Tout le monde, sur le campus, sait que j’ai perdu mon petit ami dans les attentats et tout le monde sait, également, que j’ai perdu pied avant de quitter Boston quelques semaines. En réalité j’aurai aimé cacher tout ça mais c’était impossible car à Harvard tout se sait. Malheureusement. « Je vais bien, je vais mieux je te remercie. » lui répondis-je avant de lui sourire et je déploie ma serviette sur le sable pour venir m’installer à ses côtés. Je vois qu’il est encore habillé et cela m’intrigue mais je ne sais pas si je peux être sans filtres avec lui car je ne le connais pas assez et je n’ai pas envie de le brusquer ni même de le blesser. Je ne suis pas comme ça alors je garde ma question pour moi ou du moins je la détourne un peu. « Tu n’es pas à l’aise.. ? Tu ne sais pas nager ? » Peut-être qu’il était comme Morgan et qu’il n’aimait pas savoir ce qu’il se passait sous ses pieds quand il nageait.

« »

Je ne sais pas trop si je mets les pieds dans le plat en lui demandant comment elle va. Elle est pas conne, elle se doute bien que cette question, c'est aussi pour savoir comment elle va depuis les attentats. Je ne l'ai pas croisé depuis. Les bruits de couloirs racontent qu'elle est partie quelques temps. Je ne sais pas si je dois y croire ou pas. "Tant mieux si ça va. C'est important de continuer et de ne pas se laisser abattre." Le meilleur moyen de ne pas sentir la douleur, c'est de continuer sans jamais se poser. Réfléchir à ce qui nous rend triste, c'est le meilleur moyen de l'être encore plus. Voilà pourquoi je n'arrête jamais et ne baisse pas les bras. Ce serait le meilleur moyen pour que je me rappelle mes échecs. Déjà que je ne suis pas doué pour tourner la page, autant éviter dans rajouter. Elle enlève sa robe pour rester en maillot et je me fais la réflexion qu'elle est jolie Céleste. Dans le genre jolie mignonne. "Si je sais. Mais pas très bien. J'ai toujours été plus parquet de salles de danse que carrelage de piscine." Ce n'est même pas un mensonge pour le coup. Les seuls cours de natation que j'ai pris, c'était ceux donné par l'école. Et j'étais loin d'être bon. Autant dire qu'avec ça, je suis loin de maîtriser autre chose que la brasse du petit chien presque noyé.

Il y a toujours des jours sans et des jours avec mais j’essaie de ne pas me laisser abattre par tout ça car je lui ai promis de vivre. Je regarde Dae avant de lui sourire car je sais de quoi il parle et j’aimerai qu’on arrête de parler de moi, des attentats, dans les couloirs du campus alors j’espère que ça sera le cas après notre retour du Spring Break. « C’est un combat de tous les jours. » dis-je doucement avant de reprendre la parole. « Tu sais tu peux me poser toutes les questions que tu veux je ne le prendrai pas mal. » Je ne pouvais pas mal le prendre étant donné que cela venait d’un ami et non d’un inconnu. « Je suis partie au Texas pendant 3 semaines pour comprendre sa vie mais surtout pour commencer mon deuil. Je suis revenue 3 jours avant le départ pour le Spring Break et j’ai enfin le coeur plus léger. » lui confiais-je très sincèrement. Je ne pouvais pas être plus honnête avec lui même car je lui avais parlé à coeur ouvert afin qu’il sache réellement ce qu’il s’était passé pour moi et non les rumeurs qu’on pouvait entendre sur moi. Je laissais doucement ce sujet de côté pour parler de la natation mais surtout de l’eau en elle même. « Oui je te comprends je suis comme toi mais l’eau est un élément vraiment important pour le corps et je suis certaine que tu pourrai prendre du plaisir à te baigner. » Peut-être que son mal était plus profond...je n’en savais rien.

« »

"Je sais. Mais il y a des questions qui ne se posent pas. Ça ne se fait pas. Et je n'ai pas envie de te rappeler de mauvais souvenirs en étant indiscret." Il y a des choses dont je ne parle pas et dont je n'ai pas envie que les autres parlent. Je suppose que c'est pareil pour elle. Alors je respecte le fait qu'elle n'a peut-être pas envie d'étaler sa vie à la vue de tous. Si elle veut parler, je serais là pour écouter. Sinon, je ne vais pas la forcer à me raconter ce qu'elle préférerait garder pour elle. "Oui parfois partir ça fait du bien. C'est bien si tu as réussit à trouver la paix." Faudrait qu'elle m'explique comment elle a fait. Parce qu'un deuil, c'est bien plus difficile à gérer que des moqueries incessantes. Pourtant, je n'ai toujours pas trouvé la paix moi. Peut-être qu'elle est juste plus douée que moi pour avancer et tourner la page. Ou qu'elle n'a rien à se reprocher. C'était tout ce qu'elle avait à faire. Avancer après le décès de son copain. "Il n'y a pas que ça." Je soupire légèrement. Ce serait tellement plus simple si j'avais juste peur de l'eau."C'est le regard des autres qui m'effraye." C'est là le vrai fond de mon problème. La peur du jugement des autres, le manque de confiance en moi qui a fini par me conduire à Harvard au lieu de continuer dans la voix qui me fait vraiment envie. Cette peur du jugement qui m'amenait à douter de moi bien trop souvent, a ne pas m'exposer en maillot de bain pour ne pas entendre les rires qui avaient pourri mon enfance. Je secoue la tête. J'ai pas envie d'en parler. Je ne serais pas vraiment comment m'expliquer. Alors je change radicalement de sujet. "Alors, t'as réfléchit ? Tu ne veux toujours pas intégrer le club de danse ?"

« Tu sais j’entends tellement de choses quand je passe dans les couloirs du campus que je préfère quand mes proches me les posent. C’est toujours difficile d’en parler mais maintenant je veux le faire avec le sourire car malgré le manque je suis heureuse de tout ce qu’on a vécu ensemble. » Oui je faisais référence à lui et c’était également sur ça que j’avais essayé de travailler durant mon road trip au Texas. « Je suis contente d’avoir réussi à le faire oui. Et toi comment tu vas depuis les attentats ? » En réalité je ne savais pas si il avait été sur l’un des sites frappés par les terroristes et j’avais loupé de tact en lui posant la question. C’était moi tout craché mais j’espérais ne pas l’avoir blessé si j’avais touché un point sensible.
Sans forcément le chercher nous sommes dans un moment de confidences et le fait qu’il se confie à moi me touche car je ne m’attendais pas à ce qu’il le fasse. Je lui souris avant de hausser les épaules. « Le regard des autres sur quoi Dae ? » lui demandais-je avant de reprendre. « Tu sais à Hawaï je n’ai pas l’impression de voir autant de regards qu’à Boston i même autant de jugement. Ici tout est plus facile..du moins pour moi. » Je passais du temps avec un garçon et je savais que si je le faisais à Boston tout le monde allait parler et j’appréhendais déjà de rentrer à cause de ça. Je le regarde en coin lorsqu’il change de sujet et je secoue délicatement la tête. « Je n’ai pas encore réellement eu le temps de réfléchir mais je ne sais toujours pas si je suis prête à le faire ni même si j’ai le niveau. » J’avais appris seule et devoir danser devant les autres me paralysais totalement.

« »

Elle me fait remarquer qu'elle en attendu des choses dans les couloirs. Je comprends. Parce que je suis sur que je n'ai pas entendu la moitié des rumeurs qui doivent circuler sur elle depuis la mort de Floyd. Alors c'est sur qu'elle doit préférer qu'on vienne lui parler directement plutôt que de se fier à ce qu'on entend. Mais je reste persuadé que toutes les questions ne sont pas bonnes à poser. "C'est le plus important non ? Que tu ne regrette rien de votre histoire et que tu continue d'avancer en pensant à lui mais sans oublier de vivre. C'est bien." Elle me demande comment je vais depuis les attentats. Comme toujours hein. Je n'étais pas là ce jour-là, j'ai échappé à l'horreur. "Ça va. J'étais à New York quand c'est arrivé. J'ai appris la nouvelle après coup, à la télé." J'ai été veinard sur le coup, très veinard. Je décalais mon séjour à New York d'une semaine et j'étais en plein dedans. Quoique aucun des évènements ce jour-là ne me donnaient vraiment envie. J'aurais sûrement passé mon après-midi chez moi, échappant dans tous les cas à ces attentats. "Sur moi. Parce que je ne suis pas parfait. C'est ce qu'ils disent tous depuis le début." Je revois encore le gars du casting me dire que je n'ai pas le physique adéquate. Je revois les gamins se moquer de moi. Ouais, j'ai toujours pas tourné la page, j'y arrive pas. "Être ailleurs ne rend pas les choses plus faciles. C'est juste toi qui a moins peur de ce que les gens pensent. Tu pourras te sentir exactement pareil à Harvard si tu veux." Genre c'est moi qui donne des conseils. Que je ne suis même pas fichu d'appliquer moi-même. Mais bon, la phrase c'est fait ce que je dis, pas ce que je fais. Ça s'applique aussi ici visiblement. "Dis pas n'importe quoi, bien sur que tu as le niveau. Puis c'est l'occasion d'apprendre de nouvelles choses, de découvrir de nouvelles personnes. Tu devrais tenter l'aventure tu sais. Et si ça te plaît pas, rien ne t'empêche d'arrêter après."

Dae semblait comprendre ce que je disais et cela me faisait du bien de ne pas devoir me justifier à chaque fois que je parle de ce que j’ai vécu. Je lui souris tendrement tout en reprenant la parole. « C’est le plus important mais ce n’est pas le plus facile à faire ni même à accepter. » J’avais lui avais fais une promesse lorsque j’étais à Alma et je devais la tenir tant bien que mal. Les attentats avaient marqué tout le monde et j’espérais pouvoir passer au dessus de ceci un jour mais je n’étais pas certaine de pouvoir le faire car c’était trop important dans une vie...dans ma vie. Ce jour là m’avait marqué à tout jamais. « Tu as une bonne étoile sur la tête. » C’était définitivement le cas car j’aurai aimé être à sa place, loin de Boston mais surtout de ce discours tant attendu par les habitants. Je secouais la tête pour ne plus penser à toute cette histoire car je n’avais pas envie de gâcher notre après-midi.

Je le regardais alors qu’il semblait réellement mal à l’aise à la piscine et je ne comprenais pas pourquoi il avait autant de complexes. « Personne n’est parfait Dae et il ne faut pas écouter ce que disent les autres même si ce n’est pas facile. » lui confiais-je avant de reprendre. « Tu sais on me dit toujours que je suis blanche de peau et que je suis mince mais je me fiche royalement de ce qu’on pense de mon physique. » Je détestais qu’on parle sur moi mais quand on parlait de mon physique je laissais faire car cela ne m’atteignais absolument pas. « Tu devrais te lâcher ici sans te poser de questions..» Puis je l’écoutais lorsqu’il me réconfortait et je lui souriais une énième fois. « Il va falloir que je continue de travailler sur moi-même à Boston. » C’était dans mes plans et je n’allais pas lâcher en si bon chemin car tout allait mieux dans ma vie depuis quelques semaines. « Je n’ai jamais dansé devant autant de personne et je ne sais pas si j’ai envie d’être jugé sur tous mes pas...» ajoutais-je d’une petite voix. J’avais dansé devant 3 à 4 personnes uniquement et jamais ensemble, le regard des autres sur ma passion était difficile. Je l’admet.

« »