ϟ Night Pursuit Race

J'avais eu envie de courir ce soir. De grimper sur les bâtiments, de sauter, m'accrocher, bref, faire ce que je faisais le mieux une fois la nuit tombée. Pas d'entraînement pour Efrain, je voulais me retrouver seul. Bonnet sur la tête, comme d'habitude, ça m'évitait de me faire reconnaître, parfois, une veste assez légère sur les épaules et un sac fin dans lequel je pouvais mettre quelques affaires et voilà que, alors que le soleil se mettait à tomber, je me dirigeais vers les rues de Boston afin d'entamer ma petite aventure nocturne. J'arriverais à m'endormir plus facilement après ça. Mes insomnies s'intensifiaient ces derniers temps et le voyage à Hawaï qui allait arriver pourrait sûrement me permettre de me ressourcer un peu, comme pour le Mexique. Ça restait à voir mais avec Céleste qui venait, ça pourrait nous permettre de nous changer les idées, encore plus. Grimpant sur un bâtiment, j'arrivais sur le toit, observant les environs. Soudain, au loin, une silhouette d'un type. Ok, c'était pas super commun de croiser des gens. Du coup je le saluais de la main, on était solidaire dans ce milieu. Il partit en courant. Et sans vraiment savoir pourquoi, j'avais envie de le suivre, pour le saluer en personne, savoir de qui il s'agissait. Voilà que je pouvais courir assez librement, sans que je ne sache s'il m'avait vraiment remarqué, dans tous les cas il ne s'arrêtait pas.
 
 

Ce soir, les températures sont plutôt agréables. Pas très frileux, je suis dehors simplement en t-shirt - plus jogging et baskets, of course. Rectification, c'est plutôt parce que je ne fais que courir depuis tout à l'heure que j'ai chaud. Si j'suis sorti, c'est pour m'aérer la tête, et quoi de mieux qu'un peu de parkour ? Certains aiment faire un petit footing pour se détendre, moi j'ai besoin de me défouler autrement. J'ai besoin de sauter, de tourner, de voler. Tout à la fois. Il me faut cette adrénaline. Celle que je ressens quand je suis sur le point de prendre mon envol. La réception n'est pas toujours sûre, mais c'est ça qui donne du peps à ce sport. On calcule notre coup, mais on ne sait jamais vraiment si on va atterrir sur le toit ou si on va finir dans le vide. Avec de l'entraînement, le risque de chuter est beaucoup moins important, mais évidemment toujours aussi présent. Personnellement, je ne me verrais définitivement pas vivre sans ce genre de sensations fortes. C'est ce qui me fait exister. Alors voilà, ce soir j'me retrouve à courir sur les toits. Un masque noir pour cacher juste le bas de mon visage pour ne pas que quelqu'un me reconnaisse et un sac à dos avec quelques bricoles à manger, quelques affaires de rechange au cas où et d'autres affaires personnelles en tout genre, et le tour était joué. J'ai tenté de pas mettre beaucoup d'affaires dedans, histoire que le poids ne m'emporte pas dans les figures. Au détour d'une rue grouillante de monde, je m'arrête un instant afin de pouvoir apprécier la beauté du moment depuis le haut d'l'immeuble où j'suis posé. Si j'avais ma GoPro, j'me serais fait un plaisir de tout filmer pour mes abonnés, mais cette nuit je voulais avoir une soirée rien qu'à moi. Puis, en tournant légèrement la tête, je remarque un mec qui me salue de la main. De loin, je ne distingue pas très bien son visage et il me fait penser à quelqu'un que je connais, bizarrement. J'veux en être sûr, mais j'ai quand même envie de jouer pour voir s'il va me suivre. Je prends donc la fuite, jetant un rapide coup d’œil derrière moi pour savoir s'il suit mes pas. Et, effectivement, il se met à ma poursuite. Sourire caché, je suis fier d'avoir réussi à me faire poursuivre. Le vent dans le visage, je cours sans m'arrêter, enchainant figures et cascades à chaque obstacle. En plus d'être un jeu pour moi, ça me permet aussi de m'entraîner. Si j'veux devenir cascadeur, faut bien que j'en passe par là. Essayant de mettre de la distance entre mon poursuivant et moi, je tourne rapidement à l'angle d'un toit et me planque derrière une antenne parabolique. Je le vois freiner petit à petit, m'ayant perdu de vue, avant de s'arrêter net. Il me cherche du regard, et ce n'est que quand il se tourne vers moi que je le reconnais enfin. Il ne m'a pas vu, mais moi oui, et j'arrive enfin à mettre un prénom sur sa tête. Morgan. C'est Morgan. Je l'ai rencontré vite fait quand une projection du mini-film dans lequel j'ai joué a été projeté dans le cinéma où il bosse comme caissier. C'est plutôt drôle de le revoir de cette façon, je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il fasse du parkour comme moi. Décidé à finalement me présenter, je m'avance vers lui alors qu'il a le dos tourné. J'me plante derrière lui et lance un « Salut mec ! » tout à fait banal. Je crois que je lui ai fait un peu peur parce qu'il a sursauté. Heureusement que c'est pas un sanguin de haut niveau comme moi, parce qu'à sa place j'me serais mis une patate par réflexe. Mais il me reconnait pas sur le moment, et je lui fais remarquer. « Bah alors, tu m'remets pas ? » J'rigole et décroche mon masque pour l'enlever en totalité. « Et là, ça y est ? demandai-je avec le sourire. » En tout cas, j'suis aussi choqué que content de savoir que lui aussi fait du parkour, ça nous fait un point commun de plus après le cinéma.

ϟ Night Pursuit Race

Je cours comme un abruti à la poursuite de ce type, ça peut faire gros psychopathe mais je suppose que c'est aussi ça l'esprit du parkour, savoir se défier les uns et les autres. Je sais même pas s'il m'a vraiment remarqué mais c'est drôle et au moins ça me permet de vraiment courir, d'avoir un objectif à atteindre. J'ai pas des grandes jambes, ça m'a déjà handicapé pour quelques trucs, alors même si je cours vite et que je suis furtif c'est pas pour autant que j'arrive à le rattraper. Malgré tout, ça me permet de faire quelques figures, quelques sauts, de me faire ressentir cette sensation de liberté, celle de rouler sur le monde même, d'être un peu seul, là-haut. J'aime beaucoup trop ça. Le parkour, c'est comme ma drogue, je peux pas passer une semaine sans monter sur un toit pour faire quelques trucs. Et quand je croise quelqu'un, c'est encore mieux, ça permet d'échanger, sauf quand le type te faisait tourner pendant trente ans. Je me demande où il va, j'arrive même pas à le voir vraiment puisque la nuit est tombée maintenant, que j'ai juste aperçu sa silhouette. À un moment, je perds sa trace, je me sens un peu con alors je tourne sur moi-même en pensant qu'il est peut-être là, quelque part. J'hausse les épaules, seul. Ouais, il voulait peut-être pas être suivi et il s'est juste barré parce qu'il avait mieux à faire. Au moins j'aurais pu m'entraîner un peu. Quand j'entends une voix, je sursaute comme un con, bordel je déteste quand les gens font ça. Je me retourne et tombe sur ce type, le même que j'ai suivi, un masque sur la bouche. Je fronce légèrement les sourcils. «Fait pas ça, j'ai flippé.» m'en fout d'être excessif, je suis une grosse flipette et c'est pas nouveau. Je le regarde de haut en bas, je le juge pas hein, juste que ça me stresse les gens qui ont des masques, même si je comprends le concept. Un bonnet me suffit. «Quoi ?» j'suis censé le reconnaître ? Je croise les bras et plisse légèrement les yeux. Je secoue finalement la tête. Il enlève son masque. «Merde... El... ? Elios ?» ouais on s'était déjà croisés. «Désolé le masque aide pas. Qu'est-ce tu fous là ? Sur les toits ?» je savais pas qu'il faisait du parkour. En même temps on n'a jamais eu le temps d'énormément parler à part au cinéma quand on s'était rencontrés. «J'savais pas que t'aimais monter.»