Cinq jours. Cinq jours que je suis sortie de l’hôpital et que ma mère me suit à la trace. Encore pire que quand j'étais enfant. Encore pire qu'une surveillance rapprochée par des gardes du corps. C'était le pot de colle comme jamais vu auparavant. Je n'en peux plus. Parce que j'ai plus trois ans et que je sais encore me débrouiller toute seule. Je sais quand-même écouter les recommandations du médecin tout de seule comme une grande. Je n'ai pas besoin qu'elle me rappelle tout constamment. Alors pour la troisième fois cette semaine, je m'éclipse discrètement pendant qu'elle est occupée. Au téléphone avec mon père. Elle en a pour au moins une heure. Voir plus les connaissant. J'ai tout le loisir d'aller faire un petit tour tranquillement. Où, je n'en sais encore rien. Peut-être le magasin de comics pour renouveler mon stock. Quitte à être coincée à la maison, autant que ce soit avec de quoi s'occuper. Ou alors aller manger un morceau quelque part. Un bon italien tient. C'est une bonne idée ça l'italien. J'ai droit aux pates normalement et on ne m'a rien dit sur la pizza donc autant en profiter. Parce que ce soir, je suis presque sure d'avoir droit à de la viande bouillie et des légumes vapeurs. Comme si j'avais besoin de me préparer à mes repas liquides qui ne tarderont pas à faire leur apparition. Je descends les deux étages de l’hôtel ou je suis séquestrée (parce que oui, on en est là). Je sorts dans le hall et vais me poster au rebord du trottoir, prête à bondir à l'apparition du premier taxi. Ce qui me laisse du temps pour me décider entre la bouffe et les comics. J'aurais tendance à choisir ce qui laisse le moins de preuves par la suite. Du coup la bouffe. Mais quitte à sortir en douce, autant en profiter un max non ? Si j'ai un taxi suffisamment rapidement, je peux peut-être tenter de faire les deux. Combo gagnant pour une journée au top. Justement, voilà un taxi qui arrive. Je lui fait de grands signes pour qu'il me remarque, beaucoup trop shootée aux anti-douleurs pour avoir mal quand je m'agite. Le taxi s'arrête et je n'ai plus qu'à monter dedans.

C'est une ambiance lourde qui régne encore sur Boston. Un climat de peur auquel je suis peu habitué et qui rend autrui encore plus paranoïaques qu'ils ne le sont. Le rêve américain n'a jamais si mal porté son nom. Je me sais particulièrement chanceux ne pas avoir été la cible de ce malheur mais le sentiment de culpabilité est lui très palpable. Difficile de porter ce poids que d'être un rescapé, quand bien même je suis habitué à avoir une bonne étoile au dessus de ma tête. Mon côté altruiste apprécie très peu que je puisse être mieux placé qu'autrui. Voilà pourquoi je ne cesse d'offrir mon aide sans jamais rien demandé en retour. J'ai déjà beaucoup trop dans ma vie. Les gens sont en général choqués de voir la bonté qui se cache derrière mon masque de fer. La célébrité qui a renforcé mes deux visages. Il vaut mieux avoir une solide armure pour vivre dans l'industrie musicale. Cette muraille a en général tendance à rebuter les gens mais pas besoin d'être entouré par des centaines de gens pour être heureux. Etre adulé par des milliers ne m'a hélas pas apporté le bonheur. La solitude me convient très bien, ainsi je suis libre de mes mouvements, aucune contrainte. Vivre ma vie comme je l'entend. Et si comme aujourd'hui, j'ai envie de me balader sans avoir aucun objectif en vie, alors je le fait. Mes pupilles décortiquent l'environnement autour de moi, les feuilles des arbres qui volent au vent, les voitures qui ralentissent au dernier instant, les pas des habitants du quartier. Face à moi, des bras élancés qui s'agitent vers un taxi. Visiblement bien pressée. Mon regard s'attarde sur toi et à ta vue je pousse d'abord un long soupir. Je fourre mes mains dans mes poches et passent derrière toi. Par chance tu ne m'as pas vu. Un peu surpris, je tourne la tête, admire ta silhouette qui trépigne d'impatience à l'idée de monter dans cette voiture. Coup d'oeil au conducteur et mon regard se fait soucieux. Sa tête ne me dit rien qui vaille mais visiblement ça ne semble pas te déranger plus que ça. Soit tu n'es pas prudente ? Soit tu es tête en l'air ? Je pencherai pour la deuxième option. Alors avant que tu ne fasses une terrible erreur, j'empoigne ta main et te tire vers moi - sans ménagement je dois l'avouer - " Je te déconseille de monter dans ce taxi. " que je dis en marchant pour t'entrainer un peu plus loin. Je sens que mon geste ne m'apportera pas grand chose de bon mais tant pis je prends le risque. Vaut mieux me faire frapper plutôt que de te laisser entre les griffes d'un possible prédateur.

Je me repasse mon programme dans ma tête, ainsi que les adresses exactes des endroits où je veux aller. Maintenant, tout est une question de rapidité. Plus vite je serais loin, plus je pourrais profiter de mon après-midi. Parce que c'est clairement la seule chose que je veux, profiter d'un après-midi tranquille, sans ma surveillante attitrée qui me suis à la trace. Je pourrais lui dire qu'elle m'énerve à force. Mais je ne peux pas, parce que c'est ma mère et qu'elle a fait le déplacement depuis l'Angleterre juste pour moi. Alors je me contente de filer à l'anglaise en lui faisant croire après coup que j'étais juste aller voir un ami. Ce qui n'arrive presque jamais en fait. Je m'apprête à monter dans le taxi qui vient d'arriver devant moi et lui donner l'adresse de mon magasin de comics préférés quand je suis arrêté dans mon élan  par une main qui me tire vers l'arrière. Je suis prête à parier que c'est ma mère. J'ai du être moins discrète que prévu en sortant de la chambre. Ou alors la conversation avec mon père a duré moins longtemps que prévu. Beaucoup moins longtemps que prévu. C'est quand-même la poisse ça. Pourquoi aujourd'hui en particulier elle décide de ne pas exploser son forfait gsm ? Pourquoi pile quand je décide de m'échapper quelques heurs, elle m'en empêche ? "J'allais pas loin promis." Je parle presque en même temps qu'une voix qui n'est décidément pas celle de ma mère. Qu'est-ce qu'il fait là lui ? Je suis presque sure qu'il ne m'apprécie pas. Ou qu'il me trouve casse-pied. Voir un mix des deux. "Qu'est-ce que tu fou ?" Il avance un peu, m'éloignant de mon précieux taxi que je finis par voir partir. Et merde. Moi j'y tenais à mon après-midi. Je me dégage d'un mouvement brusque de la main de Jung qui m’entraîne toujours dans le sens opposé à celui où je voulais aller, manquant au passage de tomber et de me casser la figure sur le trottoir. Fichus anti-douleurs qui me rendent stone. Je ne suis même plus capable de marcher droit. "Qu'est-ce qu'il t'a prit ? J'en avais besoin de ce taxi. Je compte pas aller jusqu'au centre ville à pied !" J'attends une justification. Qui a intérêt d'être géniale. Parce que merde quoi. Mon taxi, mes comics et mes pâtes. C'est importantissime.

J'erre, je profite de cette liberté que je me suis offerte, enfin libéré de mes chaines, enfin la possibilité d'être moi même et pourtant toujours le même regard sur moi. J'intrigue je sais. Les gens doivent vraiment se demander ce que je fous là. Un ovni parmi les humains. C'est ce qu'on dit parce qu'on ne cherche pas vraiment à me comprendre, à aller plus loin que l'image que je reflète. Je cache mon humanité derrière un masque de fer et c'est bien mieux ainsi, ça évite pas mal d'embrouilles. Mais chasser le naturel et il revient au galop. N'importe qui t'aurais laissé monter dans ce taxi mais t'as de la chance que je ne sois pas comme autrui, que malgré les apparences, je prends soin des autres, sans doute plus que moi même. Ta phrase me fait sourire. Tu as visiblement quelque chose à te reprocher. Qu'est ce que tu fuis ? Toi même ? Ta vie ? Tes peurs ? Je n'en sais rien. Du moins pour le moment. Malheureusement pour toi, j'aime bien creuser chez les gens, même si ma présence semble te poser problème lorsque tu réalises enfin que je suis celui qui vient de te faire manquer ton taxi." Je t'évite d'avoir des regrets. " Phrase subtile pour te faire comprendre que t'étais sur le point de faire une connerie. T'es énervée et je crois que si tu pouvais me lancer des éclairs grace à tes yeux tu le ferais sans hésiter. Mais tu sais quoi je m'en fiche que tu me détestes tant que je dormirai avec la conscience tranquille qu'il ne te soit rien arrivé aujourd'hui. Tu finis par te libérer de mon emprise assez pénible et difficilement." Non c'est sûr que si tu marches comme ça, tu ne risques pas d'arriver au centre ville. " Alors déjà qu'est ce que tu fais dehors alors que tu sembles avoir besoin de repos ? " Tu l'as vu la tête du chauffeur du taxi ? Tu allais directement te jetter dans la gueule du loup. Et après ? Je pense pas qu'il t'aurait conduit là où tu l'aurais souhaité. " Tu peux m'appeler moralisateur. Je m'en fous. Me reprocher de me mêler de ce qui ne me regarde pas, je m'en fous aussi." On peut très bien prendre le bus ou le métro. " Oui "on", je crois que j'ai tout intérêt à m'assurer de ton lieu de destination.

Je pense déjà que ma mère vient me récupérer, que mon escapade tourne cours. Pourtant, j'ai vraiment besoin de ce moment loin de cette surveillance, des médecins et de tout en fait. Juste faire des choses normales au moment où j'en ai envie. Mais je suis arrêtée dans mon élan par Jung qui m'empêche de monter dans le taxi qui venait de s'arrêter juste pour moi. "Avoir des regrets ? Qu'est-ce que tu veux que j'ai des regrets pour avoir prit un taxi pour fausser compagnie à ma mère ? Au contraire, je vais regretter de ne pas être monté dedans." Peut-être qu'il s'imagine que je m'apprêtais à faire une connerie. Mais je sais parfaitement bien ce que je fais. Ok, j'aurais pu demander l'autorisation pour sortir mais jusqu'à preuve du contraire, je suis une adulte responsable. Je sais encore me débrouiller toute seule. Même en étant sous médocs. Je lui en veux dès que je vois le taxi partir. Adieu le centre ville, adieu les pâtes et les comics. Je suis bonne pour retourner dans ma chambre, attendre que ma mère ait envie de sortir pour aller au café d'en face boire un thé qu'on trouvera toutes les deux insipides et boire un bol de soupe parce qu'elle est pas capable de comprendre que j'ai droit aux aliments solides. "Je t'ai pas demandé ton avis." Il a raison pourtant. Je ne risque pas d'arriver jusqu'au centre ville à pied. Déjà en temps normal, je ne sais même pas si je serais capable de faire le trajet jusque là. Je suis pas une bonne marcheuse, c'est quelque chose qui m'énerve rapidement. Mais alors là, c'est sur que je n'y arriverai jamais. Pourtant, je me mets à avancer vers le centre ville. Idée de merde, très certainement. "Bah non, j'ai pas vu sa tête. Elle avait quoi ?" Simple curiosité parce qu'il aurait pu ressembler à Quasimodo que je serais montée quand-même. "Au cas où tu l'aurais pas remarqué, je suis une adulte et je sais me défendre. C'est pas un chauffeur de taxi qui va me faire peur." Parce que bien sur, je suis totalement en état de me défendre face à quelqu'un qui me voudrait du mal. C'est ultra flagrant. C'est pas comme si j'avais manqué de m'étaler sur le trottoir quelques minutes plus tôt. Ouais bon en fait, peut-être qu'il a bien fait de m'empêcher de monter dans ce taxi. Peut-être. "J'ai jamais pris le bus. Ni le métro. Je sais pas par où il faut aller." Elle est bien sympa son idée de transport en commun mais moi, je ne connais pas du tout le plan du réseau. Alors il a intérêt à savoir où il va, vu que monsieur a décidé de s'incruster.

Il est clair que je me mêle de ce ne qui ne me regarde pas mais c'est plus fort que moi de voler à ton secours et ce malgré ton sale caractère. Je ris jaune à ton comportement que je ne reconnais pas. D'ordinaire tu es bien ravie de me voir mais ce n'est pas le cas à cet instant. D'après tes dires, j'ai ruiné tes plans d'évasion. Certes mais mieux vaut un regret comme celui-ci plutôt que de vivre une agression qui semblait tellement évidente. Peut être que je me trompe, que ce gars n'avait pas les idées mal placées mais j'ai préféré suivre mon instinct et bon vieux adage "mieux vaut prévenir que guérir". Tu es tellement paumé et ne te rend même pas compte, il serait dangereux de te laisser parcourir la ville sans protection." Dommage pour toi, j'aime bien agir par moi même. " J'agis par intuition et non sur le conseil des autres. Maitre de mes propres décisions. Je lève les yeux au ciel lorsque tu me confirmes ce que je savais déjà, à savoir ton imprudence." La tête d'un homme avec qui il ne vaut mieux pas être seule. " Je ne vais quand même pas te faire un dessin de ce qui pourrait se passer dans ce taxi quoique tu planes tellement qu'il serait peut être nécessaire de te rappeler les règles élémentaires." Bien sûr je te crois. Tu l'aurais mis ko c'est évident. " Je crois qu'il vaut mieux rire de tes propos. Ca t'évitera peut être de te braquer encore plus. Si je veux accomplir ma mission de sauvetage, j'ai besoin que tu me fasses confiance. Je suis surpris de t'entendre dire que tu n'y connais rien en transport en commun. Madame vit-elle une vie de princesse pour se payer les services d'un chauffeur ? Un sourire espiègle se dessine sur mes lèvres." Il y a un début à tout et promis je ne nous fera pas perdre. " Tu peux compter sur moi et mon sens de l'orientation. Pourtant peu adepte des contacts physiques, je me permets d'attraper doucement ta main." Du coup, où est ce que tu comptais fuir ? " Pas à l'autre bout du pays, quand même ?

Clairement son intervention m'énerve. C'est sûrement la première fois que sa présence ne me fait pas plaisir. D'habitude, je suis plutôt du genre à l'emmerder un peu trop. Mais là, j'avais tout un plan de prévu, un superbe après-midi en perspective,  qui passait juste par prendre ce fichu taxi dans lequel il ne m'a pas laissé monté. Pour une raison très certainement fumeuse. Je ne risque pas grand chose dans un taxi non de dieu. Ce n'est pas comme si c'était la première fois que j'en prenais un en plus. J'envisage un instant de me la jouer grosse gamine, de lui tirer la langue et de faire du stop pour monter dans la première voiture prête à s'arrêter. Juste pour lui prouver que quoi qu'il en dise, je ne risque rien. Je hausse les sourcils quand il prétend que le chauffeur avait la tête de celui avec qui ne pas se retrouver seule. "S'il faut que j'évite tous les gars louchent, je sors plus de chez moi. On est à Boston." Ville où les gars louchent étaient présents un peu partout. Comme dans toutes les grandes villes. Et je n'avais jamais eu le moindre problème depuis mon arrivée. C'est pas aujourd'hui que ça allait commencer. Le fait que je ne sois pas dans mon état normal n'est qu'un détail négligeable. "Évidemment que je l'aurais mis ko. Ça ce voit non ?" Je le sens bien qu'il est en train de se foutre de moi. C'est sur que je n'ai pas l'air d'être particulièrement dangereuse comme ça mais je suis sure que j'aurais réussi à le mettre ko. Très certainement sans faire exprès et en me cassant la figure mais ça aurait fini par passer. J'ai vu suffisamment de marvel pour voir comment il faut se battre. Je lui avoue que je n'ai jamais pris les transports en commun. Parce que je me suis dépêchée de passer mon permis pour être tranquille et qu'avant de l'avoir, j'emmerdais mon frère pour qu'il me dépose partout. Alors je suis presque sûre de me perdre. Pas presque en fait. Totalement sûre. "Tu connais le réseau de bus et de métro ?" J'essaye de l'imaginer prendre le métro mais je n'y arrive pas. Il n'est peut-être pas la plus grande star du moment à Boston mais quand-même. C'est un coup à se faire emmerder toutes les deux secondes. "Manger des pâtes. Et aller acheter une pile de comics pour rester dans mon canapé à les lires pendant les trois prochains jours."

Que d'inconscience de ta part. Qu'est ce que tu aurais fait si je ne m'étais pas trouvé sur ton chemin. Tu te serais jeté dans la gueule de loup et tu n'aurais eu que tes yeux pour pleurer. T'as beau être un peu trop collante à mon goût, jamais je ne te souhaiterais de vivre quelconque mal. Personne ne mérite de subir quelconque violence qui soit. La vie est précieuse mais peut vite être gâché. Ce qui m'inquiète c'est que tu ne sembles pas tellement t'en soucier. Enfin je soupconne des substances pas très légales, être à l'origine de ce court circuit dans ton cerveau. J'ai l'habitude des personnes aux attitudes bizarres, enfin surtout des filles. J'en ai vu des vertes et des pas mures parmi les fans. Bon t'es loin de leur ressembler mais autant dire que dans un sens tu m'en fait voir de toutes les couleurs." Là tu vois un peu le mal partout. " Je comprends ce malaise, cette peur qui s'est installée depuis l'attentat mais est ce que ce n'est pas trop se brider que de voir l'insécurité partout." Si t'es si douée que ça, tu me donneras des cours de kung-fu. " Oui je préfère en rire plutôt que de brider une fois de plus. Je ne suis pas là pour t'enfoncer encore plus mais bel et bien pour te relever étant donné que tes ailes ne te portent plus." Bien sûr, j'utilise principalement les transports en commun depuis que je suis ici. " Bien plus pratique, plus économique et plus écologique. Mais je conçois que les transports en commun pour une fille ce n'est pas forcément rassurant. Enfin surtout dans ce pays. A Seoul, c'est loin d'être aussi flippant." Tu me fais confiance ? On arrivera sain et sauf à ton restaurant de pâtes. Enfin si tu veux bien me donner une adresse. " Parce que je ne suis pas devin, du moins pas encore. D'un signe de tête, je te montre la direction vers le métro. Je pourrais te tenir la main mais j'ai peur que tu te braques, que tu vois ce contact comme un contact de trop." Enfin je suppose que tu veux aller manger des pâtes chez un italien donc direction north end. " Et une fois dans les couloirs du métro, je trouve facilement la ligne menant au dit quartier." Par contre t'as pas une tête à lire des comics. " Autant dire qu'aujourd'hui n’est que surprise venant de toi.