Aujourd'hui, avec l'aide de la folie de mon frère, je réalisais mon défi de bizutage pour la Lowell House. Je devais donc venter mes talents d'artiste et après m'être creusé la tête pendant des heures, je me suis dit qu'il pourrait être sympa de me promener avec une pancarte "follow = hug". Et oui, si une personne voulait un câlin avec la jolie blonde que j'étais, il allait devoir me follow sur instagram et attention, il faudra que la personne le fasse sous mes yeux et like même quelques photos histoire de montrer un minimum d’intérêt. Pendant ce temps, je ne manquerais pas de me venter et de dire à quel point j'étais une photographe hors du commun. Bon plan, non ? C'est donc avec un sourire immense sur les lèvres que je me pointais à l'une des entrées de l'université, pancarte en main. N'hésitez pas les gars et les girls, mes bras sont grands ouverts.

#rplibre

J'ai quitté l'université l'année dernière et pourtant, j'ai l'impression que j'y reviens beaucoup trop souvent. Car même si je n'ai plus cours ici, l'hôpital de Boston où je suis interne en pédiatrie est en partenariat avec Harvard. Du coup, je dois parfois venir ici pour de la paperasse et en plus de ça, j'ai accès à la bibliothèque : un sacré plus quand on est en train d'écrire sa thèse de fin d'étude ! J'ai donc passé mon après-midi libre à la bibliothèque à travailler sur cette thèse sur laquelle je suis depuis le début de l'année scolaire. Je pense avoir encore besoin de plusieurs mois pour la terminer mais une fois finie : je pourrai enfin exercer mon métier de pédiatre ! Une chose est certaine, j'ai hâte d'en avoir fini, surtout avec deux petits bouts à la maison qui me prennent beaucoup trop de temps. La tête encore dans mon devoir, je sors du bâtiment principal tout en cherchant mon téléphone dans ma poche. Sans faire attention, le regard perdu sur le sol, je heurte quelque chose.. enfin, quelqu'un. Une jeune femme avec une pancarte - que j'ai fait tomber, bien sûr - avec écrit "follow = hug". « Je suis désolé ! », que je lance en me baissant pour ramasser la pancarte. Je lis ce qu'il est écrit dessus et je ris un peu, « Ah.. bizutage, non ? » Je suis passé par là, je sais ce que c'est et je mettrais ma main à couper qu'elle est bizut dans une des maisons d'Harvard.

J'vous jure, quelle idée à la con j'avais eu encore. Je ne me souvenais même plus de l'intitulé de mon défi. Ah si... Je devais parler de mon travail artistique, le montrer un peu, me promouvoir même. Dans le fond, ce n'était pas une si mauvaise idée à mettre en œuvre, c'est juste que je ne m'y prenais peut-être pas de la meilleure des manières. Reprendre le système des free hugs pour attirer du monde, sur le coup, ça me semblait intelligent, mais en réalité, pas tant que ça. Personne ne faisait attention à moi, à tel point que je comprenais que j'étais complètement démodée avec ma pancarte. Je faisais honte peut-être même ? Qui faisait encore des free hugs en 2019 ? Personne. Et je déchantais totalement quand un type me percuta de plein fouet, faisant tomber ma pancarte au sol et réveillant ma blessure à la cuisse. Une grimasse passa sur mon visage, mais je me reprenais tout aussi vite pour ne pas l'inquiéter (ou paraitre plus étrange que je ne l'étais déjà). « Je suis désolé ! » - « C'est rien » que je m'empressais de dire en reprenant mes affaires. « Ah.. bizutage, non ? » - « Exactement, pour la Lowell ! Qui ferait ce genre de chose de lui même ? » aha. Un petit rire nerveux sort tout seul. C'est vrai que c'était quand même mon idée à la con, mais il n'était pas obligé de le savoir. « Tu as instagram ? » J'étais pleine d'espoir, je n'oubliais pas mon objectif premier.

S'il y a bien une chose qui me manque vraiment à Harvard, se sont les maisons. J'ai été à la Mather House et à la Quincy House, et même si la Quincy a été la maison qui m'a le plus convenu à la fin de mes études, j'ai quand même passé de superbes moments à la Mather. C'est comme avoir une grande famille soudée et ça, c'est vraiment cool, surtout quand on est quelqu'un comme quoi qui a perdu ses deux parents une fois arrivé à l'université. La Mather et la Quincy ont été la famille que je n'avais plus. Et si aujourd'hui, j'ai formé ma propre famille, parfois ça me manque tout ça. L'insouciance d'être étudiant. C'est pour ça que quand je rentre dans cette jeune femme de manière totalement involontaire, je m'empresse de m'excuser et je lui demande si c'est un bizutage. Pour en avoir fait trois, je les reconnaîtrais entre mille. « Exactement, pour la Lowell ! Qui ferait ce genre de chose de lui même ? » Je ris un peu et j'hausse les épaules, « Oh tu sais, plus rien ne m'étonne avec cette université. » On a beau être les étudiants de l'université la plus prestigieuse du monde, il y a quand même des trucs louches qui s'y passent. « Tu as instagram ? » Je souris un peu et je me recule pour mieux voir sa pancarte. « Ouais, j'ai Instagram. » J'hausse un sourcil en cherchant mon téléphone dans ma poche, « Mais quel est le rapport entre Instagram, un câlin et la Lowell House ? » J'avoue que je ne comprends pas trop le bizutage. D'habitude, il y a un lien entre la maison dans laquelle on veut entrer et les défis qu'on nous lance.

J'assumais pas mon plan jusqu'au bout, je décourageais complètement, surtout quand un jeune homme me rentrait dedans, faisant tomber ma pancarte au passage. On ne pouvait pas dire que j'avais mis tout mon talent dans cette dernière, loin de là même. Un simple bout de carton, un slogan à peine accrocheur et un smiley qui souriait pour moi. J'avais un argument de poids pour expliquer mon manque d’engouement : les attentats et ma blessure à ma cuisse qui m'handicapait. J'étais tout de même temps, essayer de tirer du positif à tout ça, comme la rencontre qui venait de se produire par exemple. « Oh tu sais, plus rien ne m'étonne avec cette université. » - « C'est vrai... » que je lui répondais en pouffant de rire. Harvard en avait vu de toutes les couleurs. Il s'en passait des choses dans ses couloirs et je me demandais comme l'université arrivait à garder une si bonne réputation. Je ne perdais pas de vue mon objectif, mon bizutage et je réanimais la conversation avec ma question. « Ouais, j'ai Instagram. » C'est un très bon début. Sans ça, tout tombait à l'eau. « Mais quel est le rapport entre Instagram, un câlin et la Lowell House ? » - « Et bien, je te fais un câlin seulement si tu me suis en retour sur Instagram. Je suis photographe, je montre mon travail sur la plateforme. Le câlin, c'est juste pour attirer les gens. » Il comprend mieux ? « Je me fais de la pub par la biais de mon bizutage à la Lowell House » Autant que ce fichu bizutage serve à quelque chose, non ?