J'écoute pas, j'écoute jamais. Les mains dans les poches, le coeur en vrac, les jours rougies par le froid, le regard vitreux. Il est là, juste à côté de moi. A me raconter je ne sais quoi, peut-être qu'il propose d'aller boire un verre. Peut-être qu'il suggère d'aller chez lui. J'en sais rien, t'as payé, tu fais ce que tu veux tant que tu suis les règles, moi j'suis là pour plier, pour attendre que ça passe, pour te vendre des sourires qui seront jamais vrais. Ce soir j'suis fatiguée, je suis lasse. J'vois encore le sang sur les murs de ce bar où j'avais l'habitude d'aller, la pancarte "fermé", les sirènes des flics, des secours, des pompiers, et tous ces corps à évacuer, alors que j'étais à quelques rues à peine, en train de regarder la télé. Puis je sens une main autour de mon poignet, ça s'arrache hors de la poche de ma veste en cuir, pour mieux me retenir en arrière, me forcer à me tourner. Sourcils froncés, je souffle, je râle, je lève les yeux vers ce connard. Parce qu'au fond, ce sont tous des connards pour faire ça, non ? Payer des femmes pour un peu de compagnie, pour un peu de chaleur humaine, pour un sourire qui n'a rien de réel. « Quoi ? » J'ai le ton peut-être plus agressif que je ne l'aurai voulu. On m'a dit de me reposer, de prendre mon temps, de reprendre quand ça irait mieux. Poupée devait rester dans son bar, jusqu'à pouvoir retrouver les nuits noires et les démons nocturnes. Mais je pouvais pas. Je pouvais juste pas rester enfermée comme ça chez moi. Le monde est plein de vices. D'abord y a eu lui, le premier démon, celui qui a dépassé les limites, celui qui a pris mon peu de respect pour ma personne pour mieux l'anéantir. Me voler la seule chose que j'avais encore jamais donné. Que je distribue maintenant comme on donnerait le journal dans une bouche de métro. Sans réfléchir, sans ciller, sans profiter. Sans savoir aimer. Puis, y a eu l'attentat. Le mot qui écorche même mes pensées, sans franchir mes lèvres gelées. Qui me laisse avec des points d'interrogation concernant le sort de ceux qui comptent, je crois. Je sais plus. Je sais juste que lui, là, il me fait mal à serrer mon poignet comme ça, à m'appuyer sur le mur, à répéter qu'il a pas payé pour ça. « Bah récupère le ton fric, qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Que je suis désolée ? » Je ris, je crache ma méchanceté, je crache mes mauvaises pensées. Sauf que ça lui plait pas. J'suis insolente apparemment, j'suis mal dressées. Je serre la mâchoire, je m'écarte d'un pas. Il suit, il menace, et moi, j'ai le palpitant qui aime pas ça. Qui cherche une échappatoire, jusqu'à ce que ce soit toi qui débarque, sorti de nulle part, devant mon air hébété. Comme ce soir là, où t'as rien attendu de moi, sinon que mes larmes cessent de couler.

Une silhouette, une capuche, des cheveux bleus électriques. Je recule dans l'ombre d'un lampadaire par réflexe, et pourtant inconsciemment, je sais déjà que ce soir, je vais m'en tirer. Rien que ce soir, ça ira, parce qu'y a ce mètre quatre vingt qui fait barrage, qui me protège. Hasard heureux, ou bien tu me suivais ? J'en sais rien, j'ai pas envie de savoir, tu fais ce qui te chante, comme je fais ce que je veux. Ce soir j'veux fuir, et toi tu m'ouvre la porte. J'ai les doigts qui se tendent, qui s'accrochent à ton sweat quand je sens que l'autre est un peu trop menaçant. J'ai pas envie que t'aies des problèmes par ma faute, pas envie que son poing s'écrase sur la machoire qui m'a sourit quand j'étais en lambeaux. Quand tu m'as ramassée en mille morceaux éparpillés sur le sol, là bas, juste là où j'ai laissé ma dignité, mon amour propre, ma confiance. Sauf peut-être en toi. Mais tu recules pas, tu fais front, tu menaces, et enfin, finalement, le voilà qui s'éloigne non sans jurer. Mais j'écoute pas. Il se démerdera pour récupérer son pognon. Je le suis du regard, jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'angle de la rue, et seulement à ce moment, je m'autorise à respirer. A expirer, soulagée, alors que je tourne les yeux vers toi. J'ai la mâchoire serrée qui se décontracte, les paupières qui se ferment, quand enfin, j'hoche la tête. « Ouais... je crois. » J'suis jamais sûre de toute façon, pour moi, aller bien c'est un concept qui m'échappe, un mot que j'ai jamais vraiment connu sinon à moitié. J'enfonce mes mains dans mes poches, j'reviens dans ma position initiale avant que ça dérape, je souffle de l'air froid avant de relever les yeux vers toi. « Qu'est-ce que tu fichais là ? Il aurait pu te coller une droite. » Les sourcils qui se froncent, qui se détendent, et je soupire. Encore. Mes iris qui se détournent, qui cherche le mur, un poteau, n'importe quoi, le temps de murmurer un « Merci... » Encore. A croire que j'suis bonne qu'à attirer le chaos jusqu'à toi. Mais j'suis contente de voir que toi au moins, tu t'en es tiré après les évènements de la semaine dernière. J'force un sourire, plus une grimace qu'autre chose, et je me décale d'un pas, de deux. J'suis pas le genre de compagnie que t'apprécieras, crois moi. Alors je détale. Prête à repartir je ne sais où, peut-être un bar qui aura pas été criblé de balles. « Bon bah.. bonne soirée. »

T'as peut-être pas peur, mais moi, j'suis pas confiante. Je sais pas ce que je ferais si il s'en prenait à toi. Si en plus de perdre ma confiance en moi, j'perdais aussi une des rares personnes en lesquelles j'avais foi. Ca s'est fait de façon inexplicable, et pourtant, c'est là. Ce soulagement qui fait retomber mes épaules, quand l'autre s'éloigne, et quand toi, tu me fais front. Je secoue la tête, je pince les lèvres. « Moi si. » Le souffle quitte à peine mes lèvres, péniblement. Je détourne les yeux, je cherche déjà ma sortie. A éviter de te toucher un peu plus avec mon chaos, avec mes ennuis. J'suis toxique, Yosku. J'suis toxique et en ce moment, y a trop de nuages dans mon esprit. Pourtant, quelques pas à peine, et déjà tu me rattrape, tu m'interpelle. Je ralentis, je lève mes yeux verts, j'écoute ce que t'as à dire. Un verre. Je passe une main sur mon visage j'hésite, je piétine sur place. « Je sais pas si j'serais la meilleure des compagnie, tu sais. » Que j'avoue finalement, en glissant mes iris sur les tiens. Mais t'as pas l'air de te débiner. Tout comme t'as pas reculé, ce soir là, quand je titubais entre mes larmes, à la recherche du premier repère où me cacher. Je ferme les yeux, je hoche la tête. « C'est moi qui t'offre un verre. Pour... m'avoir aidé avec ça. » J'enfonce mes mains dans mes poches, jette un regard dans la direction par laquelle l'autre est parti. Tu sais déjà de quoi je parle, j'ai pas besoin de m'étaler. Puis finalement je force un sourire, rien qu'un pour demander « T'avais un endroit en tête ? »

De toute évidence, si j'suis bornée, tu l'es tout autant. Et j'ai pas la force ni l'envie de m'éterniser à te repousser, te dire de fuir pour que tu continues à me suivre comme une ombre, alors j'abats ma dernière carte, parle de ma compagnie peu revigorante, mais comme je m'y attendais, ça t'fait pas peur. Parfois je me demande bien ce qui t'effraie, à dire vrai. « Toujours meilleure que moi j'suppose. » Que je souffle dans un soupir, haussant nonchalamment une épaule. Mais t'as cet argument des loups qui m'intrigue, et qui, assez étonnamment, parvient à m'arracher un bref sourire. Bref mais pas moins sincère. « Très bien, sois donc mon loup alors. » Que je capitule, les mains en l'air, t'interrogeant ainsi sur notre destination tout en précisant que j'étais celle qui invitait, ou du moins, qui réglerait la note. Ma main froide s'enroule autour de ton bras, et déjà, je suis aveuglément, en direction d'un bar inconnu. « Tant mieux, j'avais pas envie de traverser la ville. » Gamine capricieuse, ou juste trop fatiguée par sa vie. On avance, on traverse les rues, quand finalement je demande, curieuse: « Qu'est-ce que tu faisais dans le coin ? » Intriguée par un heureux hasard, qui n'en était pas forcément un. Assez rapidement, on atteint les portes d'un bar que tu pousses, j’enchaîne rapidement à ta suite, c'est mon tour d'être ton ombre, jusqu'à ce que nos culs se posent sur deux chaises. Et dès que le barman interroge, j'hésite pas longuement pour annoncer : « De quoi me retourner le cerveau. » Ce qu'il veut, tant que ça me permet d'oublier, rien qu'un peu

hj ; eeet j'avais pas vu ta réponse, donc à mon tour de m'excuser pour le retard chaton