Noël, le Nouvel An. J'ai eu mon lot de tracas, la famille Ford c'est pas joyeux. Toujours le fantôme de Kibwe, il est encore partout, dans les mots et dans les silences. J'étouffe à Toronto. Puis s'il y avait que ça. Ce coup-ci j'ai passé les fêtes avec ce boulet dans le ventre, ce que je soupçonne, que je sais peut-être : je suis gay. Une brunette dans la tête, Tamsin. En m'endormant, j'me joue ces films mielleux (voir carrément érotiques) dans la tête et je m'endors, honteuse d'avoir pu imaginer des trucs pareils. Les papillons dans le ventre de l'adolescente in love et les araignées dans le cerveau de la Numa tétanisée. Je suis de retour sur Cambridge, bordel je veux plus me prendre la tête, je veux me saoûler un coup. Je sais faire ça, jouer à la reine des soirées. Un truc organisé chez un gars que je connais pas trop mais je me suis faite inviter, je ramènerai une bouteille et tout sera pardonné. [...] Je secoue les fesses, les épaules, la tête. Déchaînée. L'effet narcotique du joint de début de soirée avait été balayé par la puissance des shooters. Mes neurones doivent être dans un bel état... Je saute, agite les bras et bam. Un coup de talon dans le pied. Je douille. "Bordel, faites gaffe !" Je beugle avant de m'éloigner de la masse de corps, d'm'éloigner de ce salon bourré de monde. Je m'aventure dans le couloir qui mène vers la cuisine. Nez à nez avec elle. Celle à qui je pense h24 depuis deux semaines. Queen Tamtam. Je m'arrête net, j'ouvre grand la bouche, une carpe. Couloir riquiqui, pas d'esquive subtile permise. "Hey !" Je finis par crier. Littéralement, crier. Oh putain j'ai l'air con. En plus j'accompagne ça d'un grand geste maladroit du bras, je suis déchirée, ça doit se deviner. "Je cherchais la cuisine tu sais où c'est ?" Au bout du couloir ouais, précisément. Cherchez pas, j'veux dire un truc et c'est tout ce que je trouve. Encore heureux, mon cerveau ivre trouve parfois bien pire. "T'es belle." Genre ça.

Est-ce que j'avais forcément besoin d'une invitation ? Pas réellement, tout ce que j'avais besoin c'était de savoir le lieu, au final, il y allait toujours avoir quelqu'un qu'on a vu ou croisé, ou un type assez stupide pour m'aborder à peine entrée. Je comptais là dessus, alors que cette robe plutôt m'accompagnait sur la piste. Si j'avais vu Numa ? Evidemment, oui. Je savais qu'elle allait être là, merci la technologie et surtout le système de geolocalisation. Je l'ai évité, au maximum. Inconsciemment, je me concentre sur elle pour oublier la rousse, celle qui fut mienne. On remplace une obsession par une autre, on essaie, tout du moins. J'occupe ma tête comme possible, et Numa me semblait être la distraction parfaite. J'avais vu, j'avais bu, j'avais dansé. J'ai même reculé ce corps trop près du mien, quémandant pour plus d'alcool. Clairement, j'étais encore trop sobre pour qu'on se colle à moi comme il le faisait, surtout qu'il était pas mon genre. Je me fraye un chemin jusqu'à la cuisine, fouille les placards. C'est partout chez moi. Finalement, je me noie dans un verre d'eau et fait le chemin retour. Je suis surtout décidé à rentrer, j'ai pas envie de perdre mon temps, j'en ai plus envie. Je suis pas certaine d'en avoir la force, non plus. La tête dans le téléphone, je vois même pas ce qui se passe devant. "Hey !" Lève le visage, offre un sourire, de manière plus calme, répond d'un "Hey". Elle est clairement faite. Complètement, même. "Je cherchais la cuisine tu sais où c'est ?" Quelque part, je dois bien avouer que je trouve ça assez adorable. Je montre du doigt derrière moi, sans rien ajouter. Je peux faire la vexée, rien que pour avoir un peu plus d'attention. "T'es belle." hoche la tête, souris, "Merci." et comme d'une envie de piquer ce soir, j'ajoute, "Dommage que j'sois pas attirante." hausse les épaules, cache un sourire en coin. Le jeu est tout fait, Tamsin, joue de ses mots. C'est bien connu, elle lance l'hameçon en espérant qu'il soit bien rattrapé. Au pire des cas, on limitera la casse, on empêchera les dégâts. "Enfin pas assez pour une hétéro." c'est à dire toi. Montre du doigt derrière Numa, s'approche un peu plus, simplement pour passer, "J'dois y retourner !" ça presse les choses, ça évite la conversation. Joue l'idée de la personne vexée du baiser, celui où tu l'a repoussé.

Quand elle sourit, elle ressemble à un petit ange. J'dis pas ça parce que je suis bourrée, promis. "Hey." Je parle, je dis n'importe quoi, tout pour meubler le silence. Et puis, un coup d'éthanol dans le crâne je sais pas, je lâche une mini-bombe. Elle est belle. Je le pense, très fort. Mais je me mords la langue d'avoir parlé. "Merci. Dommage que j'sois pas attirante." Bam. Prends ça Numa. J'ai vraiment été une conne. "Enfin pas assez pour une hétéro." Je déglutis, hoche la tête, puis j'ose plus vraiment la fixer alors je regarde le bout de mes baskets. "J'dois y retourner !" Elle souffle ces derniers mots tellement près de moi, je sens son souffle sur ma peau, ça me brûle l'épiderme. "Attends." Je me retourne, agrippe son bras alors qu'elle passe à côté de moi, son épaule frôlant la mienne. "J'voudrais qu'on discute de l'autre fois, je suis désolée." Quelqu'un passe dans le couloir, je lui lâche le bras, d'un coup, fais un pas en arrière. Même sous l'effet de plusieurs shots, j'arrive pas à oublier le regard des autres, c'est dingue.

La vérité, tu sais, c'est que je m'en fous. Je me moque de ce qu'elle assume, de ce qu'elle n'assume pas, de ce qu'elle veut et où elle va. Moi, je la suivais parce que ça me plaisait, ça m'amusait. La vérité c'est que les gens sont des pions, qu'ils défilent devant moi, parmis d'autres ombres que j'vois pas, que je décide de ne pas voir. Un peu comme Numa, ce soir. "Attends." Je la regarde, lui souris, jette un oeil rapide à sa main qui me retient. "J'voudrais qu'on discute de l'autre fois, je suis désolée." Tiens regarde, une ombre passe. Numa, elle l'a vu. Moi c'est à peine si j'l'ai apperçue. Nos corps se reculent, j'ai un sourire amusé aux lèvres. "C'est pas grave tu sais, t'as pas à t'excuser." Le problème de Tamsin, c'est qu'elle a toujours assumé, alors elle comprend mal comment on peut vivre caché. "Tu veux qu'on discute de quoi ?" j'ai fais le premier pas, j'ai été repoussé. ça m'arrive pas souvent, et ça blesse l'égo, mais c'est passé, j'ai déjà posé mes yeux sur d'autres formes, été tenté par d'autres visages. Le monde tourne et n'attend pas, tu vois, même elle, je suis sûre qu'elle a pas attendu.

Elle me tourne dans la tête depuis des semaines, je l'ai devant moi, je veux pas la laisser filer. Finalement il suffit d'une ombre qui passe dans le couloir pour que je desserre ma prise, fasse retomber ma main. "C'est pas grave tu sais, t'as pas à t'excuser." Elle a toujours ce sourire en coin. Ce qui la rend magnétique et à la fois... redoutable ? Peut-être que je prends tout ça trop à coeur, peu-être qu'elle fait que jouer. "Tu veux qu'on discute de quoi ?" Je secoue la tête, croise les bras, respire péniblement. Je balaie le couloir des yeux. Y a tellement de trucs que je voudrais lui dire mais j'oserais jamais. Et puis, on pourrait m'entendre, y a plein de gens, je suis pas à l'aise. "Tu sais le..." Je fais un petit signe de la tête. Le baiser. Je secoue la tête, je m'y prends comme un manche. "Tu veux pas qu'on... qu'on aille un peu ailleurs ? La musique est trop forte, j'ai mal aux oreilles." Excuse la plus pétée du monde mais j'ai le cerveau un peu embrumé par la tequila, c'est tout ce que je trouve.

Je sais que l'alcool de mêle à son sang, que sa vue n'est pas aussi bonne, que son monde tourne peut-être plus que le mien. ça m'amuse, surtout qu'elle va potentiellement être sans filtre. "Tu sais le..." Je la regarde, fais semblant de ne pas comprendre. Non, je sais pas, le quoi ? "Tu veux pas qu'on... qu'on aille un peu ailleurs ? La musique est trop forte, j'ai mal aux oreilles." Je rigole et hoche la tête en attrapant sa main, la tirant avec moi. Le long de la route, j'attrape un verre d'alcool -ça peut toujours être utile- et je vais jusqu'à une chambre, que je ferme derrière nous. Je la bloque avec un meuble qui traîne histoire que personne n'entre, "ça devrait faire l'affaire ?" le sourire est là, toujours présent. Je prend une gorgée de mon verre, je suis plus à l'aise avec les gestes que les paroles, je sais pas vraiment faire, dans le genre conversation, mais on va essayer. "Tu voulais m'dire quoi, alors ?" je la regarde, me mordant la lèvre. J'ai tellement pas envie de parler, Numa. Tellement peu envie de parler. Je suppose qu'on parlera avant tout autre chose, de toute façon. Case obligatoire.

Elle comprend pas, évidemment elle comprend pas. J'le cracherai pas, ce mot qui me brûle la langue. Elle attrape ma main, me tire le long du couloir. On finit dans une chambre, on se barricade. Je pose mes fesses sur le lit de la chambre, en tailleur, la tête dans mes mains. "Ça devrait faire l'affaire ?" Je pouffe de rire, hoche la tête. Je la vois qui prends une gorgée d'un verre, j'aurais dû prendre un truc, me rassomer un petit coup. Chercher du courage. "Tu voulais m'dire quoi, alors ?" Je lance un regard hésitant vers Tamsin, je la vois se mordiller le bout de la lèvre. Mes yeux louchent, sur ses lèvres, sa bouche. Je passe une main dans mes cheveux, les ébouriffe. Pour me cacher derrière ma tignasse. "Je sais pas, je crois que tu m'as manquée pendant les vacances." Je fuis son regard, les yeux rivés par terre, en l'air, n'importe où mais pas vers Tam. "Fin... Je sais pas si c'est du manque." On se connaît sûrement pas encore assez pour ça. Non c'est autre chose. "J'ai pensé à toi, voilà." Voilà, c'est con mais c'est dit. Je lève les yeux vers elle, si peu sûre de moi.

C'est peut-être qu'elle a envie d'en parler, de mettre les choses à plat, j'en sais rien. Je sais que ma réputation me précède, mais pas jusqu'à ses oreilles, j'espère pas. "Je sais pas, je crois que tu m'as manquée pendant les vacances." Je la regarde en souriant, c'est intéressant, ça. "Fin... Je sais pas si c'est du manque." Je hausse les épaules, vient m'asseoir à côté d'elle. "J'ai pensé à toi, voilà." Je la regarde en souriant, peut-être un peu attendrie, aussi. Le ton s'abaisse, on en vient dans la confession, presque. "T'a pensé à moi comment ?" c'est surtout ça, qui m'intéresse. Est-ce que t'a pensé à moi comme tu pense à une amie ou est-ce que t'a envie de recommencer notre sortie cinéma ? ça change beaucoup, et c'est sur ça que j'aimerai avoir une réponse. Surtout si je nous ai fais une baricade juste pour me dire que tu pense à moi. Je m'attendais à un plus gros secret, je dois l'avouer.

Je suis presque tremblante, penaude. Le sourire de Tam qui me ferait rougir. Elle vient s'assoir à côté de moi et je lâche ces derniers mots, tout bas, honteuse. Je relève mes yeux vers elle. J'ai l'impression d'être toute nue. "T'as pensé à moi comment ?" Je sens le feu me monter aux joues, mon coeur s'emballer, du caaaaalme. Je hausse les épaules, fuis son regard de braise. "Peut-être que je regrette de..." Je sais pas comment finir, je sais pas quoi dire. Une liste de mots tabous dans ma tête. Mes yeux embués par l'alcool remontent, rencontrent les siens. Elle est tellement belle. C'est le moment de mettre mon cerveau sur off. Je relève mon menton, tout doucement, rapproche mon front du sien et je pose mes lèvres sur les siennes. Je ramène ma main, je la pose sur sa joue. Je sens de l'électricité entre nos deux poitrines, ce qui fait s'emballer mon pouls. Je respire plus, pas d'oxygène. Si j'inhale, je réveille mon cerveau, faut pas. Y a que mon corps qui parle, que ma langue. Ma langue aventureuse qui vient jouer avec celle de la brune.

J'essaie d'écouter, j'essaie de comprendre. Je trouve ça adorable, qu'elle ai pensé à moi, vraiment, et d'un autre côté je comprends pas où ça m'amène et ce que je dois faire avec une telle information. Où on va, Numa ? "Peut-être que je regrette de..." Je la regarde, disons plutôt que j'essaie d'attraper son regard, le sourire aux lèvres, attendant la suite. Je sais pas ce dont elle regrette mais ça a l'air de la peser, vraiment. Comme si tout ça la rendait mal, comme si elle était pas à l'aise. Je sais pas si je suis confortable à l'idée de l'intimider. Elle relève la tête, et m'embrasse. Dans un premier temps, je souris contre ses lèvres, et quand je sens sa main sur ma joue, mon corps se rapproche, ma main glisse dans sa nuque, mes lèvres se font plus gourmandes sur les siennes. Mon autre main passe autour de sa taille, rapprochant son corps du mien, l'embrassant de nouveau. C'est un drôle de mouvement ça, pour une hétéro. Qu'importe, je la couvrirais de baisers toute la soirée, si je le pouvais. Je décolle mes lèvres des siennes, reste proche pour les frôler doucement. Je glisse ma main sur sa joue, pose mes yeux dans les siens, "Okay t'as.. t'as beaucoup bu, et j'veux pas que tu fasse quelque chose que tu vas regretter ensuite." J'oublie pas que t'es hétéro, que tes gestes envoient des signes contraires, que je sais que j'ai mes chances, mais que ton cerveau, lui, n'est pas sûr. Que tu réfléchis trop avant chaque geste, que tu pense trop avec ta tête. Dans tous les cas, j'ai pas envie que le terme d'erreur soit marqué à côté de mon prénom.